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"Déboussolé, le coq de la girouette s'agite comme un beau diable
dans les rafales de l'Autan."
ou
encore :
"Tot destimborlat, lo gal de la giroleta vira e revira coma un bèl
diable dins las ventadas de l'Autan"
-
L'Auberge des Quatre-Vents
- Le mari de la
femme à Denis
- L'èrba de
Matagòt
L'Auberge des Quatre-Vents
Déboussolé, le coq de la girouette
s’agite comme un beau diable dans les rafales de l’Autan. Il chante,
son axe rouillé émet à chaque variation du vent un grincement modulé,
plaintif, aigu, ou grave, presque joyeux parfois, dont la force croît
dans les surventes et finit en lamento poignant aux pauses de l’Autan.
La jeune femme, dans son lit, l’entend bien, elle qui loge sous les
toits, dans un joli deux-pièces aménagé à son goût. Elle tend l’oreille
pour ne rien perdre du chant du coq, et s’amuse de ce rythme qui
s’accorde à celui du gros homme qui ahane sur elle. Elle en sourit
d’abord, puis, jusque là restée passive, elle bouge doucement pour
accompagner les mouvements de l’homme et mieux lui faire suivre la
cadence de la girouette. L’homme s’imagine qu’il émeut la donzelle dont
le sourire devient rire puis fou-rire qui la secoue et fait prendre
conscience de son erreur au mâle infatué de lui-même. Tout le monde perd
la cadence, la femme éjecte dans un tonique éclat de rire l’homme qui se
retrouve à l’extrême bord du lit ; il y perd sa dignité et l’équilibre,
et chute lourdement sur le tapis. La femme croit mourir de rire alors
que, furieux, décontenancé et pendant, le quinquagénaire quitte la
chambre en claquant la porte.
La fille, c’est moi, Jehanne ; peu écrivent correctement mon prénom,
mais cela n’est gênant que pour les documents officiels, que je dois
toujours faire corriger. La prononciation est la même, et cette
orthographe inhabituelle est due à mon père, universitaire original,
titulaire d’une chaire de littérature à la faculté de Toulouse, féru de
la poésie du XVI° siècle. Ma mère aussi était universitaire.
Moi, je suis la servante de l’Auberge des Quatre Vents, dont le
propriétaire vient de se retrouver sur la descente de lit. Avec mon
ascendance, je devrais être autre chose qu’une fille d’auberge dont le
patron use sans vergogne, et je le serais, s’il n’y avait eu un samedi
funeste.
Bachelière à seize ans ; à vingt je débutais une thèse sur la
littérature du Moyen Age et je vivais toujours dans la villa familiale à
Balma. Mon ami Pierre m’aimait avec distinction et discrétion.
Un samedi de juin, Pierre et moi nous allâmes au cinéma. Nous dînâmes en
ville, puis, chez lui, il me fit l’amour avec distinction et discrétion.
Dimanche matin, vers dix heures, il me raccompagna à Balma ; nous y
trouvâmes la villa ouverte à tous les vents, et mes parents assassinés.
La foudre tomba sur moi.
Ce fut l’enquête, une information judiciaire qui dura deux ans,
insupportables. Seule héritière, quelques mois après l’assassinat de mes
parents, je décidai de tout vendre, donnant ce que je ne pouvais vendre.
Je partis m’installer à Paris, sur un coup de tête ; je louai une
chambre d’hôtel au mois, puis, riche par mon malheur, six mois plus
tard, j’achetai un appartement dans le cinquième arrondissement. Six
mois m’avaient été suffisants pour trouver mon centre de gravité : la
Sorbonne, Saint Séverin et Saint Michel, les rues de La Huchette et des
Lombards. Les caves enfumées, alcoolisées et jazziques étaient devenues
ma drogue. Je devins la Juliette de tous les trompettistes qui se
prenaient pour Miles et la Catherine de tous les copains qui jouaient à
Jules et Jim. Je vivais de mes rentes, qui me valaient de nombreux amis
entre le Caveau de la Huchette, le Bœuf sur le toit, le Petit Opportun
et le Blue Note. Je faisais mon marché rue Mouffetard, dormais le jour
et vivais la nuit. Le notaire m’avait conseillé des placements de
notaire qui ne rapportent rien à personne, mon banquier des placements
de banquier qui rapportent aux banquiers et des escrocs des placements
qui volatilisent le capital. J’avais su résister à toutes les sirènes et
n’avais écouté que mon bon sens, qui malheureusement ne guidait pas ma
vie aussi bien que mes affaires ; à la faculté, je ne travaillais
d’abord pas assez, puis plus du tout.
Arriva la convocation des Assises ; j’y appris que deux pauvres hères,
bien inoffensifs, avaient été pervertis par la société, que l’étalage
insultant de la richesse de mes parents les avait provoqués, que la
résistance physique de mon père, un athlète du Gaffiot, et le mépris
glacial de ma mère étaient responsables de leur violence. N’eut été la
stupide obstination de mon père à refuser l’ouverture du coffre-fort,
tout se serait bien passé. L’Autan, réputé rendre fou, comme le Föhn des
Alpes ou la Tramontane, le vent qui vient à travers la montagne, fut
aussi cause de leur comportement : leur avocat situait bien les
responsabilités. Le troisième jour, j’abandonnai cette mascarade et pris
la route de Villefranche-de-Lauragais, puis Revel, sans autre but que de
fuir. Sur la route, les rafales de l’Autan puissant bousculait ma petite
voiture. Je découvris l’Auberge des Quatre Vents où je décidai de
déjeuner. Une affichette proclamait qu’on y cherchait une serveuse ; je
me proposai au patron pour un essai, malgré mon inexpérience. En une
semaine je fus agréée. En un mois, j’avais loué mon appartement
parisien, mis mes affaires dans trois valises, les trois valises dans ma
Dauphine, et installé le tout dans le deux-pièces mis à ma disposition
sous les toits de l’auberge. Secrète sur mes ressources, je me
comportais en bonne servante qui sait obéir, se taire et rire quand on
l’appelle Jeannette.
La clientèle de l’auberge est simple ; les jours de semaine ce sont les
chauffeurs-livreurs, le samedi, quelques habitués, comme monsieur
Demange, professeur de philosophie en retraite, vieux communiste pour
qui les purges de Staline sont des actes de saine gestion, le dimanche,
des touristes et parmi eux, les motards ! Braves garçons, un peu
frustres, rieurs, ils sentent le cuir, la brillantine, le savon de
Marseille et l’huile chaude, parlent haut et boivent sec. Ils vont par
bandes de six ou huit, veulent une table unique et partent en se donnant
des claques dans le dos, riant de leurs histoires, souvent les mêmes.
