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		"Déboussolé, le coq de la girouette s'agite comme un beau diable 
		dans les rafales de l'Autan." 
		ou 
		encore : 
		"Tot destimborlat, lo gal de la giroleta vira e revira coma un bèl 
		diable dins las ventadas de l'Autan" 
		 
		- 
		L'Auberge des Quatre-Vents 
		- Le mari de la 
		femme à Denis 
		- L'èrba de 
		Matagòt 
		 
		
		L'Auberge des Quatre-Vents 
		
		Déboussolé, le coq de la girouette 
		s’agite comme un beau diable dans les rafales de l’Autan. Il chante, 
		son axe rouillé émet à chaque variation du vent un grincement modulé, 
		plaintif, aigu, ou grave, presque joyeux parfois, dont la force croît 
		dans les surventes et finit en lamento poignant aux pauses de l’Autan. 
		 
		La jeune femme, dans son lit, l’entend bien, elle qui loge sous les 
		toits, dans un joli deux-pièces aménagé à son goût. Elle tend l’oreille 
		pour ne rien perdre du chant du coq, et s’amuse de ce rythme qui 
		s’accorde à celui du gros homme qui ahane sur elle. Elle en sourit 
		d’abord, puis, jusque là restée passive, elle bouge doucement pour 
		accompagner les mouvements de l’homme et mieux lui faire suivre la 
		cadence de la girouette. L’homme s’imagine qu’il émeut la donzelle dont 
		le sourire devient rire puis fou-rire qui la secoue et fait prendre 
		conscience de son erreur au mâle infatué de lui-même. Tout le monde perd 
		la cadence, la femme éjecte dans un tonique éclat de rire l’homme qui se 
		retrouve à l’extrême bord du lit ; il y perd sa dignité et l’équilibre, 
		et chute lourdement sur le tapis. La femme croit mourir de rire alors 
		que, furieux, décontenancé et pendant, le quinquagénaire quitte la 
		chambre en claquant la porte. 
		 
		La fille, c’est moi, Jehanne ; peu écrivent correctement mon prénom, 
		mais cela n’est gênant que pour les documents officiels, que je dois 
		toujours faire corriger. La prononciation est la même, et cette 
		orthographe inhabituelle est due à mon père, universitaire original, 
		titulaire d’une chaire de littérature à la faculté de Toulouse, féru de 
		la poésie du XVI° siècle. Ma mère aussi était universitaire. 
		 
		Moi, je suis la servante de l’Auberge des Quatre Vents, dont le 
		propriétaire vient de se retrouver sur la descente de lit. Avec mon 
		ascendance, je devrais être autre chose qu’une fille d’auberge dont le 
		patron use sans vergogne, et je le serais, s’il n’y avait eu un samedi 
		funeste. 
		Bachelière à seize ans ; à vingt je débutais une thèse sur la 
		littérature du Moyen Age et je vivais toujours dans la villa familiale à 
		Balma. Mon ami Pierre m’aimait avec distinction et discrétion. 
		 
		Un samedi de juin, Pierre et moi nous allâmes au cinéma. Nous dînâmes en 
		ville, puis, chez lui, il me fit l’amour avec distinction et discrétion. 
		Dimanche matin, vers dix heures, il me raccompagna à Balma ; nous y 
		trouvâmes la villa ouverte à tous les vents, et mes parents assassinés. 
		La foudre tomba sur moi. 
		 
		Ce fut l’enquête, une information judiciaire qui dura deux ans, 
		insupportables. Seule héritière, quelques mois après l’assassinat de mes 
		parents, je décidai de tout vendre, donnant ce que je ne pouvais vendre. 
		Je partis m’installer à Paris, sur un coup de tête ; je louai une 
		chambre d’hôtel au mois, puis, riche par mon malheur, six mois plus 
		tard, j’achetai un appartement dans le cinquième arrondissement. Six 
		mois m’avaient été suffisants pour trouver mon centre de gravité : la 
		Sorbonne, Saint Séverin et Saint Michel, les rues de La Huchette et des 
		Lombards. Les caves enfumées, alcoolisées et jazziques étaient devenues 
		ma drogue. Je devins la Juliette de tous les trompettistes qui se 
		prenaient pour Miles et la Catherine de tous les copains qui jouaient à 
		Jules et Jim. Je vivais de mes rentes, qui me valaient de nombreux amis 
		entre le Caveau de la Huchette, le Bœuf sur le toit, le Petit Opportun 
		et le Blue Note. Je faisais mon marché rue Mouffetard, dormais le jour 
		et vivais la nuit. Le notaire m’avait conseillé des placements de 
		notaire qui ne rapportent rien à personne, mon banquier des placements 
		de banquier qui rapportent aux banquiers et des escrocs des placements 
		qui volatilisent le capital. J’avais su résister à toutes les sirènes et 
		n’avais écouté que mon bon sens, qui malheureusement ne guidait pas ma 
		vie aussi bien que mes affaires ; à la faculté, je ne travaillais 
		d’abord pas assez, puis plus du tout. 
		 
		Arriva la convocation des Assises ; j’y appris que deux pauvres hères, 
		bien inoffensifs, avaient été pervertis par la société, que l’étalage 
		insultant de la richesse de mes parents les avait provoqués, que la 
		résistance physique de mon père, un athlète du Gaffiot, et le mépris 
		glacial de ma mère étaient responsables de leur violence. N’eut été la 
		stupide obstination de mon père à refuser l’ouverture du coffre-fort, 
		tout se serait bien passé. L’Autan, réputé rendre fou, comme le Föhn des 
		Alpes ou la Tramontane, le vent qui vient à travers la montagne, fut 
		aussi cause de leur comportement : leur avocat situait bien les 
		responsabilités. Le troisième jour, j’abandonnai cette mascarade et pris 
		la route de Villefranche-de-Lauragais, puis Revel, sans autre but que de 
		fuir. Sur la route, les rafales de l’Autan puissant bousculait ma petite 
		voiture. Je découvris l’Auberge des Quatre Vents où je décidai de 
		déjeuner. Une affichette proclamait qu’on y cherchait une serveuse ; je 
		me proposai au patron pour un essai, malgré mon inexpérience. En une 
		semaine je fus agréée. En un mois, j’avais loué mon appartement 
		parisien, mis mes affaires dans trois valises, les trois valises dans ma 
		Dauphine, et installé le tout dans le deux-pièces mis à ma disposition 
		sous les toits de l’auberge. Secrète sur mes ressources, je me 
		comportais en bonne servante qui sait obéir, se taire et rire quand on 
		l’appelle Jeannette. 
		 
		La clientèle de l’auberge est simple ; les jours de semaine ce sont les 
		chauffeurs-livreurs, le samedi, quelques habitués, comme monsieur 
		Demange, professeur de philosophie en retraite, vieux communiste pour 
		qui les purges de Staline sont des actes de saine gestion, le dimanche, 
		des touristes et parmi eux, les motards ! Braves garçons, un peu 
		frustres, rieurs, ils sentent le cuir, la brillantine, le savon de 
		Marseille et l’huile chaude, parlent haut et boivent sec. Ils vont par 
		bandes de six ou huit, veulent une table unique et partent en se donnant 
		des claques dans le dos, riant de leurs histoires, souvent les mêmes. 
		 
