|
|
"La lettre qui se trouvait dans
ce livre de la Bibliothèque Rose n'était pas destinée à être lue par un
enfant..."
Le sens du vent
La lettre qui se trouvait dans ce
livre de la Bibliothèque Rose n'était pas destinée à être lue par un
enfant. Quand Arthur l’ouvrit, il ne comprit d’ailleurs pas
immédiatement de quoi il s’agissait. Il pensa d’abord, en la survolant,
à une lettre d’amour. Une lettre secrète, cachée dans un livre rose, ce
ne pouvait être qu’une lettre d’amour. Elle finissait d’ailleurs par un
« Je vous aime » qui semblait s’adresser à quelqu'un d’éloigné.
Agnès surprit Arthur avec la lettre en
entrant dans la chambre pour le mettre au lit. Il eut le réflexe de la
cacher, et elle s’amusa à le taquiner pour savoir ce qu’il dissimulait.
« Une lettre d’amour » répondit-il. Agnès crut qu’il l’avait écrite
lui-même et fut immédiatement attendrie. Elle l’avait toujours trouvé
rêveur et voyait en son neveu un jeune romantique, éternel amoureux. «
Tu aurais pu choisir un papier plus joli ! remarqua-t-elle en apercevant
le coin corné du papier jauni qui dépassait de son dos. - Je ne l’ai pas
écrite, rétorqua Arthur. Je viens de la trouver.
Agnès sembla surprise. Aucun homme,
hormis son frère n’était entré dans sa maison depuis la mort de son
mari, six ans plus tôt. Qui aurait pu laisser traîner une lettre d’amour
chez elle ?
Une femme ? pensa-t-elle alors. Mais qui
donc ? Elle insista à nouveau pour prendre la lettre des mains de son
neveu. Elle brûlait de curiosité et l’enfant s’amusait de sa supériorité
dans ce petit jeu improvisé. Il se leva et courut dans la chambre pour
lui échapper. Voyant qu’elle le rattraperait, il refusa de perdre et
préféra jeter la lettre par la fenêtre ouverte.
Un homme qui passait là vit tomber la
lettre et la ramassa. Curieux de voir une lettre tomber du ciel, il la
déplia et la lut.
oOo
Mais la lettre qui venait de tomber
n’était pas destinée à être lue par un passant. L’homme survola les
phrases, écrites de façon soignée, à l’encre noire. L’étonnement
l’empêcha de cerner rapidement le contenu de la lettre. Il s’arrêtait
sur certaines phrases, butait sur des mots. Il avait imaginé, en voyant
la feuille tomber par la fenêtre, que ce pouvait être un bulletin
scolaire qu’un enfant craintif aurait tenté de faire disparaître. Face à
cette écriture d’adulte, appliquée et sérieuse, sur cette feuille
vieillie, il fut déconcerté.
Il vit pourtant finalement en ces
phrases une lettre de rupture. Les mots « Je vous quitte » lui sautèrent
au visage. Le style était lourd et grave, sérieux et austère, mais en
même temps déterminé et indifférent.
Il imagina une femme, déçue et
meurtrie, anéantie par la lecture de cette lettre de rupture, reçue
tardivement de son amant bien-aimé, jetant, de rage, la lettre par la
fenêtre. Il ne relut pas la lettre, il ne la lut même pas en entier en
réalité, retenu par une sorte de pudeur et de respect pour cette femme
imaginaire qu’il plaignait déjà. Il ralentit le pas malgré lui, envahi
par une compassion subite. Il voyait en chaque homme croisant son
passage sur ce boulevard l’amant à l’origine de l’accablement de cette
femme. Il entendait le résonnement du « vous » de « je vous quitte »
comme une grimace sifflante de mépris. « Je vous quitte pour d’autres
cieux », disaient-il, « je vous quitte pour d’autres femmes », et il
méprisait ces hommes qui marchaient, là, sur ce même boulevard, et qui
étaient les bourreaux potentiels de cette femme fragile.
Il serra le poing de colère, mais
sentant la feuille se froisser sous ses doigts, il les desserra
brusquement. Une bourrasque de vent emporta la feuille à ce même
instant, loin de lui en un éclair, et haut dans le ciel l’instant
d’après. Il fit d’abord un mouvement dans sa direction puis abandonna
cette lettre de souffrance aux rafales et à l’agitation qu’elle
méritait.
oOo
Agnès hésita d’abord. Elle se retint de
gifler Arthur, car cette impertinence l’avait choquée. Sa curiosité
avait été brusquement éteinte par un léger vent de colère à l’égard de
ce gamin qui refusait de perdre à un jeu qui ne méritait même pas ce
nom. Mais plus que de la curiosité, c'était la soif de connaître le
contenu de la lettre qui l’animait soudain. Le souvenir de son époux lui
revenait brusquement et l’éventualité que cette lettre soit une ancienne
déclaration d’amour, écrite avant son assassinat, lui donnait des
bouffées d’espoir. Un signe, un souvenir concret, comme venant de
l’au-delà. Une preuve d’amour !