Les camionneurs furent les initiateurs de mon petit commerce personnel.
Un jour, l’un d’eux, alors que je déposais devant lui son café, mit sa
main dans mon creux poplité en demandant, mi-figue mi-raisin, quel
bienheureux profitait de ces richesses… Je faillis lui retourner une
gifle retentissante, mais, inspirée, optai pour une autre manière :
- Vous aimeriez être ce bienheureux ! Après le café, le pousse-café ! Et
le pousse-café pourrait être un pousse-jeannette...Le pousse-jeannette,
ça se passe dans la petite chambre au fond du couloir, à quatorze heures
quand j’ai fini mon service, et ça coûte trente francs !
A quatorze heures trente, les trente francs avaient changé de poche. Les
bonnes nouvelles vont vite et du mardi au vendredi, le pousse-jeannette
fonctionne à raison d’un ou deux camionneurs par midi, jamais plus. Le
soir jamais ; le samedi est le jour de monsieur Demange ; pour lui, pas
de petite chambre au bout du couloir, il déjeune, monte à mon logement
et prend son temps. Le dimanche, au printemps, viennent les motards, et
dans chaque bande un malin dès l’arrivée me regarde avec insistance :
celui-là est pour moi. Je le frôle de ma jupe, en me tournant, ma croupe
s’appuie sur son épaule, en le servant je me penche trop et mon corsage
trop échancré laisse voir mes seins trop lourds s’y promener trop
libres... Au café, je lui indique la manœuvre du pousse-jeannette et
trente francs passent dans ma poche. Ensuite, ils repartent en groupe en
riant aux éclats et en donnant au gagnant des bourrades dans les côtes.
Quant à mon patron, il considéra rapidement après le premier camionneur
qu’il avait un droit irréfragable, inaliénable et gratuit à la nuit du
jeudi que madame va passer chez sa mère, à Castelnaudary, revenant le
vendredi matin. Marcel passe la nuit dans mon lit et sa femme au lit du
notaire, car, chez sa mère, elle ne fait que dîner. Tout va donc pour le
mieux dans le meilleur des mondes possibles comme dirait ce bon Leibniz.
Hier, est arrivé un type de quarante-cinq ans environ, grand, beau,
élégant, qui visite, choisit et loue la plus grande chambre. Il sort des
billets de cinq cents francs et paye une semaine d’avance. Il déjeunera
et dînera à l’hôtel, dit-il, et fâché que le restaurant soit fermé le
lundi, il demande un plateau froid pour ce jour là, ce qu’on ne refuse
pas à l’effigie de Jean-Baptiste. Le soir même, après le dîner, il
m’appelle Jeannette, me demande de la monnaie, toujours sur un Poquelin,
et me laisse un pourboire de dix francs ! Monsieur Hubert mène grand
train, le sieur Hubert me plaît et, même sans pourboire, sans
pousse-jeannette, sans tambour ni trompette, j’irai bien faire un tour
dans la chambre sous la mienne ; il le comprend vite et en quittant la
table, mezza-voce, me glisse :
- A tout à l’heure, dans ma chambre ?
Depuis trois jours, je le rejoins chaque soir, mais nous sommes jeudi et
je crains la réaction de Marcel qui craint pour sa nuit. Sa femme part
avec un sourire qui en dit long sur son malin plaisir. Le service fini,
je file, prends une douche et pomponnée de frais...mais dans l’ombre du
couloir, Marcel barre le passage ; j’avance jusqu’à lui, décidée,
l’écarte d’un bras ferme. J’ai gagné, Marcel me laisse passer, le regard
torve ; il me faudra compter avec sa rancœur.
Plus de chauffeur, plus de monsieur Demange, Hubert, son séjour prolongé
d’une semaine, occupe tout mon temps libre ; je ne sais pas où me mène
cette histoire, mais je sais que je suis heureuse. Je sais aussi que
l’orage ne manquera pas d’éclater… Arrive lundi, et Hubert décide que
nous allons à Toulouse où nous déjeunons, puis, Hubert m’offre une robe
d’été, bleue et blanche, comme les robes que je portais, jeune fille
insouciante ; j’en ai les larmes aux yeux. Nous rentrons à la nuit,
demain je reprends mon service mais je partirai bientôt avec Hubert ;
j’ai retrouvé ma légèreté et ma gaîté…
Mardi matin, j’entre dans la salle de restaurant et je surprends mon
patron au téléphone du bar avec un air de conspirateur d’opéra. Mon
entrée lui fait interrompre le dialogue d’un bref « je vous rappellerai
». il quitte la salle et j’en profite pour redemander le même numéro à
l’opératrice qui me passe… la gendarmerie ! Je prétends avoir fait
erreur mais j’ai le pressentiment que la conversation surprise
concernait Hubert. Après mon service, je reste coite au fond du couloir
et j’entends Marcel au téléphone
- C’est sûr, c’est bien lui, il est dans sa chambre, avec la serveuse.
C’est le bon moment.
Je file à l’étage, j’explique la situation à Hubert qui jette ses
affaires dans sa valise et prend sous le lit un attaché-case que je
n’avais jamais vu et me donne la valise en me disant :
- Passe par l’escalier de secours, mets la dans la voiture, rentre dans
ta chambre et n’en bouge plus !
J’obéis, mais au lieu d’aller chez moi, je reste cachée sous l’escalier
et je vois arriver une première voiture de gendarmerie qui bloque la
sortie des garages, j’en entends une seconde qui s’arrête devant
l’auberge ; des portières claquent ; du break devant moi, sortent deux
hommes armes automatiques en main qui surveillent la sortie de secours.
Soudain, Hubert surgit sur le palier, il tient un revolver d’une main et
l’attaché-case de l’autre. Un gendarme lui hurle de s’arrêter, Hubert
lève son arme et tire, le gendarme tombe, mais l’autre lâche une rafale
et Hubert bascule, l’attaché-case passe par dessus la rambarde et en
arrivant au sol éclate et s’ouvre largement.
De la mallette éventrée, les mains innombrables de l’Autan arrachent les
billets de cinq cents francs, les projettent en l’air, les plaquent au
sol pour les reprendre et les faire voler plus haut encore, s’amusent à
les éparpiller, les élèvent dans des tourbillons infernaux qui les
portent en tournoyant jusqu’au toit, puis les rabattent au sol, les
rassemblent dans le coin de la cour, en couvrent comme d’un linceul le
corps du gendarme mort, les éparpillent à nouveau et rejouent sans fin
cette danse macabre.