		Les camionneurs furent les initiateurs de mon petit commerce personnel. 
		Un jour, l’un d’eux, alors que je déposais devant lui son café, mit sa 
		main dans mon creux poplité en demandant, mi-figue mi-raisin, quel 
		bienheureux profitait de ces richesses… Je faillis lui retourner une 
		gifle retentissante, mais, inspirée, optai pour une autre manière : 
		- Vous aimeriez être ce bienheureux ! Après le café, le pousse-café ! Et 
		le pousse-café pourrait être un pousse-jeannette...Le pousse-jeannette, 
		ça se passe dans la petite chambre au fond du couloir, à quatorze heures 
		quand j’ai fini mon service, et ça coûte trente francs !  
		A quatorze heures trente, les trente francs avaient changé de poche. Les 
		bonnes nouvelles vont vite et du mardi au vendredi, le pousse-jeannette 
		fonctionne à raison d’un ou deux camionneurs par midi, jamais plus. Le 
		soir jamais ; le samedi est le jour de monsieur Demange ; pour lui, pas 
		de petite chambre au bout du couloir, il déjeune, monte à mon logement 
		et prend son temps. Le dimanche, au printemps, viennent les motards, et 
		dans chaque bande un malin dès l’arrivée me regarde avec insistance : 
		celui-là est pour moi. Je le frôle de ma jupe, en me tournant, ma croupe 
		s’appuie sur son épaule, en le servant je me penche trop et mon corsage 
		trop échancré laisse voir mes seins trop lourds s’y promener trop 
		libres... Au café, je lui indique la manœuvre du pousse-jeannette et 
		trente francs passent dans ma poche. Ensuite, ils repartent en groupe en 
		riant aux éclats et en donnant au gagnant des bourrades dans les côtes. 
		Quant à mon patron, il considéra rapidement après le premier camionneur 
		qu’il avait un droit irréfragable, inaliénable et gratuit à la nuit du 
		jeudi que madame va passer chez sa mère, à Castelnaudary, revenant le 
		vendredi matin. Marcel passe la nuit dans mon lit et sa femme au lit du 
		notaire, car, chez sa mère, elle ne fait que dîner. Tout va donc pour le 
		mieux dans le meilleur des mondes possibles comme dirait ce bon Leibniz. 
		 
		Hier, est arrivé un type de quarante-cinq ans environ, grand, beau, 
		élégant, qui visite, choisit et loue la plus grande chambre. Il sort des 
		billets de cinq cents francs et paye une semaine d’avance. Il déjeunera 
		et dînera à l’hôtel, dit-il, et fâché que le restaurant soit fermé le 
		lundi, il demande un plateau froid pour ce jour là, ce qu’on ne refuse 
		pas à l’effigie de Jean-Baptiste. Le soir même, après le dîner, il 
		m’appelle Jeannette, me demande de la monnaie, toujours sur un Poquelin, 
		et me laisse un pourboire de dix francs ! Monsieur Hubert mène grand 
		train, le sieur Hubert me plaît et, même sans pourboire, sans 
		pousse-jeannette, sans tambour ni trompette, j’irai bien faire un tour 
		dans la chambre sous la mienne ; il le comprend vite et en quittant la 
		table, mezza-voce, me glisse :  
		- A tout à l’heure, dans ma chambre ?  
		 
		Depuis trois jours, je le rejoins chaque soir, mais nous sommes jeudi et 
		je crains la réaction de Marcel qui craint pour sa nuit. Sa femme part 
		avec un sourire qui en dit long sur son malin plaisir. Le service fini, 
		je file, prends une douche et pomponnée de frais...mais dans l’ombre du 
		couloir, Marcel barre le passage ; j’avance jusqu’à lui, décidée, 
		l’écarte d’un bras ferme. J’ai gagné, Marcel me laisse passer, le regard 
		torve ; il me faudra compter avec sa rancœur. 
		 
		Plus de chauffeur, plus de monsieur Demange, Hubert, son séjour prolongé 
		d’une semaine, occupe tout mon temps libre ; je ne sais pas où me mène 
		cette histoire, mais je sais que je suis heureuse. Je sais aussi que 
		l’orage ne manquera pas d’éclater… Arrive lundi, et Hubert décide que 
		nous allons à Toulouse où nous déjeunons, puis, Hubert m’offre une robe 
		d’été, bleue et blanche, comme les robes que je portais, jeune fille 
		insouciante ; j’en ai les larmes aux yeux. Nous rentrons à la nuit, 
		demain je reprends mon service mais je partirai bientôt avec Hubert ; 
		j’ai retrouvé ma légèreté et ma gaîté… 
		 
		Mardi matin, j’entre dans la salle de restaurant et je surprends mon 
		patron au téléphone du bar avec un air de conspirateur d’opéra. Mon 
		entrée lui fait interrompre le dialogue d’un bref « je vous rappellerai 
		». il quitte la salle et j’en profite pour redemander le même numéro à 
		l’opératrice qui me passe… la gendarmerie ! Je prétends avoir fait 
		erreur mais j’ai le pressentiment que la conversation surprise 
		concernait Hubert. Après mon service, je reste coite au fond du couloir 
		et j’entends Marcel au téléphone  
		- C’est sûr, c’est bien lui, il est dans sa chambre, avec la serveuse. 
		C’est le bon moment.  
		Je file à l’étage, j’explique la situation à Hubert qui jette ses 
		affaires dans sa valise et prend sous le lit un attaché-case que je 
		n’avais jamais vu et me donne la valise en me disant : 
		- Passe par l’escalier de secours, mets la dans la voiture, rentre dans 
		ta chambre et n’en bouge plus !  
		J’obéis, mais au lieu d’aller chez moi, je reste cachée sous l’escalier 
		et je vois arriver une première voiture de gendarmerie qui bloque la 
		sortie des garages, j’en entends une seconde qui s’arrête devant 
		l’auberge ; des portières claquent ; du break devant moi, sortent deux 
		hommes armes automatiques en main qui surveillent la sortie de secours. 
		Soudain, Hubert surgit sur le palier, il tient un revolver d’une main et 
		l’attaché-case de l’autre. Un gendarme lui hurle de s’arrêter, Hubert 
		lève son arme et tire, le gendarme tombe, mais l’autre lâche une rafale 
		et Hubert bascule, l’attaché-case passe par dessus la rambarde et en 
		arrivant au sol éclate et s’ouvre largement. 
		 
		De la mallette éventrée, les mains innombrables de l’Autan arrachent les 
		billets de cinq cents francs, les projettent en l’air, les plaquent au 
		sol pour les reprendre et les faire voler plus haut encore, s’amusent à 
		les éparpiller, les élèvent dans des tourbillons infernaux qui les 
		portent en tournoyant jusqu’au toit, puis les rabattent au sol, les 
		rassemblent dans le coin de la cour, en couvrent comme d’un linceul le 
		corps du gendarme mort, les éparpillent à nouveau et rejouent sans fin 
		cette danse macabre. 
		J’entends le coq de la girouette grincer d’un rire ironique et 
		diabolique, éperdu dans une valse au rythme d’Autan.. 
		 