La pièce se brouilla, elle sentit ses
poumons se serrer dans sa cage thoracique comme si trop d’air s’y
engouffrait en même temps. Le bleu de la chambre et le gris de se
souvenirs se mêlaient pour former une chose tiède au creux de son
ventre. Elle en voulait à Arthur, et se précipita vers la fenêtre. Elle
eut le temps d’apercevoir la lettre qui tombait dans les mains d’un
grand homme brun, efflanqué, qui portait une fine moustache démodée.
Elle fit quelques pas rapides vers la porte pour courir dans la rue lui
réclamer la lettre, mais elle ne pouvait laisser le fils de son frère
seul dans la chambre, dans cette maison inconnue, à son âge, même s’il
était encore tôt dans la soirée et que le soleil de juillet arrosait
encore la ville de ses derniers éclats. Elle saisit l’enfant par la main
et l’entraîna dans la rue, en pyjama, lui laissant à peine le temps
d’attraper des pantoufles.
Elle rattrapa l’homme à la moustache et
le supplia de lui rendre sa lettre.
Mais la lettre s’était envolée et
s’échouait au même moment sur une table de café, à l’angle du boulevard
et d’une ruelle pittoresque appréciée des gens de passage. A cette table
justement, se restaurait un couple de touristes américains. L’homme
écarta nerveusement le papier, pensant à une feuille morte échappée d’un
arbre, mais la femme s’intrigua et ramassa la lettre tombée sur le sol.
oOo
Mais la lettre que l’homme venait de
prendre pour une feuille morte n’était pas destinée à être lue par une
touriste américaine. C'était une lettre officielle et solennelle, dont
les courbes des « f » et les boucles des « l » indiquaient qu’elle avait
été écrite avec soin. La dame ne parlait pas le français, mais en voyant
la série de petits tirets au centre de la lettre, elle imagina une liste
de courses ou de recommandations. Elle imagina un homme appliqué, assis
à la table de sa cuisine, rédigeant des consignes pour une nourrice
inexpérimentée venant garder ses enfants pour la première fois.
Elle eut une pensée tendre pour cet
homme qui mettait tant d’application à rédiger ces instructions, dans le
souci de garantir à ses enfants l’éducation la plus droite et la plus
constante. Cela correspondait agréablement à l’idée qu’elle se faisait
du bon père de famille français, et elle savoura l’image qui lui venait
à l’esprit. Son mari la surprit à rêver sur cette lettre dont elle ne
comprenait pas un mot et plaisanta sur les femmes et le romantisme. Il
évoqua au passage son projet de commander au serveur un nouveau verre de
vin, mais sa femme refusa net, froissée d’avoir été sortie de sa rêverie
par le cynisme de son époux et rebutée par les prix exorbitants
pratiqués par les cafés français.
Elle le laissa donc payer avec ces
pièces d’euros auxquelles elle ne comprenait rien et ils se levèrent
pour partir. Elle hésita un instant avant de laisser le message sur la
table du bar, retenu du souffle du vent par les pièces de monnaie
éparses.
Le serveur vint encaisser la commande,
quelques instants après leur départ, déplorant l’absence de pourboire,
et ramassa la lettre laissée par l’Américaine avec la note de la
consommation. Intrigué par ces touristes, il la déplia pour découvrir le
type de prose que ces gens là cultivaient.
oOo
Agnès espérait retrouver une lettre
tendre, lui rappelant les bons moments passés avec son défunt mari. Les
courtes années vécues à ses côtés avaient été agitées par la maladie,
qu’elle l’avait aidé à surmonter. L’enfer des hospitalisations et des
conséquences des traitements avaient pris fin, et seules quelques
visites de routine lui avaient rappelé cette sombre période. Leur couple
s’était scellé dans ces heures noires, tandis que chacun d’eux
s’épuisait de son côté. Ils avaient décidé, peu avant sa mort, d’avoir
un enfant, et de tourner définitivement la page.
Elle ne savait pas par où la lettre
s’était envolée. Elle marchait en tous sens dans les rues, traînant
Arthur par le bras, le faisant trébucher parfois. « Qu’y avait-il dans
cette lettre ? demanda-t-elle soudain en se retournant vers lui. - Je
sais pas… des « je t’aime », je crois, répondit Arthur. - Tu crois ?!
laissa-t-elle échapper.
Elle était de plus en plus furieuse.
Après Arthur qui avait jeté le papier par la fenêtre, après l’homme à la
moustache qui avait eu le culot de lire sa lettre, après le vent, qui
avait soufflé la dernière preuve d’amour qu’elle aurait de la part de
son mari.
Elle tira Arthur par la manche et
continua à errer dans les rues. Arthur traînait, il était mal à l’aise.
Il comprenait qu’il avait fait une bêtise, mais n’en saisissait pas la
gravité. Qu’une lettre d’amour volante le conduise à courir les rues de
la ville en pyjama lui semblait une réaction disproportionnée de la part
de sa tante. Ils bousculèrent un couple de touristes américains qui
sortaient d’un café et Arthur tomba en s’écorchant le genou.