J’entends le coq de la girouette grincer d’un rire ironique et
diabolique, éperdu dans une valse au rythme d’Autan..
Texte
de Robert Michel Degrima, de Mauguio (34), 2018
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Le mari de la
femme à Denis
Déboussolé, le coq de la
girouette s’agite comme un beau diable dans les rafales de
l’autan. Les feuilles des arbres bruissent. Un volet claque
dans une rue avoisinante. Denis lève la tête et regarde les
nuages sombres qui s’amoncellent au-dessus du clocher. Tout cela
ne lui dit rien qui vaille. Le temps est à l’orage. Il ne pourra
pas voler cet après-midi.
C’est très étrange. Plus Denis y songe, plus il se dit que
quelque chose ne tourne pas rond. De fait, Denis passe le plus
clair de son temps à réfléchir à des choses que les autres
ignorent délibérément. Cela relève de sa spécialité. De son
activité professionnelle.
Denis est le spécialiste mondial du contresens et de l’euphonie
du Lauragais. Il en professe les arcanes à l’Université voisine
où ses collègues le surnomment « le fougueux magistère » (pour
une raison que Denis n’a jamais élucidée). Ainsi, songe-t-il, un
coq ne peut être déboussolé. Car s’il le pouvait, il pourrait
également se « reboussoler ». Or le verbe « boussoler »
n’appartient pas à la langue française. On pourrait l’inventer,
bien sûr. Mais dans ce cas, que signifierait-il ?
Un coq de girouette n’est pas conçu pour indiquer le nord. Le
serait-il que son axe rouillé et ses grincements l’empêcheraient
de pivoter librement. Les faibles forces électromagnétiques
seraient insuffisantes pour l’orienter dans la bonne direction.
Et même encore, il faudrait que la tête et la queue du coq
soient polarisées en sens contraire. Ce qui n’est pas le cas.
Pour être tout à fait exact, il convient de dire que Denis n’a
jamais pensé à vérifier ce point de détail. Les fabricants de
girouette polarisent-ils les extrémités de leurs coqs ? Tout
cela est fort possible, puisque ces coqs sont métalliques. Il
semble tout à coup urgent à Denis d’aller vérifier tout cela sur
place. Il vient peut-être de débusquer non une euphonie, mais
bel et bien un contresens éventuel.
Il rentre chez lui et, parce qu’il ne demeure pas très loin, est
promptement de retour, armé d’une corde de rappel, d’une burette
d’huile, de quelques pitons d’escalade et de mousquetons. Il lui
faut une bonne vingtaine de minutes pour atteindre le sommet de
son clocher pendant qu’une petite troupe de curieux – allez
savoir pourquoi – se rassemble sur la place du village.
Ce que Denis trouve au sommet du clocher est un axe affreusement
rouillé. Il l’asperge de généreuses giclettes qu’il produit à
l’aide de sa burette, mais ne parvient pas à réduire de façon
notable les forces de frottements qui s’opposent à la rotation
du gallinacé. Il s’aperçoit alors qu’il a oublié de se munir
d’un aimant pour vérifier l’inversion de polarité des extrémités
du volatile. Il doit redescendre de son clocher, rentrer chez
lui, se frotter les pieds sur le paillasson comme sa femme lui a
recommandé plusieurs fois. Croyez-le ou non, il a dans sa
cuisine un réfrigérateur dont la porte est presqu’entièrement
recouverte de petits aimants.
De retour au sommet du clocher il peut enfin prouver que les
coqs de girouettes ne sont pas polarisés. D’ailleurs, il
s’aperçoit au même moment que ladite girouette surmonte une
croix de fer forgé qui indique obstinément les quatre points
cardinaux. Il en déduit que l’église est fixe, qu’elle ne tourne
pas sur une sorte de rotonde dont le maire, toujours espiègle,
aurait pu munir la place du village, qu’il est temps de
redescendre, que le temps se calme, qu’il va pouvoir enfin
décoller aux commandes de son Fouga Magister. Grâce à sa femme.
S’il existe une femme parfaite sur terre c’est bien la femme à
Denis. Elle a cousu les six uniformes de gendarme qui étaient
nécessaires pour habiller les copains de Denis qui l’ont escorté
quand il est allé chercher le Fouga. Même celui de Marie-Noëlle,
la Réunionnaise, une femme de 120 kilos, qui fait un peu peur,
et qui fait encore plus peur lorsqu’elle est habillée en
gendarmette.
On a déjà fait remarquer à Denis que l’expression « la femme à
Denis » est maladroite. On ne dit pas « la femme à Denis », mais
bien « la femme de Denis ». Parce qu’une femme n’est pas une
chose. Le serait-elle d’ailleurs que cela ne changerait rien à
l’affaire. On ne dit pas « la brosse à dent à Denis » donc ce
genre de remarques est hors de propos.
Denis s’en contrefiche. Il est le spécialiste mondial de
l’euphonie (et du contresens) du Lauragais, il a une réponse
toute faite pour les empêcheurs de tourner en rond, les coqs
comme les autres. « La femme de Denis » est un exemple parfait
de contre-euphonie. Il explique à qui veut l’entendre que la
répétition de la syllabe « de » agace l’oreille. La langue
française, de manière générale, évite ce genre de désagrément
auditif. Elle pourvoit alors des « ne », des « t », ou des « z »
explétifs qui évitent la faute musicale. De ce point de vue, «
la femme à Denis » est bien mieux que « la femme de Denis ».
Denis aurait bien sûr cédé à la vox populi si la situation avait
été quelque peu différente. Se fût-il prénommé Rachid, par
exemple, qu’il eût abandonné sans résistance aucune, et qu’il
aurait dénoncé non la contre-euphonie mais le facétieux
contresens : « la femme à Rachid » dénote la femme huileuse,
voire adipeuse.
Ce n’est pas du tout le cas de son épouse. La femme à Denis est
absolument ravissante. Un corps de déesse, une tête parfaite (à
l’intérieur comme à l’extérieur), une grâce naturelle ineffable
et surtout, du cœur à l’ouvrage été comme hiver.