		
		Texte 
		
		de Robert Michel Degrima, de Mauguio (34), 2018 
		
          
          
            
              
                
                 
              	
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                Le mari de la 
				femme à Denis 
				Déboussolé, le coq de la 
				girouette s’agite comme un beau diable dans les rafales de 
				l’autan. Les feuilles des arbres bruissent. Un volet claque 
				dans une rue avoisinante. Denis lève la tête et regarde les 
				nuages sombres qui s’amoncellent au-dessus du clocher. Tout cela 
				ne lui dit rien qui vaille. Le temps est à l’orage. Il ne pourra 
				pas voler cet après-midi. 
				 
				C’est très étrange. Plus Denis y songe, plus il se dit que 
				quelque chose ne tourne pas rond. De fait, Denis passe le plus 
				clair de son temps à réfléchir à des choses que les autres 
				ignorent délibérément. Cela relève de sa spécialité. De son 
				activité professionnelle. 
				Denis est le spécialiste mondial du contresens et de l’euphonie 
				du Lauragais. Il en professe les arcanes à l’Université voisine 
				où ses collègues le surnomment « le fougueux magistère » (pour 
				une raison que Denis n’a jamais élucidée). Ainsi, songe-t-il, un 
				coq ne peut être déboussolé. Car s’il le pouvait, il pourrait 
				également se « reboussoler ». Or le verbe « boussoler » 
				n’appartient pas à la langue française. On pourrait l’inventer, 
				bien sûr. Mais dans ce cas, que signifierait-il ? 
				 
				Un coq de girouette n’est pas conçu pour indiquer le nord. Le 
				serait-il que son axe rouillé et ses grincements l’empêcheraient 
				de pivoter librement. Les faibles forces électromagnétiques 
				seraient insuffisantes pour l’orienter dans la bonne direction. 
				Et même encore, il faudrait que la tête et la queue du coq 
				soient polarisées en sens contraire. Ce qui n’est pas le cas. 
				Pour être tout à fait exact, il convient de dire que Denis n’a 
				jamais pensé à vérifier ce point de détail. Les fabricants de 
				girouette polarisent-ils les extrémités de leurs coqs ? Tout 
				cela est fort possible, puisque ces coqs sont métalliques. Il 
				semble tout à coup urgent à Denis d’aller vérifier tout cela sur 
				place. Il vient peut-être de débusquer non une euphonie, mais 
				bel et bien un contresens éventuel. 
				 
				Il rentre chez lui et, parce qu’il ne demeure pas très loin, est 
				promptement de retour, armé d’une corde de rappel, d’une burette 
				d’huile, de quelques pitons d’escalade et de mousquetons. Il lui 
				faut une bonne vingtaine de minutes pour atteindre le sommet de 
				son clocher pendant qu’une petite troupe de curieux – allez 
				savoir pourquoi – se rassemble sur la place du village. 
				Ce que Denis trouve au sommet du clocher est un axe affreusement 
				rouillé. Il l’asperge de généreuses giclettes qu’il produit à 
				l’aide de sa burette, mais ne parvient pas à réduire de façon 
				notable les forces de frottements qui s’opposent à la rotation 
				du gallinacé. Il s’aperçoit alors qu’il a oublié de se munir 
				d’un aimant pour vérifier l’inversion de polarité des extrémités 
				du volatile. Il doit redescendre de son clocher, rentrer chez 
				lui, se frotter les pieds sur le paillasson comme sa femme lui a 
				recommandé plusieurs fois. Croyez-le ou non, il a dans sa 
				cuisine un réfrigérateur dont la porte est presqu’entièrement 
				recouverte de petits aimants. 
				De retour au sommet du clocher il peut enfin prouver que les 
				coqs de girouettes ne sont pas polarisés. D’ailleurs, il 
				s’aperçoit au même moment que ladite girouette surmonte une 
				croix de fer forgé qui indique obstinément les quatre points 
				cardinaux. Il en déduit que l’église est fixe, qu’elle ne tourne 
				pas sur une sorte de rotonde dont le maire, toujours espiègle, 
				aurait pu munir la place du village, qu’il est temps de 
				redescendre, que le temps se calme, qu’il va pouvoir enfin 
				décoller aux commandes de son Fouga Magister. Grâce à sa femme. 
				 
				S’il existe une femme parfaite sur terre c’est bien la femme à 
				Denis. Elle a cousu les six uniformes de gendarme qui étaient 
				nécessaires pour habiller les copains de Denis qui l’ont escorté 
				quand il est allé chercher le Fouga. Même celui de Marie-Noëlle, 
				la Réunionnaise, une femme de 120 kilos, qui fait un peu peur, 
				et qui fait encore plus peur lorsqu’elle est habillée en 
				gendarmette. 
				On a déjà fait remarquer à Denis que l’expression « la femme à 
				Denis » est maladroite. On ne dit pas « la femme à Denis », mais 
				bien « la femme de Denis ». Parce qu’une femme n’est pas une 
				chose. Le serait-elle d’ailleurs que cela ne changerait rien à 
				l’affaire. On ne dit pas « la brosse à dent à Denis » donc ce 
				genre de remarques est hors de propos. 
				Denis s’en contrefiche. Il est le spécialiste mondial de 
				l’euphonie (et du contresens) du Lauragais, il a une réponse 
				toute faite pour les empêcheurs de tourner en rond, les coqs 
				comme les autres. « La femme de Denis » est un exemple parfait 
				de contre-euphonie. Il explique à qui veut l’entendre que la 
				répétition de la syllabe « de » agace l’oreille. La langue 
				française, de manière générale, évite ce genre de désagrément 
				auditif. Elle pourvoit alors des « ne », des « t », ou des « z » 
				explétifs qui évitent la faute musicale. De ce point de vue, « 
				la femme à Denis » est bien mieux que « la femme de Denis ». 
				Denis aurait bien sûr cédé à la vox populi si la situation avait 
				été quelque peu différente. Se fût-il prénommé Rachid, par 
				exemple, qu’il eût abandonné sans résistance aucune, et qu’il 
				aurait dénoncé non la contre-euphonie mais le facétieux 
				contresens : « la femme à Rachid » dénote la femme huileuse, 
				voire adipeuse.  
				Ce n’est pas du tout le cas de son épouse. La femme à Denis est 
				absolument ravissante. Un corps de déesse, une tête parfaite (à 
				l’intérieur comme à l’extérieur), une grâce naturelle ineffable 
				et surtout, du cœur à l’ouvrage été comme hiver. 
				 