Agnès en profita pour s’arrêter quelques
instants et réfléchir au chemin à prendre. Occupée à calculer vainement
le sens du vent, elle ne remarqua pas le serveur du café voisin, occupé
à déplier la lettre.
oOo
Mais la lettre qui avait été laissée
sur la table par la touriste américaine n’était pas destinée à être lue
par un serveur de café. Le jeune homme y trouva un prétexte pour arrêter
un instant son travail et flâner en survolant les lignes. La journée
était belle malgré le vent. Il était tôt dans la soirée, et le soleil
gratifiait encore de ses derniers rayons horizontaux les indolents
attablés.
Il s’attendait à découvrir des mots en
anglais, et ne comprit pas instantanément de quoi il s’agissait. Il
parcourut du regard les phrases et conclut rapidement à une lettre
d’adieu. Elle répétait des « je pars » et le serveur imagina
l’Américaine qui quittait la France, laissant à ses proches, rencontrés
sur ce sol inconnu pour elle, une lettre d’explication. Il l’imagina
triste, il l’imagina déchirée de quitter un pays qui l’avait attiré
quelques temps plus tôt, mais qui ne satisfaisait pas ses envies. Il
pensa à ce qui pouvait la pousser à rentrer aux Etats-Unis, à ce qui
pouvait lui déplaire en France, regardant ses clients détendus, sirotant
sur sa terrasse.
Il se demanda pour quelle raison elle
avait laissé la lettre sur la table. Un renoncement ? Il se surprit à
aimer l’idée qu’elle resterait en France, comme si une fierté nationale
irréfléchie lui faisait apprécier a priori la présence d’une
quadragénaire américaine avec son mari sur le sol français. Il trouva
l’idée bête et se demanda ce qu’il allait faire de la lettre. Il hésita
à la jeter, mais repensant à ses bonnes résolutions écologiques du début
d’année, décida de traverser la rue pour la déposer dans un conteneur à
papiers. En le voyant s’éloigner, le patron du café s’indigna. Il
l’observait depuis quelques instants et l’avait vu rêvasser devant une
lettre au lieu de débarrasser les tables. Et voilà maintenant qu’il
traversait la rue au lieu de prendre les commandes de clients
impatients. Il l’appela sèchement, lui arracha la lettre des mains et le
renvoya travailler. La table 8 attendait ses jus de fruits.
oOo
Agnès aperçut le serveur qui traversait
la rue dans le sens du retour, interpellé par les aboiements de son
patron, la lettre à la main. Elle se leva d’un bond et s’approcha du
gros barman. L’homme était rougeaud, le teint couperosé, avec de larges
bras. Il portait un tablier blanc noué autour de la taille et les
boutons de son gilet tiraient au niveau du nombril. Il donnait une
chiquenaude derrière l’oreille de son employé, le poussant vers le
comptoir, quand Agnès lui réclama la lettre.
Elle était essoufflée d’avoir couru, ses
joues avaient rosi et des mèches de cheveux trempées de sueur collaient
à ses tempes et à son front. Elle tenait toujours Arthur par la manche,
le pyjama déchiré au genou et l’air contrit. Entre deux souffles courts,
elle lui dit que la lettre était à elle et qu’elle souhaitait la
récupérer.
Le patron du café ne l’entendit pas de
cette oreille. Il avait rarement eu l’occasion, ces dernières années,
d’avoir à sa merci une femme qui lui réclamait quelque chose, et il
avait bien envie de faire durer un peu cette situation qui lui était
particulièrement agréable. Il prit un air supérieur et pincé pour lui
demander de prouver que cette lettre était bien à elle. Agnès soupira
profondément. Elle bafouilla, elle était fatiguée de cette aventure
improvisée qui n’avait pas de sens. Elle regarda les clients attablés
autour d’elle, il lui sembla que tout chavirait.
Elle insista, partagée entre l’envie
d’abandonner cette quête folle, qui lui semblait tout à coup vaine et
inutile, et le sentiment que la vérité était à portée de sa main. Mais
le barman était décidé à passer le temps en agaçant cette inconnue. «
Comment vous appelez-vous ? lui demanda-t-il. Si votre nom apparaît dans
cette lettre, j’accepterai de vous la rendre. »
Elle s’impatienta, essaya saisir la
lettre, mais il était gros et grand, avec de larges poignets et des
mains de boucher. Il leva un peu la lettre au bout de son bras pour la
lui rendre inaccessible et s’attela à la lire.
oOo
Mais la lettre tenue à bout de bras
par ce gros homme agaçant n’était pas destinée à être lue par un patron
de bar. Il survola les premières lignes, à la façon dont il lisait
habituellement les commandes griffonnées par ses serveurs sur les
calepins de papier gris. Il s’attendait à devoir déchiffrer une écriture
précipitée comme celle à laquelle il était habitué, et il fut surpris en
voyant ces boucles si bien dessinées, une écriture masculine mais
appliquée et fine.