Lorsque Denis la vit pour la première fois, il était encore
étudiant et en tomba amoureux au premier battement de cil. Elle
sut lui faire comprendre qu’elle était de la vieille école, que
s’il la voulait, il fallait qu’il l’épouse. Lui s’étonna de sa
chance. Se dit qu’il fallait qu’il se dépêche. Qu’il fallait
qu’il se déclare de suite. Sans quoi la belle serait conquise au
plus vite par un de ces étudiants rapiat et beau-parleur qui
pullulaient à l’époque dans l’enceinte universitaire. (Des
sources récentes dignes de foi indiquent qu’il semble que cette
génération se soit reproduite spontanément).
Elle posa une condition à leur union : chaque vendredi soir,
après le dîner, elle quitterait leur domicile pour aller passer
la nuit ailleurs. Chaque samedi matin, juste avant le
petit-déjeuner, elle reviendrait le sourire aux lèvres. Jamais
il ne poserait la moindre question. Jamais il n’essaierait de la
suivre ou de repérer, par un moyen ou par un autre, l’endroit où
elle se rendrait. Toujours il la laisserait passer cette nuit où
elle voulait et comme elle le voulait, à sa guise. C’était à
prendre ou à laisser.
Il s’y laissa prendre.
Il ne le regretta pas. Il avait épousé la seule femme parfaite
sur terre. Ils s’installèrent à Quissac, un charmant petit
village du Lauragais. Si vous êtes de la région vous rétorquerez
sans doute que vous n’avez jamais entendu parler de cet
endroit-là. Eh bien, laissez-moi vous dire que vous vous
trompez.
Si vous regardez une carte vous constaterez vous-même que
Quissac est un village du Gard, à peu près à égale distance de
Nîmes et de Montpellier. Et qu’il n’existe aucun village de ce
nom dans la région de Toulouse. C’est la carte qui est fausse.
C’est à cause de Denis.
Parce qu’il existe bien un village du nom de Quissac dans le
sud-est toulousain. Il en existe un autre, du même nom, dans le
Gard. Denis décréta aussitôt qu’il était en présence d’une forme
rarissime d’euphonie municipale. Une sorte de hiatus
géographique. Une monstruosité qu’il lui appartenait d’éradiquer
sur le champ. Un beau matin il confectionna donc un panneau
qu’il appela un « panneau de contre-sens ».
Lorsque la voiture de Google arriva, elle fit trois fois le tour
du rond-point à l’entrée du village et n’y entra jamais. Le
village ne fut pas photographié. Aucun n’internaute n’eut donc
jamais la curiosité d’aller contempler ses charmantes petites
maisons, sa place démunie de rotonde pivotante et le coq de la
girouette de son clocher qui, les jours d’autan blanc ou d’autan
noir, s’affolait tellement qu’il lui arrivait de se sentir
déboussolé. Le village tomba en désuétude. Il disparut des
cartes. D’aucuns firent remarquer à Denis que son panneau de
contre-sens était un panneau de sens interdit.
— C’est bien ce que je voulais dire, répliqua Denis.
— Mais si c’est un panneau de sens interdit, pourquoi tu ne le
dis pas alors ? Pourquoi tu l’appelles un panneau de contre-sens
?
— Parce qu’alors ça devient un vrai contre-sens.
Il arracha tous les panneaux de signalisation qui signalaient un
village qui n’existait plus. La Direction Départementale de
l’Equipement en remplaça quelques-uns, une fois ou deux, puis se
lassa. Le village disparut pour de bon, c’est-à-dire qu’il
disparut de la mémoire collective. On ne pouvait jamais avoir le
dernier mot avec Denis.
Lorsqu’il déclara qu’il voulait un Fouga Magister, qu’on en
trouvait encore de beaux spécimens laissés à l’abandon dans un
hangar militaire près de Montauban, que le seul moyen d’en
dérober un exemplaire était de se faire escorter nuitamment par
une brigade de gendarmerie, sa femme lui sourit et entreprit de
confectionner des uniformes de gendarme. À la main, sans machine
à coudre. D’un point tellement régulier qu’il aurait dégoûté
tout industriel compétent de ne jamais fabriquer une machine qui
sache mieux coudre et plus vite.
Les faux gendarmes préférèrent éviter l’autoroute et ramenèrent
le Fouga Magister à Quissac en passant par la départementale
820. Cela leur prit une semaine, chaque nuit. Le jour l’avion
était recouvert d’une bâche pour éviter les regards des curieux.
La nuit ils barraient la route de cônes orange et blanc. Denis,
au volant d’un tracteur agricole qui devait appartenir à
quelqu’un remorquait l’aéronef avec l’autorité d’un empereur
romain. L’estafette Renault d’un autre âge, peinte de bleu et
ornée d’un gyrophare fermait la route. Elle ne suscita aucun
commentaire parmi la population, tout habituée qu’elle est à
considérer que les services de l’Etat sont sous-équipés en
permanence et qu’ils font durer ce qu’on ne leur remplace pas.
L’objectif fut atteint, Denis parqua le Fouga Magister dans un
champ près de chez lui et attendit que l’autan se calme pour
pouvoir l’essayer.
Il s’étonnait bien sûr que l’Académie ne l’appelât point. Il
avait entendu dire qu’une place s’était libérée récemment, qu’un
fauteuil restait vide, qu’une épée et un habit vert attendaient
leur nouveau propriétaire. Il se prépara donc mentalement à
cette nouvelle investiture et réfléchit même quelques minutes à
ce qu’il pourrait dire lors de son discours d’intronisation. Il
devait absolument ne pas oublier de louer la sagesse et la
justesse de vue de ceux qui avaient décidés d’inviter en leur
sein un spécialiste de l’euphonie et du contresens. Car, pour
autant qu’il le sache, aucun académicien n’était vraiment
compétent dans ces domaines. (Encore que s’agissant des
contresens, certains d’entre eux avaient montré une inclination
naturelle digne d’éloge).
Concernant l’euphonie, nul académicien vivant n’arrivait à la
cheville d’Alphonse de Lamartine. Cet ancien garde du corps de
Louis XVIII, qui s’était reconverti dans la littérature
bricolée, plaisait particulièrement à Denis. Son nom déjà posait
problème et lorgnait vers le contresens. S’agissant d’un
individu de sexe masculin, Denis était d’avis qu’il aurait dû
s’appeler Lemartin. Lemartin est un patronyme de bon aloi,
fleurant bon l’homme droit et sincère. Lamartine quant à lui
laisse entrevoir les vicissitudes cachées, les atermoiements et
les inclinations particulières. D’ailleurs certains aspects du
style du poète ex agent de sécurité dénotaient ce penchant
originel.