				Lorsque Denis la vit pour la première fois, il était encore 
				étudiant et en tomba amoureux au premier battement de cil. Elle 
				sut lui faire comprendre qu’elle était de la vieille école, que 
				s’il la voulait, il fallait qu’il l’épouse. Lui s’étonna de sa 
				chance. Se dit qu’il fallait qu’il se dépêche. Qu’il fallait 
				qu’il se déclare de suite. Sans quoi la belle serait conquise au 
				plus vite par un de ces étudiants rapiat et beau-parleur qui 
				pullulaient à l’époque dans l’enceinte universitaire. (Des 
				sources récentes dignes de foi indiquent qu’il semble que cette 
				génération se soit reproduite spontanément). 
				Elle posa une condition à leur union : chaque vendredi soir, 
				après le dîner, elle quitterait leur domicile pour aller passer 
				la nuit ailleurs. Chaque samedi matin, juste avant le 
				petit-déjeuner, elle reviendrait le sourire aux lèvres. Jamais 
				il ne poserait la moindre question. Jamais il n’essaierait de la 
				suivre ou de repérer, par un moyen ou par un autre, l’endroit où 
				elle se rendrait. Toujours il la laisserait passer cette nuit où 
				elle voulait et comme elle le voulait, à sa guise. C’était à 
				prendre ou à laisser. 
				Il s’y laissa prendre. 
				 
				Il ne le regretta pas. Il avait épousé la seule femme parfaite 
				sur terre. Ils s’installèrent à Quissac, un charmant petit 
				village du Lauragais. Si vous êtes de la région vous rétorquerez 
				sans doute que vous n’avez jamais entendu parler de cet 
				endroit-là. Eh bien, laissez-moi vous dire que vous vous 
				trompez. 
				Si vous regardez une carte vous constaterez vous-même que 
				Quissac est un village du Gard, à peu près à égale distance de 
				Nîmes et de Montpellier. Et qu’il n’existe aucun village de ce 
				nom dans la région de Toulouse. C’est la carte qui est fausse. 
				C’est à cause de Denis. 
				Parce qu’il existe bien un village du nom de Quissac dans le 
				sud-est toulousain. Il en existe un autre, du même nom, dans le 
				Gard. Denis décréta aussitôt qu’il était en présence d’une forme 
				rarissime d’euphonie municipale. Une sorte de hiatus 
				géographique. Une monstruosité qu’il lui appartenait d’éradiquer 
				sur le champ. Un beau matin il confectionna donc un panneau 
				qu’il appela un « panneau de contre-sens ». 
				 
				Lorsque la voiture de Google arriva, elle fit trois fois le tour 
				du rond-point à l’entrée du village et n’y entra jamais. Le 
				village ne fut pas photographié. Aucun n’internaute n’eut donc 
				jamais la curiosité d’aller contempler ses charmantes petites 
				maisons, sa place démunie de rotonde pivotante et le coq de la 
				girouette de son clocher qui, les jours d’autan blanc ou d’autan 
				noir, s’affolait tellement qu’il lui arrivait de se sentir 
				déboussolé. Le village tomba en désuétude. Il disparut des 
				cartes. D’aucuns firent remarquer à Denis que son panneau de 
				contre-sens était un panneau de sens interdit. 
				— C’est bien ce que je voulais dire, répliqua Denis. 
				— Mais si c’est un panneau de sens interdit, pourquoi tu ne le 
				dis pas alors ? Pourquoi tu l’appelles un panneau de contre-sens 
				? 
				— Parce qu’alors ça devient un vrai contre-sens.  
				Il arracha tous les panneaux de signalisation qui signalaient un 
				village qui n’existait plus. La Direction Départementale de 
				l’Equipement en remplaça quelques-uns, une fois ou deux, puis se 
				lassa. Le village disparut pour de bon, c’est-à-dire qu’il 
				disparut de la mémoire collective. On ne pouvait jamais avoir le 
				dernier mot avec Denis. 
				 
				Lorsqu’il déclara qu’il voulait un Fouga Magister, qu’on en 
				trouvait encore de beaux spécimens laissés à l’abandon dans un 
				hangar militaire près de Montauban, que le seul moyen d’en 
				dérober un exemplaire était de se faire escorter nuitamment par 
				une brigade de gendarmerie, sa femme lui sourit et entreprit de 
				confectionner des uniformes de gendarme. À la main, sans machine 
				à coudre. D’un point tellement régulier qu’il aurait dégoûté 
				tout industriel compétent de ne jamais fabriquer une machine qui 
				sache mieux coudre et plus vite. 
				Les faux gendarmes préférèrent éviter l’autoroute et ramenèrent 
				le Fouga Magister à Quissac en passant par la départementale 
				820. Cela leur prit une semaine, chaque nuit. Le jour l’avion 
				était recouvert d’une bâche pour éviter les regards des curieux. 
				La nuit ils barraient la route de cônes orange et blanc. Denis, 
				au volant d’un tracteur agricole qui devait appartenir à 
				quelqu’un remorquait l’aéronef avec l’autorité d’un empereur 
				romain. L’estafette Renault d’un autre âge, peinte de bleu et 
				ornée d’un gyrophare fermait la route. Elle ne suscita aucun 
				commentaire parmi la population, tout habituée qu’elle est à 
				considérer que les services de l’Etat sont sous-équipés en 
				permanence et qu’ils font durer ce qu’on ne leur remplace pas. 
				L’objectif fut atteint, Denis parqua le Fouga Magister dans un 
				champ près de chez lui et attendit que l’autan se calme pour 
				pouvoir l’essayer. 
				Il s’étonnait bien sûr que l’Académie ne l’appelât point. Il 
				avait entendu dire qu’une place s’était libérée récemment, qu’un 
				fauteuil restait vide, qu’une épée et un habit vert attendaient 
				leur nouveau propriétaire. Il se prépara donc mentalement à 
				cette nouvelle investiture et réfléchit même quelques minutes à 
				ce qu’il pourrait dire lors de son discours d’intronisation. Il 
				devait absolument ne pas oublier de louer la sagesse et la 
				justesse de vue de ceux qui avaient décidés d’inviter en leur 
				sein un spécialiste de l’euphonie et du contresens. Car, pour 
				autant qu’il le sache, aucun académicien n’était vraiment 
				compétent dans ces domaines. (Encore que s’agissant des 
				contresens, certains d’entre eux avaient montré une inclination 
				naturelle digne d’éloge). 
				 