Il crut comprendre que la personne qui
écrivait la lettre se décidait à changer de vie. Un changement radical
qui bouleverserait sa famille et sa propre existence. Un ras-le-bol de
sa petite vie étriquée vers un horizon prometteur. Le patron du bar y
voyait peut-être un souhait bien à lui, renfermé dans son cœur, derrière
son comptoir, depuis des années, et qui se dessinait sous les traits de
palmiers, de plages de sable clair et de soleil humide.
Son mariage hasardeux et précoce
avait, depuis plusieurs années déjà, dérivé vers une cohabitation tout
juste cordiale, et les revenus variables de son établissement lui
faisaient l’effet du flux et du reflux, le laissant nu et trempé sur une
plage battue par le vent. L’aigreur accumulée par cette situation
inconfortable avait achevé de rendre exécrables ses relations avec les
autres humains. L’absence d’enfant était sa seule consolation,
encombrement inutile, selon lui, et qu’il avait réussi à refuser à son
épouse sans ciller depuis de longues années.
Il imagina l’homme de la lettre,
marchant sur une langue de sable quelque part près de Phuket, sans but
précis à part celui de flâner, sans interrogation en tête outre celle de
la composition du cocktail qu’il commanderait au bar dans un instant. En
laissant son esprit vagabonder, il avait desserré l’emprise de ses
doigts sur le papier qu’il tenait hors d’atteinte de la jeune femme
devant lui, et son bras était doucement descendu à sa portée.
oOo
Agnès arracha la lettre des mains du gros
homme. Ses yeux le fusillèrent quand elle croisa son regard. Elle balaya
le papier du regard et comprit en un éclair. Cette lettre était destinée
à être lue par Agnès, mais elle n’était pas destinée à être lue par une
jeune veuve, convaincue de l’injustice de la mort de son mari.
Elle songea soudain que cette lettre
pourrait peut-être l’éclairer sur l’identité de l’assassin de son mari.
Celui-ci avait été empoisonné par une substance fabriquée dans son
laboratoire, mais l’enquête auprès de ses collaborateurs n’avait pas
réussi à prouver la culpabilité de l’un d’eux. Elle avait elle-même été
inquiétée par la police, mais de toute évidence, l’empoisonneur courait
toujours. Elle était toujours amère en pensant que quelqu'un avait pu
vouloir du mal à un homme si bon, alors qu’elle ne lui connaissait pas
d’ennemis.
Elle reconnut immédiatement l’écriture de
son mari, cursive et soignée à la fois, et pour cette lettre
précisément, extrêmement soigneuse. Elle était partagée entre une
inquiétude vis-à-vis du contenu de la lettre, et l’espoir : au mieux la
vérité, au pire, quelques preuves d’amour oubliés.
Mais les mots qui lui sautèrent au visage
étaient ceux de mort et d’enfant. Elle lâcha brusquement
la main d’Arthur qu’elle avait tenue serrée dans la sienne pendant que
le patron du bar lisait, et elle s’effondra. Le gros homme, qu’une
pointe de culpabilité chatouillait en voyant le visage d’Agnès se
décomposer, la rattrapa avant qu’elle ne s’affale sur le sol.
La lettre qu’elle tenait dans la main
s’échappa d’entre ses doigts et glissa sous une table du café. Le
serveur courut chercher un verre d’eau dès qu’il la vit vaciller.
Arthur, déconcerté, ramassa la lettre pendant que le barman tapotait le
visage de sa tante.
La lettre qui s’était trouvée dans le
livre de la Bibliothèque Rose et venait d’être ramassée sous une table
de bar n’était pas destinée à être lue par un enfant. Mais Arthur se
concentra cette fois-ci pour en saisir le sens profond et il prononça :
« Si mon amour est sincère, c'est néanmoins
aujourd'hui que je vous quitte. Et si votre amour est vrai, vous finirez
par me comprendre. Je m’adresse non seulement à ma femme, mais à toute
ma famille, mes amis, ceux que j’ai croisés dans ma vie et que je ne
reverrai plus.
Ma décision est réfléchie, je ne pars pas par
lâcheté, je ne pars pas par ennui, je pars par désespoir, parce que
c'est la plus belle fin que je puisse donner au cauchemar de ma vie.
- La maladie avait renoncé mais l’infécondité sera pour moi son ultime
morsure
- Agnès, je n’ai pas su te donner d’enfant, et j’espère que tu
connaîtras cette joie avec un autre que moi avant de venir me rejoindre
- Ne t’en veux pas, c'est seulement de ma faute
- Prends bien soin de ceux qui restent, ils ont besoin de toi
- Vous ne retrouverez pas de poison sur moi, j’ai élaboré moi-même cette
substance pour qu’elle puisse être ingérée plusieurs jours au préalable
A la fin, c'est toujours la mort qui gagne.
Je vous aime"
Texte de Marion Decome,
Aix-en-Provence
(13), 2008
|
|
|
La vie en rose
La lettre qui se trouvait dans ce
livre de la Bibliothèque Rose n’était pas destinée à être lue
par un enfant. Pas plus que par un adulte d’ailleurs,
puisqu’elle aborde un chapitre douloureux de ma vie intime.