« En vain je tournais ma peine vers mes livres » était un vers
de toute beauté et désignait le spécialiste caché de l’euphonie
de contre-sens, encore appelée contrepet. Cette seule ligne
justifiait à elle seule la présence du poète sous la coupole
dorée à l’or fin. Il fallut encore quelques années pour que l’on
découvre le sens caché sous l’euphonie. Un monument de la
littérature française. Un summum. La perfection descendue sur
terre. Denis savait ce siège-là inoccupé et était convaincu
qu’il lui reviendrait de droit. Sans doute qu’un survol en rase
motte du bâtiment portant le numéro 23, quai de Conti, à Paris,
réveillerait les quelques vieilles badernes qui tardaient un peu
à se déclarer. Denis se félicitait que le Fouga Magister fût
équipé de fumigènes, un bleu, un blanc et un rouge, comme tous
les avions de la patrouille de France. Ils allaient voir ce
qu’ils allaient voir.
Comme chaque vendredi soir la femme à Denis quitta le domicile
conjugal. Il la regarda partir, par la fenêtre du salon, un peu
fatiguée sans doute, car elle marchait lentement le long du
trottoir. C’était difficile. Chaque fois il avait le cœur gros.
Ne pouvait s’empêcher de penser qu’elle allait peut-être,
qu’elle allait sans doute, retrouver un autre homme. Cette
fois-ci cependant, et nul se sut jamais pourquoi, Denis
s’habilla à la hâte et décida de la suivre.
Ce n’était pas un homme que la femme à Denis rencontrait.
C’était Marie-Noëlle, la Réunionnaise. Il les vit se rencontrer
et se faire la bise, dans une petite ruelle sans passage. Elles
marchèrent quelques minutes ensemble pour finalement entrer dans
une maison du village qui paraissait inoccupée. C’est la femme à
Denis qui avait la clef. Elle ne referma pas la porte derrière
elle. Denis n’entendit pas le cliquetis de la serrure refermer
le pêne. Il attendit un peu. Il savait qu’il allait entrer à
leur suite. Il avait besoin de savoir. Il avait peur en même
temps.
Quand il sut il n’en crut pas ses yeux. Sa femme et Marie-Noëlle
étaient étendues à même le sol. Leurs chevelures relevées
laissaient apparaître un curieux mécanisme, une sorte de boîtier
qu’elles avaient dans le crâne. De ce boîtier partait un fil
électrique, lui-même branché sur le secteur. Une sorte de
chargeur, en somme.
Denis s’en doutait depuis des années. La femme parfaite n’existe
pas. Il n’en fut même pas triste. Il referma doucement la porte
de la demeure inhabitée et rentra chez lui. Ce week-end, il
ferait voler le Fouga Magister. Il connaissait une portion de la
D813 assez rectiligne, assez longue, et assez dépourvue de
lignes électriques pour lui servir de piste d’envol.
Ensuite, il mettrait le cap sur l’Académie Française, pilotant
avec élégance et détachement son bel oiseau à l’empennage
bifide.
Texte de
François
Capet, de
Liège (Belgique), 2018
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L'èrba de Matagòt
Tot destimborlat, lo gal de la
giroleta vira e revira coma un bèl diable dins las ventadas de
l’Autan. Sa siloèta d’acièr sembla de saber pas ont virar lo
cap. Se diriá qu’a perdut canturla. O alara auriá agantat lo
caluquitge ? Benlèu lo dançum ? Lo vent revoluma que non sai.
La capèla romanica es pausada a cima d’un tuquet pelat. Pas un
arbre per arrestar lo vent, res ! La giroleta remolina a bèl
èime. Se sap ben pro que tanlèu passat Montanha Negra, l’autan
ven fòl e ren fòl. Fa çò que vòl e cambiá de direccion quand
aquò li canta.
De memòria perduda, l’endrech es reputat per èsser ventós. La
maire me contèt que son grand i anava per trespalar. Metiá lo
gran despigat dins de semals que cargava sus una carreta e
pujava ventar a Santa Clara dels Casses. De Morsens èra pas lo
sol a i anar. Amb los vesins s’arrengavan per i montar pas qu’amb
un sol parelh. Fasián de cocarretatge. Autrecòps s’estalviava lo
mendre pas.
Lèvi los uèlhs coma per saludar lo gal. Jamai èri pas vengut
aicí. Atanben es lo primièr còp que lo vesi. Lo temps d’una
liuçada m’agacha pas que d’un uèlh. Tanlèu aprèp, me vira l’esquina.
Subte, ai l’impression que me vòl pas mai véser. Se diriá que m’agachava
de naut. Lo tròbi autiu e mespresent. Es plan un gal !
Al mitan de las ronfladas descabestradas caïneja a cima de son
cloquièr. Amont-naut, sembla fièr d'aver panat la plaça d'una
crotz. Empacha pas qu’a moments gemèga e clocís coma s’èra
desesperat de poder pas s’envolar. Pauc de monde montan fins
aicí. De los que prenon aqueles camins de travèrsa, lor vendriá
pas a l’idèia de carrejar un pauc de grais dins la museta per
onchar son torilhon. Pincat sus son cloquièr-muralha es plan
sol.
Sabi que soi arribat a la capèla Santa Clara. Avant de partir la
maire me recomandèt :
- Quand auràs traversat los bòsques de la Calvetariá, a cima de
quatre quilomètres, sus un puèg, trobaràs una capèla isolada.
Aquí te poiràs pausar qualques minutas. Sa pòrta es pas jamai
clavada, mas subretot i dintres pas. D’ont mai se fa autan. E
mesfisa-te que d'uèi lo vent me sembla se voler levar. Doblides
pas çò que ditz menina Angèla : « De l’autan de Santa Clara,
degun se’n apara ».
Emai aviá rason la maire, fa una ora, quand partigèri de l’ostal,
auriá pas jamai cresegut que l’autassa anava tirar amb tant de
furor. La ventòrla es talament desordonada e marrida que me
botariá pel sòl. Soi obligat de m’anar recaptar de sas butadas a
l’òrle del bòsc. Los revolums del vent me susprenon d’ont mai
que, caminant jos l’abram acimat, m’èri pas mainat de res. Soi
un pauc desvariat per sa violéncia.
Pasmens, tanlèu la primièra calama, la curiositat me buta cap a
la gleisòta. Sa pòrta, virada a l’ubac, es tras que vièlha e
tota desrabissada per las pluèjas e las geladas dels temps. Las
nervaduras de sas pòsts espesas, salhisson. Sos clavèls, dels
caps gròsses e arredondits, son totes rovilhats. Cadun dels
batents a casut un bocinèl sus sos gafons, mas l’ensems balha
encara l’impression d’una grand robustesa.