				Concernant l’euphonie, nul académicien vivant n’arrivait à la 
				cheville d’Alphonse de Lamartine. Cet ancien garde du corps de 
				Louis XVIII, qui s’était reconverti dans la littérature 
				bricolée, plaisait particulièrement à Denis. Son nom déjà posait 
				problème et lorgnait vers le contresens. S’agissant d’un 
				individu de sexe masculin, Denis était d’avis qu’il aurait dû 
				s’appeler Lemartin. Lemartin est un patronyme de bon aloi, 
				fleurant bon l’homme droit et sincère. Lamartine quant à lui 
				laisse entrevoir les vicissitudes cachées, les atermoiements et 
				les inclinations particulières. D’ailleurs certains aspects du 
				style du poète ex agent de sécurité dénotaient ce penchant 
				originel. 
				« En vain je tournais ma peine vers mes livres » était un vers 
				de toute beauté et désignait le spécialiste caché de l’euphonie 
				de contre-sens, encore appelée contrepet. Cette seule ligne 
				justifiait à elle seule la présence du poète sous la coupole 
				dorée à l’or fin. Il fallut encore quelques années pour que l’on 
				découvre le sens caché sous l’euphonie. Un monument de la 
				littérature française. Un summum. La perfection descendue sur 
				terre. Denis savait ce siège-là inoccupé et était convaincu 
				qu’il lui reviendrait de droit. Sans doute qu’un survol en rase 
				motte du bâtiment portant le numéro 23, quai de Conti, à Paris, 
				réveillerait les quelques vieilles badernes qui tardaient un peu 
				à se déclarer. Denis se félicitait que le Fouga Magister fût 
				équipé de fumigènes, un bleu, un blanc et un rouge, comme tous 
				les avions de la patrouille de France. Ils allaient voir ce 
				qu’ils allaient voir. 
				Comme chaque vendredi soir la femme à Denis quitta le domicile 
				conjugal. Il la regarda partir, par la fenêtre du salon, un peu 
				fatiguée sans doute, car elle marchait lentement le long du 
				trottoir. C’était difficile. Chaque fois il avait le cœur gros. 
				Ne pouvait s’empêcher de penser qu’elle allait peut-être, 
				qu’elle allait sans doute, retrouver un autre homme. Cette 
				fois-ci cependant, et nul se sut jamais pourquoi, Denis 
				s’habilla à la hâte et décida de la suivre. 
				 
				Ce n’était pas un homme que la femme à Denis rencontrait. 
				C’était Marie-Noëlle, la Réunionnaise. Il les vit se rencontrer 
				et se faire la bise, dans une petite ruelle sans passage. Elles 
				marchèrent quelques minutes ensemble pour finalement entrer dans 
				une maison du village qui paraissait inoccupée. C’est la femme à 
				Denis qui avait la clef. Elle ne referma pas la porte derrière 
				elle. Denis n’entendit pas le cliquetis de la serrure refermer 
				le pêne. Il attendit un peu. Il savait qu’il allait entrer à 
				leur suite. Il avait besoin de savoir. Il avait peur en même 
				temps. 
				Quand il sut il n’en crut pas ses yeux. Sa femme et Marie-Noëlle 
				étaient étendues à même le sol. Leurs chevelures relevées 
				laissaient apparaître un curieux mécanisme, une sorte de boîtier 
				qu’elles avaient dans le crâne. De ce boîtier partait un fil 
				électrique, lui-même branché sur le secteur. Une sorte de 
				chargeur, en somme. 
				Denis s’en doutait depuis des années. La femme parfaite n’existe 
				pas. Il n’en fut même pas triste. Il referma doucement la porte 
				de la demeure inhabitée et rentra chez lui. Ce week-end, il 
				ferait voler le Fouga Magister. Il connaissait une portion de la 
				D813 assez rectiligne, assez longue, et assez dépourvue de 
				lignes électriques pour lui servir de piste d’envol.  
				Ensuite, il mettrait le cap sur l’Académie Française, pilotant 
				avec élégance et détachement son bel oiseau à l’empennage 
				bifide. 
				 
				Texte de 
				François 
				Capet, de 
				Liège (Belgique), 2018 
                 
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				L'èrba de Matagòt 
				Tot destimborlat, lo gal de la 
				giroleta vira e revira coma un bèl diable dins las ventadas de 
				l’Autan. Sa siloèta d’acièr sembla de saber pas ont virar lo 
				cap. Se diriá qu’a perdut canturla. O alara auriá agantat lo 
				caluquitge ? Benlèu lo dançum ? Lo vent revoluma que non sai.
				 
				 
				La capèla romanica es pausada a cima d’un tuquet pelat. Pas un 
				arbre per arrestar lo vent, res ! La giroleta remolina a bèl 
				èime. Se sap ben pro que tanlèu passat Montanha Negra, l’autan 
				ven fòl e ren fòl. Fa çò que vòl e cambiá de direccion quand 
				aquò li canta.  
				De memòria perduda, l’endrech es reputat per èsser ventós. La 
				maire me contèt que son grand i anava per trespalar. Metiá lo 
				gran despigat dins de semals que cargava sus una carreta e 
				pujava ventar a Santa Clara dels Casses. De Morsens èra pas lo 
				sol a i anar. Amb los vesins s’arrengavan per i montar pas qu’amb 
				un sol parelh. Fasián de cocarretatge. Autrecòps s’estalviava lo 
				mendre pas. 
				 
				Lèvi los uèlhs coma per saludar lo gal. Jamai èri pas vengut 
				aicí. Atanben es lo primièr còp que lo vesi. Lo temps d’una 
				liuçada m’agacha pas que d’un uèlh. Tanlèu aprèp, me vira l’esquina. 
				Subte, ai l’impression que me vòl pas mai véser. Se diriá que m’agachava 
				de naut. Lo tròbi autiu e mespresent. Es plan un gal ! 
				Al mitan de las ronfladas descabestradas caïneja a cima de son 
				cloquièr. Amont-naut, sembla fièr d'aver panat la plaça d'una 
				crotz. Empacha pas qu’a moments gemèga e clocís coma s’èra 
				desesperat de poder pas s’envolar. Pauc de monde montan fins 
				aicí. De los que prenon aqueles camins de travèrsa, lor vendriá 
				pas a l’idèia de carrejar un pauc de grais dins la museta per 
				onchar son torilhon. Pincat sus son cloquièr-muralha es plan 
				sol. 
				 
				Sabi que soi arribat a la capèla Santa Clara. Avant de partir la 
				maire me recomandèt :  
				- Quand auràs traversat los bòsques de la Calvetariá, a cima de 
				quatre quilomètres, sus un puèg, trobaràs una capèla isolada. 
				Aquí te poiràs pausar qualques minutas. Sa pòrta es pas jamai 
				clavada, mas subretot i dintres pas. D’ont mai se fa autan. E 
				mesfisa-te que d'uèi lo vent me sembla se voler levar. Doblides 
				pas çò que ditz menina Angèla : « De l’autan de Santa Clara, 
				degun se’n apara ». 
				Emai aviá rason la maire, fa una ora, quand partigèri de l’ostal, 
				auriá pas jamai cresegut que l’autassa anava tirar amb tant de 
				furor. La ventòrla es talament desordonada e marrida que me 
				botariá pel sòl. Soi obligat de m’anar recaptar de sas butadas a 
				l’òrle del bòsc. Los revolums del vent me susprenon d’ont mai 
				que, caminant jos l’abram acimat, m’èri pas mainat de res. Soi 
				un pauc desvariat per sa violéncia. 
				 
				Pasmens, tanlèu la primièra calama, la curiositat me buta cap a 
				la gleisòta. Sa pòrta, virada a l’ubac, es tras que vièlha e 
				tota desrabissada per las pluèjas e las geladas dels temps. Las 
				nervaduras de sas pòsts espesas, salhisson. Sos clavèls, dels 
				caps gròsses e arredondits, son totes rovilhats. Cadun dels 
				batents a casut un bocinèl sus sos gafons, mas l’ensems balha 
				encara l’impression d’una grand robustesa. 
				 