C’est pourquoi je ne vous livrerai pas son contenu. Ne m’en
veuillez pas, je suis ainsi. Je ne souhaite pas m’épancher sur
votre épaule. La vie est constituée pour chacun de nous de
petites joies et d’épreuves. Alors, si vous me le permettez, je
préfère partager avec vous un peu de mon quotidien et ne pas
vous accabler de mes douleurs.
Je suis Marie-Sophie de la
Villardière. N’ayez pas d’à priori par rapport à la particule.
Habituellement, on me perçoit comme quelqu’un de déjanté, de
loufoque, d’extravagant, mais je ne laisse pas indifférent.
Jugez par vous-même.
Cette lettre, que j’ai maintenant
dans la main, je l’avais insérée entre deux pages de ce conte
qui était rangé avec quelques autres dans la bibliothèque rose.
Attention, quand je parle de la bibliothèque rose, il ne s’agit
aucunement de cette collection qui s’adresse aux enfants. Non,
comprenez bibliothèque peinte en rose. Au grand dam de
Paul-Henri, mon époux, je n’achète les livres qu’en fonction de
la couleur de leur dos. Il m’importe peu de connaître leur
contenu, la lecture m’est fastidieuse, ennuyeuse. J’y ai
pourtant pris plaisir, étant petite : j’ai rêvé avec les
histoires de la célèbre Bibliothèque Rose. Hormis ces souvenirs
que je veux sublimer, je me désintéresse totalement de toutes
ces romances… La vie est tellement différente ! Et quelle
niaiserie de lire aux mômes que les garçons naissent dans les
choux et les filles dans les roses ! Vous allez rire, le seul
intérêt que présentent les ouvrages à mes yeux consiste à y
faire sécher des fleurs. Cette odeur évoque de telles
réminiscences ! Ce temps béni de mon enfance où j’étais une
petite fille sans souci… Où en étais-je ? Ah ! oui, la
bibliothèque. Je ne saurais malgré tout faire abstraction de ce
meuble. J’ai décidé que son intégration serait harmonieuse dans
le salon de notre demeure bourgeoise de la fin du dix-neuvième
siècle. En fait, il se remarque comme le nez au milieu de la
figure. Ma couleur de prédilection est le rose. J’ai donc fait
laquer en rose les pourtours en chêne massif. Plusieurs couches
ont été nécessaires pour en masquer la teinte initialement
sombre. Mais j’avoue que le résultat est unique. Cette
bibliothèque rose habille de gaieté ce salon vétuste. Imaginez
des tentures mordorées aux fenêtres, deux commodes vieillottes,
patinées, foncées, un parquet partiellement recouvert de tapis
aux couleurs automnales et, dans ce décor austère, ma jolie
bibliothèque rose. Paul-Henri me reproche de me complaire dans
l’infantilisme. Et si cela dénote un besoin, une nécessité ? Si
tel est le remède à une pathologie afin de m’assurer un
équilibre, pourquoi me justifierais-je ? C’est en tout cas
l’avis de mon psy…
Je veille également à respecter
une harmonie de tons dans la disposition des livres. Ainsi, la
première étagère comporte un dégradé de coloris chauds, dans les
marron, et sur la seconde, j’ai placé une collection terre de
sienne qui appartenait à feu mon beau-père. Je me suis un peu
lassée de ce type de classement pour la troisième étagère et j
‘ai fini par y mélanger tout ce que je trouvais. Cependant, il
m’importait d’y apposer ma touche personnelle, alors j’ai
retrouvé mes quelques livres de la fameuse Bibliothèque Rose que
j’ai insérés au beau milieu de tous ces ouvrages. Vous comprenez
pourquoi ? Le rose des livres rappelle le pourtour du meuble. Et
là, vous m’avez surprise en train d’ôter un livre de la
Bibliothèque Rose afin d’asseoir sur le côté de l’étagère
centrale, une poupée de porcelaine. C’est de ce bouquin qu’a
glissé la lettre.
Je suis très fière de cet
aménagement qui m’a occupée plusieurs mois, entre la conception
du meuble, la recherche des livres et enfin l’installation de la
poupée. Paul-Henri n’approuve pas du tout, mais pas du tout, mes
talents de décoratrice. Il n’ignore pourtant pas que c’est un
exutoire pour moi. Peu m’importent ses états d’âme ! Vous savez,
on épouse un jeune aristocrate issu d’une longue lignée, puis,
les années passant, surtout depuis trois ans et demi à vrai
dire, on découvre que le jeune aristocrate s’est métamorphosé en
personnage quelque peu grincheux, batifolant et papillonnant de
ci de là. Cependant, il veille à toujours se pavaner devant ses
nombreux neveux et nièces. Monsieur ne veut rien perdre de sa
superbe. Mon oncle par-ci, mon oncle par-là ! Mon Dieu, qu’il
aime être le centre d’intérêt ! Tous ces mômes qui le
sollicitent sans cesse, cela m’exaspère ! Non, non, nous n’avons
pas d’enfants. Nous sommes d’ailleurs les seuls de la famille de
la Villardière à n’avoir pas procréé. Je sais, mes propos vont
vous irriter, vous agacer, mais je les assume entièrement. Qui
dit rencontre, dit union, puis procréation ? Non, je dis non, ce
n’est pas une obligation, mais plutôt une tradition. Ce n’est ni
plus ni moins qu’une tradition de faire des enfants ! Et moi,
les traditions, je suis contrainte de m’y soumettre dans
certaines circonstances familiales, alors quand je peux les
éviter…. Il en est une, par exemple, qui perdure de génération
en génération dans ma famille : celle de prénommer Rose la
première fillette de la reproduction suivante. Ne vous offusquez
pas, j’ai délibérément choisi ce terme. Normalement, je devais
concourir, mais… Mes propos révèlent une évidente apparentée
avec les juments de l’écurie de Paul-Henri. Il ne supporte pas
non plus ce genre de parallèle. Mon cher époux manque
singulièrement d’humour. Mais je m’égare avec mes bavardages.