La mamà m’a plan exortat de dintrar pas dins l’edifici quand
bufa l’autan. Me poiriá arribar malur se l’escotavi pas. Nimai
per èsser encara jove, de totjorn ausiguèri dire qu’aquesta
capèla aviá marrida reputacion. Lo monde crentan l’espessor de
la selva e Santa Clara es al mitan dels bòsques.
Mas ieu vòli agachar, siaguèsse pas qu’un còp, l’estatua de la
santa. A çò que pareis que son agach esclaira la sornièra del
sanctuari. Alavetz, sens dintrar, decidissi de dobrir un batent
del portal. Atal desobesissi pas a la maire tot en podent
remirar Santa Clara de sul sulhet. Cachi sus la cadaula. Tanlèu,
lo vent virolejant me buta dins l’esquina. Teni fèrme la punhada
en faguent mèfi de me daissar pas emportar per la borrasca. Dins
lo fons del còr, a la claror de la pòrta mièja dobèrta, destrii
l’estatua. Darrèr la Santa Taula, sus son pedestal, la santa
sembla estonada de me véser. A mina d’èsser suspresa, mas pas
enferronida. A son agach siau sembla me voler convidar d’acabar
de dintrar. Mas teni cap. Son agach tendre me torna lo de la
maire. Dintrarai pas !
Pro de safranejar ! A Riuperdut, menina Angèla espera cambajon e
cabecons. Cambi la museta d’espatla per alternar lo pes. Me
demòra de camin de far. En preguent aquel acòrchi, maire me
diguèt qu’arribat sul puèg de Santa Clara me demorariá pas qu’un
dotzenat de quilomètres de percórrer. Valent a dire encara tres
oras d’estirada. Arribarai a Riuperdut per dinnar. Mamet serà
urosa de m’acuelhir. Solide que m’aurà aprestat qualques còcas
pel dessèrt. De las que fa tan plan. Res que d’i pensar me fa
venir las envegetas. M’atriga talament aquel moment que n’ai de
formigas dins las cambas. Me sentissi leugièr coma un parpalhòl.
Endralhi lo sendarèl que partís a l’oposat del camin que me
menèt dins aquela clarièra. Me pòdi pas enganar que n’i a pas
d’autre. La maire m’a prevengut : de Morsens fins a Riuperdut en
passant pels bòsques de la Calvetariá, la selva de Carlús e
Santa Clara dels Casses, i a pas qu’una carretal de seguir.
Justament, soi estonat de me mainar que se tracha pas mai d’una
pista forestièra, mas d’un dralhòl. Rai, la carretal se deguèt
embartassar ! D’argelasses e de brugas, ara bèls, butèron d’aicí
e d’ailà.
La selva es espandida e los arbres sarrats. A d’unes endreches
lo camin es a pena marcat. Cal ben dire que son pauques los que
lo trevan. Es enregat pas que pels boscatièrs e pels caçaires.
De monde qu’an quicòm mai de far que de netejar lo caminòl. Ça
que la, en faguent atencion capiti a lo destriar, mas aquò me
demanda una atencion permanenta. Quand m’arriva de lo pèrdre e
de me desviar un bocin, fau repè per tornar engulhar la bona
dralha.
A la debuta lo caminòl davala un pauc per quitar lo puèg. Puèi,
se fa planièr. Dins lo sotabòsc i a pas grand causa de véser.
Pas que de cambas de garrics. Son d’arbres bèls que devon èsser
vièlhs de qualques centenats d’annadas. Lo solelh passa gaire lo
fulhatge. Es bravament filtrat per la brosta. La vegetacion es
escarsa jos aquesta cobèrta mièja escura. Se i rescontre, ça que
la, qualques pès de grifol. Dins la monotonia del paisatge, se
veson de luènh. Semblan de personatges pacients, quilhats aquí a
demòra per balhar color e un semblant de vida al bòsc.
Avanci d’un bon ritme. M’arriva de me retrobar dins una androna,
d’endralhar un caminòl que totcòp desapareis jos un tapís de
fuèlhas. Es pas mai marcat pel sòl. Alavetz, sabi pas pus ont
anar. Me demòra pas que de far repè e retrobar lo dralhòl que
sembla lo bon. A fòrça d’anar d’un costat e de l’autre, pèrdi
temps. La mòstra, ela, vira. Vesi pas venir la sortida del bòsc.
Sabi ara que serai pas a mièjorn en çò de mameta. Jamai de la
vida tornarai pas ratrapar lo temps perdut. Me va esperar. Se va
far una sang de vinagre. Pr’aquò la maire m’aviá afortit que lo
camin èra plan traçat. De costuma parla pas sens saber.
Probablament que la carretal se deguèt desgalhar recentament.
A onze ora e mièja desemboqui sus un descobèrt. Fa un solelh
pallinèl. L’autan, que fins ara passava per dessús la cima dels
arbres, se ronça e revoluma dins la clarièra. Aviái un moment
doblidat lo vent, emai me mancava pas. Es caud e pesuc. Me maini
que me tusta suls nèrvis. Al mitan de l’espaci liure, a broa de
sendarèl, se tròba una muralheta en dessus d’una mena d’abeurador
bastit. Una canal de pèira salhís de la muralha. Pòrta l’aiga
que dorza del toral. Lo rajòl es pas plan gròs, al pus mai fa un
det. L’endrech es molhós e agradiu. Pertot s’i vei de piadas de
bèstial. Probable que cèrvis, cabròls e singlars s’i venon
abeurar.
Me sèsi sul relaisset de la nauca. Entre doas bufadas de vent
escoti rajolar l’aiga. Comenci per èsser las. Dins lo pitre, mon
baticòr se fa pus violent. Me fau de lanha de me sentir perdut
al mièg de la selva. Fa ara doas oras e mièja que soi partit de
Santa Clara dels Casses, ai degut faire dètz quilomètres e soi
pas encara sortit del bòsc. Es pas normal. I a quicòm que truca.
Me fau de pensament, per ieu e per la mameta. Se deu demandar çò
que se passa. Soi sol. Cossí demandar mon camin a qualqu’un,
alara que degun passa pas per aquí ?