				La mamà m’a plan exortat de dintrar pas dins l’edifici quand 
				bufa l’autan. Me poiriá arribar malur se l’escotavi pas. Nimai 
				per èsser encara jove, de totjorn ausiguèri dire qu’aquesta 
				capèla aviá marrida reputacion. Lo monde crentan l’espessor de 
				la selva e Santa Clara es al mitan dels bòsques. 
				Mas ieu vòli agachar, siaguèsse pas qu’un còp, l’estatua de la 
				santa. A çò que pareis que son agach esclaira la sornièra del 
				sanctuari. Alavetz, sens dintrar, decidissi de dobrir un batent 
				del portal. Atal desobesissi pas a la maire tot en podent 
				remirar Santa Clara de sul sulhet. Cachi sus la cadaula. Tanlèu, 
				lo vent virolejant me buta dins l’esquina. Teni fèrme la punhada 
				en faguent mèfi de me daissar pas emportar per la borrasca. Dins 
				lo fons del còr, a la claror de la pòrta mièja dobèrta, destrii 
				l’estatua. Darrèr la Santa Taula, sus son pedestal, la santa 
				sembla estonada de me véser. A mina d’èsser suspresa, mas pas 
				enferronida. A son agach siau sembla me voler convidar d’acabar 
				de dintrar. Mas teni cap. Son agach tendre me torna lo de la 
				maire. Dintrarai pas ! 
				 
				Pro de safranejar ! A Riuperdut, menina Angèla espera cambajon e 
				cabecons. Cambi la museta d’espatla per alternar lo pes. Me 
				demòra de camin de far. En preguent aquel acòrchi, maire me 
				diguèt qu’arribat sul puèg de Santa Clara me demorariá pas qu’un 
				dotzenat de quilomètres de percórrer. Valent a dire encara tres 
				oras d’estirada. Arribarai a Riuperdut per dinnar. Mamet serà 
				urosa de m’acuelhir. Solide que m’aurà aprestat qualques còcas 
				pel dessèrt. De las que fa tan plan. Res que d’i pensar me fa 
				venir las envegetas. M’atriga talament aquel moment que n’ai de 
				formigas dins las cambas. Me sentissi leugièr coma un parpalhòl. 
				Endralhi lo sendarèl que partís a l’oposat del camin que me 
				menèt dins aquela clarièra. Me pòdi pas enganar que n’i a pas 
				d’autre. La maire m’a prevengut : de Morsens fins a Riuperdut en 
				passant pels bòsques de la Calvetariá, la selva de Carlús e 
				Santa Clara dels Casses, i a pas qu’una carretal de seguir. 
				Justament, soi estonat de me mainar que se tracha pas mai d’una 
				pista forestièra, mas d’un dralhòl. Rai, la carretal se deguèt 
				embartassar ! D’argelasses e de brugas, ara bèls, butèron d’aicí 
				e d’ailà. 
				La selva es espandida e los arbres sarrats. A d’unes endreches 
				lo camin es a pena marcat. Cal ben dire que son pauques los que 
				lo trevan. Es enregat pas que pels boscatièrs e pels caçaires. 
				De monde qu’an quicòm mai de far que de netejar lo caminòl. Ça 
				que la, en faguent atencion capiti a lo destriar, mas aquò me 
				demanda una atencion permanenta. Quand m’arriva de lo pèrdre e 
				de me desviar un bocin, fau repè per tornar engulhar la bona 
				dralha. 
				 
				A la debuta lo caminòl davala un pauc per quitar lo puèg. Puèi, 
				se fa planièr. Dins lo sotabòsc i a pas grand causa de véser. 
				Pas que de cambas de garrics. Son d’arbres bèls que devon èsser 
				vièlhs de qualques centenats d’annadas. Lo solelh passa gaire lo 
				fulhatge. Es bravament filtrat per la brosta. La vegetacion es 
				escarsa jos aquesta cobèrta mièja escura. Se i rescontre, ça que 
				la, qualques pès de grifol. Dins la monotonia del paisatge, se 
				veson de luènh. Semblan de personatges pacients, quilhats aquí a 
				demòra per balhar color e un semblant de vida al bòsc. 
				Avanci d’un bon ritme. M’arriva de me retrobar dins una androna, 
				d’endralhar un caminòl que totcòp desapareis jos un tapís de 
				fuèlhas. Es pas mai marcat pel sòl. Alavetz, sabi pas pus ont 
				anar. Me demòra pas que de far repè e retrobar lo dralhòl que 
				sembla lo bon. A fòrça d’anar d’un costat e de l’autre, pèrdi 
				temps. La mòstra, ela, vira. Vesi pas venir la sortida del bòsc. 
				Sabi ara que serai pas a mièjorn en çò de mameta. Jamai de la 
				vida tornarai pas ratrapar lo temps perdut. Me va esperar. Se va 
				far una sang de vinagre. Pr’aquò la maire m’aviá afortit que lo 
				camin èra plan traçat. De costuma parla pas sens saber. 
				Probablament que la carretal se deguèt desgalhar recentament. 
				A onze ora e mièja desemboqui sus un descobèrt. Fa un solelh 
				pallinèl. L’autan, que fins ara passava per dessús la cima dels 
				arbres, se ronça e revoluma dins la clarièra. Aviái un moment 
				doblidat lo vent, emai me mancava pas. Es caud e pesuc. Me maini 
				que me tusta suls nèrvis. Al mitan de l’espaci liure, a broa de 
				sendarèl, se tròba una muralheta en dessus d’una mena d’abeurador 
				bastit. Una canal de pèira salhís de la muralha. Pòrta l’aiga 
				que dorza del toral. Lo rajòl es pas plan gròs, al pus mai fa un 
				det. L’endrech es molhós e agradiu. Pertot s’i vei de piadas de 
				bèstial. Probable que cèrvis, cabròls e singlars s’i venon 
				abeurar. 
				Me sèsi sul relaisset de la nauca. Entre doas bufadas de vent 
				escoti rajolar l’aiga. Comenci per èsser las. Dins lo pitre, mon 
				baticòr se fa pus violent. Me fau de lanha de me sentir perdut 
				al mièg de la selva. Fa ara doas oras e mièja que soi partit de 
				Santa Clara dels Casses, ai degut faire dètz quilomètres e soi 
				pas encara sortit del bòsc. Es pas normal. I a quicòm que truca. 
				Me fau de pensament, per ieu e per la mameta. Se deu demandar çò 
				que se passa. Soi sol. Cossí demandar mon camin a qualqu’un, 
				alara que degun passa pas per aquí ? 
				Sus la paret, just en dejós del bèc d’aiga, escalprada dins una 
				pèira blanca de gres légissi la mencion « Font dels monges - 
				1666 ». L’inscripcion es gaireben escafada pels tempèris. A pro 
				pena se se pòt legir. Aquela informacion, se me regaudís pas, 
				almens me rassegura un bocinèl. Soi pas completament perdut qu’aquela 
				Font dels Monges la coneissi per l’aver ausida de la boca del 
				paire. Li arriba de ne parlar amb sos amics caçaires. Imagini 
				que se tròba plan sul camin de Riuperdut. Soi probablament pas 
				plan luènh de l’aurièra del bòsc.  
				 