Donc, point d’enfant dans notre
demeure. En ce qui me concerne, c’est une question, comment
dirais-je, d’esthétique. Comprenez morphologiquement parlant :
une grossesse déforme le corps, c’est indéniable. Je sais, je
vous exaspère. Vous écarquillez les yeux, incrédules, je
subodore même une interruption de la lecture ici. N’en faites
rien, j’ai seulement besoin d’un interlocuteur. N’est-ce pas
vous qui m’avez choisie ? Je m’apprêtais à me justifier en
abordant mon capital minceur que je souhaite préserver. J’ai
cette chance, alors pourquoi s’extasier devant un ventre rebondi
? C’est tout bonnement de la peau distendue qui, dans la majeure
partie des cas, conservera des stigmates : les vergetures ! Ne
nous leurrons pas ! Je n’ose même pas aborder l’aspect
psychologique. C’est long neuf mois de… gestation ?
C’est précisément le temps qu’il
m’a fallu pour donner naissance à ma jolie bibliothèque rose. Ne
s’intègre t-elle pas bien ici ? Avouez qu’il fallait oser cette
couleur. Je suis fière d’avoir persévéré... Couleur de
l’enfance, de mon enfance… couleur synonyme de douceur, couleur
bonbonnière, voilage rose sur protection du berceau, Rose comme
le prénom.
Elle attire indéniablement le
regard comme le nez au milieu de la figure. Où comme une
disgrâce sur un visage lisse, une verrue, un bec de lièvre qui
toujours rappelle l’anomalie. Ne m’en veuillez pas, la nostalgie
s’est emparée de moi. Cette fichue lettre… Je ne puis m’exprimer
plus longtemps. La souffrance m’accable. Je m’étais promis de ne
pas vous importuner avec mes soucis. Après avoir partagé un pan
de ma vie avec vous, je vous dois des explications. Je laisse le
soin à l’auteur de vous les donner, un sanglot étrangle ma voix.
Ne suis-je pas sa marionnette ?
Depuis la réception de ce
courrier, il y a quatre ans, Marie-Sophie dissimule sa
souffrance derrière un masque d’extravagances, accentuant ainsi
un rien sa propension à la provocation. La lettre vient de
glisser de sa main. Elle est signée du Docteur Clisse,
gynécologue et l’on peut y lire ces mots, en conclusion d’un
paragraphe : stérilité irréversible.
Texte de Pierrette
Gobin-Vaillant, Commequiers (85), 2008
|
|
|
|
Un foulard de soie verte
La lettre qui se trouvait dans
ce livre de la bibliothèque rose n’était pas destinée à être lue
par un enfant.
Hafida voulut glisser le bouquin
dans son sac, mais elle songea qu’il était plus prudent de le
tenir à la main. Le moindre geste pouvait suffire, lui avait-il
dit. Là-bas, elle n’aurait qu’à le ranger parmi les autres. Tout
le monde n’y verrait que du feu, si l’on peut dire, surtout à
cette heure-là. Personne ne ferait attention à ce livre un peu
vieillot, mais encore en très bon état. Sur sa première de
couverture, on pouvait voir deux garçons blonds, souriants, sur
un fond vert. Un plus âgé en pull à col roulé bleu et un plus
jeune en chemise blanche. Elle se souvint de Tarek lisant, et
souriant, des années auparavant. Il devait avoir sept ou huit
ans, pas plus. Il adorait ce livre. Il dormait avec. Et à
l’heure du dîner, elle était obligée de se fâcher pour qu’il ne
l’emporte pas à table. La couleur des cheveux mise à part, les
deux enfants sur l’image lui rappelaient ses deux fils, à
l’époque… Tarek et Abdallah.
Mardi 3 juin 2008, dix-neuf
heures quinze : une femme d’une soixantaine d’années, vêtue
d’une robe à fleurs et d’un foulard de soie verte, sort du métro
et longe la Seine jusqu’à l’entrée du personnel. Grande
Bibliothèque Nationale de France, François Mitterrand, entrée
Ouest, quai François Mauriac.
Au même moment, les derniers
visiteurs sortaient par l’entrée Est.