Sus la paret, just en dejós del bèc d’aiga, escalprada dins una
pèira blanca de gres légissi la mencion « Font dels monges -
1666 ». L’inscripcion es gaireben escafada pels tempèris. A pro
pena se se pòt legir. Aquela informacion, se me regaudís pas,
almens me rassegura un bocinèl. Soi pas completament perdut qu’aquela
Font dels Monges la coneissi per l’aver ausida de la boca del
paire. Li arriba de ne parlar amb sos amics caçaires. Imagini
que se tròba plan sul camin de Riuperdut. Soi probablament pas
plan luènh de l’aurièra del bòsc.
Miègjorn ! seriá ora per manjar, mas ai pas talent. Ai l’estomac
noselat per l’incertesa. Quantes de quilomètres me demòran de
percórrer ? Soi dins la bona direccion ? L’autan que me secuta
se va enfin pausar ? L’ausissi de longa romegar dins las brancas
dels garrics. A créire que s’arrestarà pas jamai de bufar... Son
pas las questions que me pausi que me fan gaire avançar. Pòdi
pas far autrament, decidissi de contunhar. Torni getar la biaça
sus l’espatla e fau tirar.
Torni endralhar lo sendarèl. Es totjorn aitant estrech e plan
mal marcar. Mas a partir d’aquí es bordejat per de matas de
falguièras. Rai ! qu’aquò dura pas. Lèu lo bòsc se torna far
espés. Mai los arbres se sarran e mai lo sorabòsc se fa escur.
Pauc a cha pauc las falguièras daissan la plaça a la rondòta que
s’espandís de pertot. Lo caminòl, demorant sul planièr, ziga-zaga
entre los arbres centenaris. Aquela pausa al ras de la font m’a
fach de ben. Me sentissi de vam e m’atriga de tornar véser lo
solelh al pus lèu. Ai las cambas leugièras e valentas. De gaire,
se m’escotavi, me metriái a córrer. Mas es inutil. Considèri que
vau pro aviat per me tirar lèu d’afar.
A cima d’una bona orada de caminada, me maini que vesi pas
encara de clartat lusir davant ieu. Aquò vòl dire que soi pas
encara sortit de la selva. M’engani mai d’un còp de direccion.
Talament que me demandi se soi pas a virar en redond. Pasmens,
la selva de Carlús es pas tan granda que se pògue pas traversar
en cinc oras de temps…
Ara soi solide que viri a redond. Soi coma una feda qu’auriá
agantat lo caluquitge. Aquela subta presa de consciéncia me fa
estrementir. Ne soi tot trebolat, emai desvariat. Ara, mas
cambas semblan venir tras que pesugas. D’un autre latz, pregui
per que m’abandonèssen pas al mitan dels bòsques. Seriá çò piège
que me poiriá arribar. Levi los uèlhs jos la volta del fulhum.
Aquesta contunha d’èsser malament brandida per las borrascas de
l’autan. Me disi qu’al mens, aquí çai, soi a l’abric de la rabia
del vent. Mentretant, es ora de me tirar d’aquel malpas. Se fins
ara agèri pas paur, ara crenti de demorar presonièr de la
cassanha per la nuèit.
Son doas oras del vèspre. Veni de trobar, a broa del sendarèl,
una capitèla. Una barraca pichona bastida amb de lausas. A pas
de pòrta, mas lo pelsòl es sec, çò que pròva que ten l’aiga. Me
disi que se deviái passar la nuèit endacòm dins lo bòsc, es aquí
que me caldriá demorar. Seriái almens a l’acès de la pluèja
quand lo vent se va pausar. Caldrà ben que l’autan s’arrèste de
bufar. E quand l’autan s’arrèsta de tirar, plòu ! Mai lo vent es
dolent e mai canina serà la pluèja, ditz lo provèrbi.
Nimai per la capitèla, me pòdi pas far a l’idèia de m’èsser
completament perdut dins aquela selva. Aquò’s pas possible ! Ai
seguit a la letra las recomandacions que me foguèron estadas
fachas. Arrèsti pas de pensar a la paura menina que se deu
demandar çò que soi devengut. Benlèu qu’a ja mandat qualqu’un a
l’ostal per demandar s’èri plan partit aqueste matin. S'es lo
cas, la familha tota deu traire mal. Ja, amb los vesins, son
benlèu partits a la meu rescorsa. Mas pensadas viran e reviran,
van de la mamà a la mameta.
Demòri un moment sèit sus una de las pèiras que dins la capitèla
servisson de sètis. Ai la cara pausada dins los clòts de las
mans. Mas lèu torni levar lo cap. Dobrissi los uèlhs e lo vam me
torna. Ai pas una segonda per pèrdre. Me cal tornar caminar e
ensajar de tirar tot drech, mas totjorn en seguiguent lo dralhòl.
Es pas possible qu’un caminòl, per tant pichon foguèsse, mene
pas endacòm. Soi dintrat dins aqueles bòsques de la Calvetariá
e, d’un biais o d’un autre, me’n caldrà ben sortir abans nuèit.
Me meti de pè e cargui la museta. Ai pas ni freg, ni caud, ni
talent, nimai set. Ai pas qu’una idèia en cap : me tirar d’aquela
marrida trapèla. Torni engulhar la dralha. Ai enveja de córrer,
mas me reteni. Se me meti a córrer, ai paur de venir fòl. De
poder pas mai m’arrestar fins a tombar d’adeliment. Se me’n vòli
sortir, me cal demorar suau. Me cal servar èime e rasonament.
Fau l’esfòrç de me concentrar sus mos passes. Ai pas
l’impression d’èsser las e camini encara d’un bon ritme. Me
sentissi de veta per far encara qualques quilomètres. Segurament
prones per sortir d’aquel fotralàs de bòsc.
Ne soi aquí de mas pensadas quand, subran, ausissi - o me sembla
ausir - lo cant d’una pola que ven de far l’uòu. M’arrèsti net
que me demandi çò que m’arriba. Tibi l’aurelha. Pòt pas èsser
una illusion auditiva : aquò’s plan una pola que canta. Emai
canta pas de plan luènh. Es aquí a drecha de cap al pichon
penjal que seguissi desempuèi qualques centenats de mètres. Fau
pas ni tu ni vos, quiti lo dralhòl e m’encamini cap aquí ont
ausiguèri cantar la pola. Se i a una pola al mièg dels rainals,
es que i deu aver d’umans per l’aparar. Soi salvat ! Soi ara
sortit del bòsc. Soi benlèu pas del costat de Riuperdut, nimai
benlèu del costat de Morsens, mas m’es egal. Lo tot es de tornar
veire lo cèl.