				Miègjorn ! seriá ora per manjar, mas ai pas talent. Ai l’estomac 
				noselat per l’incertesa. Quantes de quilomètres me demòran de 
				percórrer ? Soi dins la bona direccion ? L’autan que me secuta 
				se va enfin pausar ? L’ausissi de longa romegar dins las brancas 
				dels garrics. A créire que s’arrestarà pas jamai de bufar... Son 
				pas las questions que me pausi que me fan gaire avançar. Pòdi 
				pas far autrament, decidissi de contunhar. Torni getar la biaça 
				sus l’espatla e fau tirar. 
				Torni endralhar lo sendarèl. Es totjorn aitant estrech e plan 
				mal marcar. Mas a partir d’aquí es bordejat per de matas de 
				falguièras. Rai ! qu’aquò dura pas. Lèu lo bòsc se torna far 
				espés. Mai los arbres se sarran e mai lo sorabòsc se fa escur. 
				Pauc a cha pauc las falguièras daissan la plaça a la rondòta que 
				s’espandís de pertot. Lo caminòl, demorant sul planièr, ziga-zaga 
				entre los arbres centenaris. Aquela pausa al ras de la font m’a 
				fach de ben. Me sentissi de vam e m’atriga de tornar véser lo 
				solelh al pus lèu. Ai las cambas leugièras e valentas. De gaire, 
				se m’escotavi, me metriái a córrer. Mas es inutil. Considèri que 
				vau pro aviat per me tirar lèu d’afar. 
				 
				A cima d’una bona orada de caminada, me maini que vesi pas 
				encara de clartat lusir davant ieu. Aquò vòl dire que soi pas 
				encara sortit de la selva. M’engani mai d’un còp de direccion. 
				Talament que me demandi se soi pas a virar en redond. Pasmens, 
				la selva de Carlús es pas tan granda que se pògue pas traversar 
				en cinc oras de temps…  
				Ara soi solide que viri a redond. Soi coma una feda qu’auriá 
				agantat lo caluquitge. Aquela subta presa de consciéncia me fa 
				estrementir. Ne soi tot trebolat, emai desvariat. Ara, mas 
				cambas semblan venir tras que pesugas. D’un autre latz, pregui 
				per que m’abandonèssen pas al mitan dels bòsques. Seriá çò piège 
				que me poiriá arribar. Levi los uèlhs jos la volta del fulhum. 
				Aquesta contunha d’èsser malament brandida per las borrascas de 
				l’autan. Me disi qu’al mens, aquí çai, soi a l’abric de la rabia 
				del vent. Mentretant, es ora de me tirar d’aquel malpas. Se fins 
				ara agèri pas paur, ara crenti de demorar presonièr de la 
				cassanha per la nuèit. 
				 
				Son doas oras del vèspre. Veni de trobar, a broa del sendarèl, 
				una capitèla. Una barraca pichona bastida amb de lausas. A pas 
				de pòrta, mas lo pelsòl es sec, çò que pròva que ten l’aiga. Me 
				disi que se deviái passar la nuèit endacòm dins lo bòsc, es aquí 
				que me caldriá demorar. Seriái almens a l’acès de la pluèja 
				quand lo vent se va pausar. Caldrà ben que l’autan s’arrèste de 
				bufar. E quand l’autan s’arrèsta de tirar, plòu ! Mai lo vent es 
				dolent e mai canina serà la pluèja, ditz lo provèrbi. 
				Nimai per la capitèla, me pòdi pas far a l’idèia de m’èsser 
				completament perdut dins aquela selva. Aquò’s pas possible ! Ai 
				seguit a la letra las recomandacions que me foguèron estadas 
				fachas. Arrèsti pas de pensar a la paura menina que se deu 
				demandar çò que soi devengut. Benlèu qu’a ja mandat qualqu’un a 
				l’ostal per demandar s’èri plan partit aqueste matin. S'es lo 
				cas, la familha tota deu traire mal. Ja, amb los vesins, son 
				benlèu partits a la meu rescorsa. Mas pensadas viran e reviran, 
				van de la mamà a la mameta. 
				 
				Demòri un moment sèit sus una de las pèiras que dins la capitèla 
				servisson de sètis. Ai la cara pausada dins los clòts de las 
				mans. Mas lèu torni levar lo cap. Dobrissi los uèlhs e lo vam me 
				torna. Ai pas una segonda per pèrdre. Me cal tornar caminar e 
				ensajar de tirar tot drech, mas totjorn en seguiguent lo dralhòl. 
				Es pas possible qu’un caminòl, per tant pichon foguèsse, mene 
				pas endacòm. Soi dintrat dins aqueles bòsques de la Calvetariá 
				e, d’un biais o d’un autre, me’n caldrà ben sortir abans nuèit. 
				Me meti de pè e cargui la museta. Ai pas ni freg, ni caud, ni 
				talent, nimai set. Ai pas qu’una idèia en cap : me tirar d’aquela 
				marrida trapèla. Torni engulhar la dralha. Ai enveja de córrer, 
				mas me reteni. Se me meti a córrer, ai paur de venir fòl. De 
				poder pas mai m’arrestar fins a tombar d’adeliment. Se me’n vòli 
				sortir, me cal demorar suau. Me cal servar èime e rasonament. 
				Fau l’esfòrç de me concentrar sus mos passes. Ai pas 
				l’impression d’èsser las e camini encara d’un bon ritme. Me 
				sentissi de veta per far encara qualques quilomètres. Segurament 
				prones per sortir d’aquel fotralàs de bòsc. 
				 
				Ne soi aquí de mas pensadas quand, subran, ausissi - o me sembla 
				ausir - lo cant d’una pola que ven de far l’uòu. M’arrèsti net 
				que me demandi çò que m’arriba. Tibi l’aurelha. Pòt pas èsser 
				una illusion auditiva : aquò’s plan una pola que canta. Emai 
				canta pas de plan luènh. Es aquí a drecha de cap al pichon 
				penjal que seguissi desempuèi qualques centenats de mètres. Fau 
				pas ni tu ni vos, quiti lo dralhòl e m’encamini cap aquí ont 
				ausiguèri cantar la pola. Se i a una pola al mièg dels rainals, 
				es que i deu aver d’umans per l’aparar. Soi salvat ! Soi ara 
				sortit del bòsc. Soi benlèu pas del costat de Riuperdut, nimai 
				benlèu del costat de Morsens, mas m’es egal. Lo tot es de tornar 
				veire lo cèl. 
				 