A dix-neuf heures trente, Hafida
commençait son service.
A faire le ménage dans un lieu
aussi prestigieux, elle ressentait une fierté certaine, comme si
le savoir détenu par ces milliers d’ouvrages avait pu, par une
promiscuité quotidienne, imprégner tant soit peu sa propre
personne. Elle se sentait riche de cette culture, détentrice de
ces connaissances accumulées pendant des siècles. A bien y
réfléchir cela donnait le vertige. En réalité, Hafida n’aurait
pu déchiffrer la moindre ligne. Elle ne savait pas lire. Dans
son enfance, elle avait bien appris quelques rudiments d’arabe
auprès de sa grand-mère, mais tout cela, c’était avant qu’elle
arrive en France dans les années soixante… De l’histoire
ancienne. Elle avait presque tout oublié.
A vingt heures quarante-cinq,
Hafida fit une pause. Sa sciatique la relançait depuis quelque
temps. Elle alla dans le local du personnel où elle avait laissé
ses quelques affaires. Elle prit un cachet dans son sac. Elle
allait bientôt arrêter ce boulot. Il n’était pas franchement
fatiguant. Non. En tous cas, moins que le précédent dans le
Formule un de Clichy-sous-Bois, qui avait achevé de lui ruiner
la santé et le moral. Avant de se rendre aux toilettes pour
boire un peu d’eau, elle vérifia d’une main tremblante si le
livre était toujours là, sous son foulard vert soigneusement
plié dans son casier. Lucien, du service de gardiennage, passa
dans le couloir. Il la salua. Hafida replaça précipitamment le
tissu, ferma le casier et bredouilla un « Bonsoir… » inaudible.
Elle sortit du local. Elle transpirait.
A vingt et une heures
trente-cinq, elle quitta le bâtiment. Deux heures par jour, six
jours par semaine. Cela suffisait à compléter la maigre retraite
laissée par son défunt mari. Bientôt, très bientôt, elle
arrêterait. En attendant, il lui fallait rejoindre son petit
appartement dans le dix-huitième. Il faisait nuit, mais la pâle
lune de juin qui se reflétait sur le fleuve apportait une
lumière douçâtre. Elle était bien. La brise tiède lui
réchauffait le cœur. Les souvenirs affluaient dans son esprit.
Le village. La grand-mère. Puis son mariage avec Ali. Pas trop
jeune, sa grand-mère s’y était opposée. Ses amies n’avaient pas
toutes eu cette chance. Elle, elle était tombée amoureuse. Ali,
avec ses grands yeux noirs, lui avait tout de suite paru
différent des autres. Trop calme et trop sérieux. Pas comme
elle. Elle ne pouvait pas se plaindre, non, elle avait été
heureuse. Elle n’avait jamais réussi à le comprendre totalement,
mais elle l’avait aimé. Elle se souvenait en souriant des
premiers temps de leur mariage. Ils allaient se promener à la
campagne, à quelques kilomètres seulement de Paris. Se
rappelait-elle encore le trajet ? C’était facile. Ils partaient
de la gare de Lyon et descendaient à Saint-Pierre-lès-Nemours.
Pourquoi Saint-Pierre ? Elle n’aurait su le dire. Au fil du
temps, c’était devenu un rituel. Ils étaient jeunes, alors. Les
choses étaient simples. Ils s’asseyaient au bord d’un champ de
blé et regardaient les nuages se former sur le bleu du ciel. Le
même ciel que dans son enfance. Lorsqu’elle murmurait des
secrets à l’oreille des chèvres noires avant de courir pieds nus
dans les cailloux. Elle jouait avec le vent. Liberté ! Elle
chérissait ces moments-là et conservait tous ces souvenirs en
elle comme des bijoux précieux. Elle ne les sortait que très
rarement, de peur de les abîmer, seulement pour en ôter la
poussière et pour le plaisir de les contempler, un peu. Pourquoi
aujourd’hui ? Elle le savait bien…
Ensuite Dieu lui avait donné deux
fils.
Un bateau-mouche bondé de
Japonais passa sur l’or ridé de la Seine.
Elle éprouva le désir intense de
revoir Saint-Pierre-les-Nemours et ses nuages blancs.
A vingt et une heure
cinquante-deux, elle arriva à l’entrée du métro. Il était encore
temps de faire demi-tour. A la bibliothèque, personne ne l’avait
vue. Elle hésita. Non, sa décision était prise. Elle en
assumerait les conséquences. Tout avait tellement changé depuis
le temps où elle avait quitté son pays pour cette terre d’asile
qu’était, que devait être, la France. La réalité l’avait
rattrapée maintes et maintes fois. Le licenciement d’Ali.
L’expulsion de leur petit F2 avec les garçons encore en couches.
L’humiliation des petits boulots pour faire survivre la famille.
L’esclavage contemporain. Et puis… le jour où Tarek avait raté
son bac et qu’il avait quitté la maison en traitant son père de…
Elle voulait oublier ces mots. Personne ne l’avait plus revu.