Ai fach un centenat de mètres e me retròbi dins un descobèrt pas
plan bèl. Aqueste es barrat per una rancarèda nauta de cinc o
sièis mètres. Dins la paret se vei una cavitat de ròca en
partida barrada per una muralha de pèiras secas. Una pòrta de
fusta tampa aquel abric de fortuna. Sus un costat, un tudèl de
chuminèia fumerleja. Soi estomacat e decebut de constatar que la
selva contunha de s’espandir pertot a l’entorn. Soi pas ges,
nimai de cap de biais, sortit del bòsc.
Mas ai pas gaire léser de me desesperar. Sul codèrc vesi una
femna vièlha tirar cap a ieu. La paura ela, a l’esquina plegada.
Avança apevada sus un baston tan torsegut coma ela. Avança a
passes menuts, probablament que pòt pas far autrament, mas balha
l’idèia qu’a l’eternitat davant ela e que n’aprofiècha. Es
vestida de negre. Mocador de cap, rauba, davantal e debasses tot
es negre, manca qualques petaces que son de color pus clara. Las
pèças raportadas se tocan gaireben. A pas que los esclòps que
son pas completament negres. Pasmens son terroses. Se vei còpsec
que deu pas far la bugada cada an. Nimai deu pas quitar sovent
sa cauna. Benlèu que qualqu’un dels vilatges vesins la deu
avitalhar de quand e quand ?
Quand es prèp de ieu lèva lo cap. Sa cara es a l’encòp magra e
tota rafida. Lo còs de la vielhona es pas mai espés que son
baston. Sos uèlhs son totes pichonets dins d’orbitas pregondas.
Son negres coma sos vestits. I demòra gaireben pas de dents,
talament que se sembla manjar los pòts. Pasmens son agach es viu
e benvolent. Se planta davant ieu e i va tot d’una :
- T’esperavi dròlle.
- Cossí m’esperàvetz, alara que quitament ieu, i a cinc minutas,
sabiái pas qu’anavi venir ?
- Mas tu sabes pas tot e ne sabes plan mens que ieu. Vertat que
siás jove e qu’as léser de n’aprene… Jògui que te siás perdut
dins la selva e que me vòls demandar lo camin per ne sortir. Se
passa atal amb totes los qu’an prautit l’èrba de matagòt.
- L’èrba de matagòt ? Es lo primièr còp que n’ausissi parlar !
- Ta maire sap probablament çò qu’es. Es la rason per la quala
te demandèt de dintrar pas dins la capèla de Santa Clara. Quand
l’autan tira, aquela èrba buta sul sulhet de las capèlas
embelinadas. Santa Clara dels Casses es maldicha desempuèi la
seu construccion. Se ditz que los monges que la bastiguèron
panèron una dròlla del país. Una dròlla que son nom s’es perdut
dins lo temps. Moriguèt de patiment e sos assassins l’an
enterrada sul pas de la pòrta. L’èrba de matagòt a pas
vertadièrament de sason. Per pauc que l’autan tirèsse, buta
quand aquò li agrada. Nimai se daissa pas conéisser del comun
dels mortals. Es invesibla. Ieu la pòdi véser, mas i teni pas.
Mens ne vesi e melhor me pòrti.
- E alavetz ?
- Me demandes pas ni cossí, nimai perqué, mas aquela èrba fa
pèrdre lo camin a lo que la prautís. Çò que sabi just es que l’Esperit
dels casses me balhèt lo poder de levar l’encantament. Se fas
los tres passes que nos desseparan, te tornarai sul camin de
Morsens.
La vesprada s’avança. Son ja cinc oras e me triga de dintrar
rassegurar mon monde. Fau endavant. La breissa pausa son baston
contra un boisson blanc qu’es a sa portada. Me pren la berreta
de sul cap. La revira dedins-defòra. Quand l’a plan revirada la
me torna pausar sul cran amb l’etiqueta virada al cèl. Torna
prene son baston, demorat a posita, e se met a traçar per sòl de
figuras que non sauriái dire a çò que poirián semblar. L’ausissi
que recita de litanias. Las ditz de sotavotz, talament que sabi
pas dire se las escalcís en lenga nòstra. Quand a acabat,
m’agacha amb una riseta e comanda :
- Ara pòdes tornar metre ta còfa de biais e prene la carretal
que se tròba darrèr tu.
Me reviri e soi estabosit de véser que darrèr ieu se troba una
carretal qu’i èra pas quand arribèri sus aquel codèrc. Se tracha
d’un camin vertadièr qu’auriá pogut èsser endralhat per un
parelh de buòus. Cossí se pòt far que l’aguèssi pas vist en
arribant alara que veni d’aquela direccion ? Mas ma salvatritz
me tira de mas soscadissas e espantaments.
- Cerques pas a comprene que la nuèit tombarà lèu. Afana-te
puslèu de dintrar en çò teu que ton monde t’espèra. Faràs
cinquanta mètres e tombaràs sus una pista forestièra. Prendràs a
drecha e dins vint minutas seràs arribat a la capèla de Santa
Clara. D’en d’aquí sabes lo camin.
- Dòna vos mercegi milanta còps de m’aver tirat d’aquel marrit
pas. Sens vos, sabi pas çò que seriái devengut. Probablament
perdut per la nuèit o a tot jamai.
- Merceja puslèu l’Esperit de casses e rebembre-te de tornar pas
prautir l’èrba de matagòt.
Ai enveja de potonar aquela paura vièlha per m’aver tornat sul
bon camin. Mas vòl quitament pas ni cambajon, nimai cabecons.
Res ! me ditz que los Esperits de la selva o i reprocharián.
Torni cargar la museta plena. Lo temps preissa. Partissi a
cambas ajudatz-me. En camin me demandi cossí vau poder explicar
aquel afar a l’ostal. Abans de la rescontrar aviái pas jamai
ausit parlar d’aquesta vièlha masca que demòra dins la selva de
Carlús, nimai fins ara conseissiái l’èrba de matagòt.
Lèu, lo camin se fa drech. Tre que puja un bocin, compreni qu’arrapi
sul tuquet de Sant Clara dels Casses. En qualques encambadas
suplementàrias desemboqui sul tèrraplen de la capèla. Urós coma
lo que ven d’escapar a l’infèrn, polsi prigondament. Lèvi lo
cap. Lo solelh se va colcar darrèr la selva. Sul cloquièr del
sanctuari, tot destimborlat, lo gal de la giroleta vira e revira
coma un bèl diable dins las ventadas de l’Autan.
Texte de
Sèrgi
Viaule de
Saint-Sulpice-la-Pointe (81), 2018 |
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