				Ai fach un centenat de mètres e me retròbi dins un descobèrt pas 
				plan bèl. Aqueste es barrat per una rancarèda nauta de cinc o 
				sièis mètres. Dins la paret se vei una cavitat de ròca en 
				partida barrada per una muralha de pèiras secas. Una pòrta de 
				fusta tampa aquel abric de fortuna. Sus un costat, un tudèl de 
				chuminèia fumerleja. Soi estomacat e decebut de constatar que la 
				selva contunha de s’espandir pertot a l’entorn. Soi pas ges, 
				nimai de cap de biais, sortit del bòsc.  
				Mas ai pas gaire léser de me desesperar. Sul codèrc vesi una 
				femna vièlha tirar cap a ieu. La paura ela, a l’esquina plegada. 
				Avança apevada sus un baston tan torsegut coma ela. Avança a 
				passes menuts, probablament que pòt pas far autrament, mas balha 
				l’idèia qu’a l’eternitat davant ela e que n’aprofiècha. Es 
				vestida de negre. Mocador de cap, rauba, davantal e debasses tot 
				es negre, manca qualques petaces que son de color pus clara. Las 
				pèças raportadas se tocan gaireben. A pas que los esclòps que 
				son pas completament negres. Pasmens son terroses. Se vei còpsec 
				que deu pas far la bugada cada an. Nimai deu pas quitar sovent 
				sa cauna. Benlèu que qualqu’un dels vilatges vesins la deu 
				avitalhar de quand e quand ? 
				Quand es prèp de ieu lèva lo cap. Sa cara es a l’encòp magra e 
				tota rafida. Lo còs de la vielhona es pas mai espés que son 
				baston. Sos uèlhs son totes pichonets dins d’orbitas pregondas. 
				Son negres coma sos vestits. I demòra gaireben pas de dents, 
				talament que se sembla manjar los pòts. Pasmens son agach es viu 
				e benvolent. Se planta davant ieu e i va tot d’una : 
				- T’esperavi dròlle. 
				- Cossí m’esperàvetz, alara que quitament ieu, i a cinc minutas, 
				sabiái pas qu’anavi venir ? 
				- Mas tu sabes pas tot e ne sabes plan mens que ieu. Vertat que 
				siás jove e qu’as léser de n’aprene… Jògui que te siás perdut 
				dins la selva e que me vòls demandar lo camin per ne sortir. Se 
				passa atal amb totes los qu’an prautit l’èrba de matagòt. 
				- L’èrba de matagòt ? Es lo primièr còp que n’ausissi parlar ! 
				- Ta maire sap probablament çò qu’es. Es la rason per la quala 
				te demandèt de dintrar pas dins la capèla de Santa Clara. Quand 
				l’autan tira, aquela èrba buta sul sulhet de las capèlas 
				embelinadas. Santa Clara dels Casses es maldicha desempuèi la 
				seu construccion. Se ditz que los monges que la bastiguèron 
				panèron una dròlla del país. Una dròlla que son nom s’es perdut 
				dins lo temps. Moriguèt de patiment e sos assassins l’an 
				enterrada sul pas de la pòrta. L’èrba de matagòt a pas 
				vertadièrament de sason. Per pauc que l’autan tirèsse, buta 
				quand aquò li agrada. Nimai se daissa pas conéisser del comun 
				dels mortals. Es invesibla. Ieu la pòdi véser, mas i teni pas. 
				Mens ne vesi e melhor me pòrti. 
				- E alavetz ? 
				- Me demandes pas ni cossí, nimai perqué, mas aquela èrba fa 
				pèrdre lo camin a lo que la prautís. Çò que sabi just es que l’Esperit 
				dels casses me balhèt lo poder de levar l’encantament. Se fas 
				los tres passes que nos desseparan, te tornarai sul camin de 
				Morsens.  
				 
				La vesprada s’avança. Son ja cinc oras e me triga de dintrar 
				rassegurar mon monde. Fau endavant. La breissa pausa son baston 
				contra un boisson blanc qu’es a sa portada. Me pren la berreta 
				de sul cap. La revira dedins-defòra. Quand l’a plan revirada la 
				me torna pausar sul cran amb l’etiqueta virada al cèl. Torna 
				prene son baston, demorat a posita, e se met a traçar per sòl de 
				figuras que non sauriái dire a çò que poirián semblar. L’ausissi 
				que recita de litanias. Las ditz de sotavotz, talament que sabi 
				pas dire se las escalcís en lenga nòstra. Quand a acabat, 
				m’agacha amb una riseta e comanda : 
				- Ara pòdes tornar metre ta còfa de biais e prene la carretal 
				que se tròba darrèr tu. 
				 
				Me reviri e soi estabosit de véser que darrèr ieu se troba una 
				carretal qu’i èra pas quand arribèri sus aquel codèrc. Se tracha 
				d’un camin vertadièr qu’auriá pogut èsser endralhat per un 
				parelh de buòus. Cossí se pòt far que l’aguèssi pas vist en 
				arribant alara que veni d’aquela direccion ? Mas ma salvatritz 
				me tira de mas soscadissas e espantaments. 
				- Cerques pas a comprene que la nuèit tombarà lèu. Afana-te 
				puslèu de dintrar en çò teu que ton monde t’espèra. Faràs 
				cinquanta mètres e tombaràs sus una pista forestièra. Prendràs a 
				drecha e dins vint minutas seràs arribat a la capèla de Santa 
				Clara. D’en d’aquí sabes lo camin. 
				- Dòna vos mercegi milanta còps de m’aver tirat d’aquel marrit 
				pas. Sens vos, sabi pas çò que seriái devengut. Probablament 
				perdut per la nuèit o a tot jamai. 
				- Merceja puslèu l’Esperit de casses e rebembre-te de tornar pas 
				prautir l’èrba de matagòt. 
				 
				Ai enveja de potonar aquela paura vièlha per m’aver tornat sul 
				bon camin. Mas vòl quitament pas ni cambajon, nimai cabecons. 
				Res ! me ditz que los Esperits de la selva o i reprocharián. 
				Torni cargar la museta plena. Lo temps preissa. Partissi a 
				cambas ajudatz-me. En camin me demandi cossí vau poder explicar 
				aquel afar a l’ostal. Abans de la rescontrar aviái pas jamai 
				ausit parlar d’aquesta vièlha masca que demòra dins la selva de 
				Carlús, nimai fins ara conseissiái l’èrba de matagòt. 
				Lèu, lo camin se fa drech. Tre que puja un bocin, compreni qu’arrapi 
				sul tuquet de Sant Clara dels Casses. En qualques encambadas 
				suplementàrias desemboqui sul tèrraplen de la capèla. Urós coma 
				lo que ven d’escapar a l’infèrn, polsi prigondament. Lèvi lo 
				cap. Lo solelh se va colcar darrèr la selva. Sul cloquièr del 
				sanctuari, tot destimborlat, lo gal de la giroleta vira e revira 
				coma un bèl diable dins las ventadas de l’Autan. 
				 
				Texte de 
				Sèrgi 
				Viaule de 
				Saint-Sulpice-la-Pointe (81), 2018  | 
             
            
              
                
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