Qu’était-il devenu ? Une voisine racontait qu’une de ses
cousines l’aurait croisé, un jour, en Espagne, méconnaissable.
Un clochard, elle avait dit. Des commérages. Heureusement,
Abdallah, le cadet était resté auprès de ses parents. Un bon
fils. Doux et sérieux comme son père. Il avait eu son bac, lui,
puis il avait fait de bonnes études. Quoi exactement ? Elle
n’aurait su le dire. C’était des sciences, voilà tout ce qu’elle
savait. Ensuite il avait voyagé. Trouver du travail en France,
pour un arabe, c’était trop dur, disait-il. Il était allé en
Angleterre, à Londres, et ailleurs aussi, plus loin. Comme il
lui avait manqué ! Mais son fils était revenu. Abdallah était
devenu quelqu’un, maintenant. Il avait des amis dans le monde
entier. S’il n’était pas encore marié, c’est que son travail lui
prenait trop de temps. Pour l’instant du moins. Il n’en parlait
jamais.
A vingt-deux heures trois, une
rame de métro s’arrêta devant Hafida. Les portes s’ouvrirent.
Elle monta. Les portes se refermèrent. Le métro redémarra. Il
était définitivement trop tard pour faire demi-tour.
Elle revit le drôle d’air
qu’avait eu Abdallah lorsqu’il était venu lui parler. Il n’avait
pas voulu tout lui dire. C’était secret. Moins elle en saurait
et mieux ce serait. Elle ne devait pas s’inquiéter, tout se
passerait bien. Un billet d’avion l’attendait pour une nouvelle
vie, avec lui, loin de la France et de la souffrance, avait-il
dit. Et puis, il n’y aurait pas de victimes. Il le lui avait
promis. Il fallait simplement faire un coup d’éclat. Rappeler
qu’on était là. N’en avait-elle pas assez de vivre terrée comme
une taupe ? C’était vrai. Elle en avait assez. Qu’attendait-elle
? Depuis la mort de son cher Ali, son avenir était
définitivement derrière elle. Elle n’attendait rien. Alors, si
elle pouvait aider son fils. Le seul être qui lui restait au
monde. Elle, la politique, la religion, quelle différence ? Tout
cela, elle s’en fichait pas mal. C’était pour Abdallah qu’elle
le ferait… Pas de victimes. Des livres, rien que des livres… A
quoi bon tous ces mensonges quand la vérité est contenue dans un
seul ouvrage, lui avait-il dit ! Et à trois heures du matin, il
n’y aurait plus personne dans les locaux. Que du papier. Elle
devait juste laisser le livre à la tranche rose. Ce qu’il
contenait était un bijou de précision et de miniaturisation. Il
le lui avait montré. C’était un bon fils. Il ne méprisait pas sa
mère. Il lui avait tout montré. Il avait délicatement relevé la
couverture cartonnée et, sous les deux garçons blonds, elle
avait pu découvrir une petite boîte noire décorée d’une lettre
d’or. Cette lettre, elle la connaissait. Elle avait appris à la
lire dans sa jeunesse. Elle faisait comme un sourire surmonté de
deux yeux. Le Ta’ : ت, troisième lettre de l’alphabet. Lettre de
l’extase divine et du retour à Dieu, lui avait expliqué
Abdhallah. « Ta’ » pour le son « t ». « T » comme « toulet’ » :
mardi, comme « tleta » : trois… ? Ou peut-être était-ce l’autre
« T », celui à trois points ? Hafida ne savait plus… Il était si
loin, le temps où elle déchiffrait sous l’œil bienveillant de sa
grand-mère… Mardi 3 mai, trois heures du matin… Trois comme
Hafida, Ali et Abdallah … T comme Tarek... Pourtant, Tarek qui
lisait et qui souriait était parti, il ne faisait pas partie du
trio. Où était la logique dans tout cela ? Qu’aurait pensé ce
pauvre Ali ? Qu’aurait fait sa chère grand-mère ?
Perplexe, elle avait observé
cette lettre qui la regardait en souriant, dans le livre. Puis
Abdallah avait refermé la couverture. Le sourire avait disparu.
A vingt-deux heures cinquante,
Hafida n’était toujours pas rentrée. Ni à vingt-trois heures, ni
à vingt-trois heures dix…
A trois heures, un lambeau de
soie verte s’envole vers des nuages grisonnants.
Le mardi 3 juin 2008, à trois
heures du matin, une très violente déflagration provenant d’un
champ de blé réveilla les habitants de Saint-Pierre-lès-Nemours,
petite bourgade tranquille de Seine et Marne.
Texte de Ludmila Safyane,
Villeubanne (69),
2008 |
 |
|
|
|
La lettre fatidique
Et en prime,
grâce à nos amis du mensuel
Couleur-Lauragais, un
quatrième texte, celui de Jean Faget,
Espanès (31), 2008
notre unique
lauréat du Sicoval,
à télécharger
à partir de cette page.
Bonne lecture !
|
|
|
|
|
Retour
à l'accueil
|
|
Accès aux nouvelles 2007 |
 |
|