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  Association des bibliothèques du Sicoval

Le Lecteur du Val - 27, route de Saint-Léon - 31450 NOUEILLES - Tél. 05.61.81.14.00
Nouvelles à lire : concours 2024

"Le fermier se figea sur place. Les vaches le regardaient fixement. Dans la nuit, un chien aboya." 
ou encore :
"
Lo bordièr se palfiquèt. Las vacas l’agachavan fixament. Dins la nuèit, un can jaupèt.*"


Lire :
- Mon bordièr et ma Rose (texte adulte)
- En()quista (texte occitan)

- ...Et toujours en été (texte Jeune)


Mon bordièr et ma Rose

 

Le fermier se figea sur place. Les vaches le regardaient fixement. Dans la nuit, un chien aboya. La flèche lumineuse d’une torche s’arrêta sur ses bottes. Des bruits de pas dans la boue et les flaques. Le son métallique d’un briquet puis une lueur rougeoyante perçant l’obscurité. Deux hommes s’étaient arrêtés au portail de la ferme. L’un d’eux tira une longue bouffée de la pipe qu’il venait d’allumer et expira une première fumée légère. Une nouvelle bouffée, une fumée plus épaisse. Il prenait son temps. Il marquait son territoire. Il semblait sûr de sa force. L’homme qui l’accompagnait tenait en laisse un molosse nerveux. Le clair de lune illuminait la scène, depuis ma cachette je pouvais tout voir. Le fumeur s’avança. Il s’arrêta à quelques mètres du fermier, les bras le long du corps, le regard fixé sur lui. Un cow-boy se préparant au duel. Puis il retira la pipe de sa bouche.

— Alors Cazaux, on ne salue pas ses amis ? 

Le fermier planta un regard noir dans celui de son visiteur.

Je ne vois aucun ami, Tabar.

D’un geste du menton, Tabar fit un signe à l’homme qui l’accompagnait. Lui et son chien se mirent à inspecter la cour de la ferme. Derrière eux, une troisième silhouette. Un enfant. À la vue de son visage, mon sang se figea. Mes mains devinrent moites. Je connaissais ce garçon, il s’appelait Émile.

*

*  *

La vie avait emporté mes parents lorsque j’avais deux ans. Plus rien ne me les rappelait. Ni leurs voix, ni leurs visages, pas le moindre souvenir. La chimère de ma naissance. Cela faisait déjà quatre ans que les Cazaux m’avaient recueilli. Ils étaient devenus ma seconde famille. Ma seule famille. Ils prenaient soin de moi comme de leur propre fils. Malgré leur travail, ils s’organisaient toujours pour ne pas me laisser seul. Chacun à leur tour, parfois ensemble. J’aimais lorsque nous étions tous les trois. Nous habitions loin du village, plus d’une heure et demi de marche à l’aller et un chemin caillouteux bien trop raide au retour pour mes petits mollets de coq. Trop loin, trop difficile pour aller à l’école du hameau. Alors c’est la femme du fermier, Rose, qui s’improvisait institutrice. Elle faisait de son mieux.

— Moi je suis pas été beaucoup à l’école mais je vais t’apprendre tout qu’est-ce que je sais, s’excusait-elle trop souvent.

Lui m’enseignait la traite et l’élevage des vaches. Il ne jurait que par la peine et l’effort physique.

—  Le travail, c’est la vie. Par ici il n’y a que les fainéants qui meurent de faim.

 

Nous vivions presque en autarcie. Elle s’occupait du potager et de la basse-cour. Lui descendait tous les matins au village pour livrer des clients ou vendre le lait au marché et à l’occasion trouver quelques médicaments. Il s’y informait aussi des dernières nouvelles. Radio marché, disait-il. Du haut de mes six ans, je leur avais dit qu’on avait raison de vivre loin du hameau car le fermier en remontait toujours avec les yeux fâchés. Ils avaient échangé un sourire timide et m’avaient répondu que j’avais raison.

Il s’appelait Joseph mais il aimait que je l’appelle le fermier car c’était sa vraie identité, disait-il.

— Tu comprends, mon petit Marcel, dans la vie on est ce qu’on accomplit et moi je produis du lait, j’élève des vaches, je suis un fermier : un bordièr.

Il avait prononcé ce dernier mot en occitan, le front haut et le regard empli de fierté. J’étais debout dans la vieille charrette en bois. Un engin qu’il n’avait pas les moyens de réparer mais qui faisait le bonheur de mes jeux d’enfant. Mes poils s’étaient hérissés et je n’avais pu retenir ma réponse enthousiaste.

— Moi aussi, je serai fermier quand je serai grand, un bordièr comme toi.

Alors je vis ses yeux trembler et briller. Il me prit dans ses bras et me serra contre lui. Une étreinte de quai de gare un jour de retrouvailles. Beaucoup parce qu’il m’aimait, je le savais. Un peu aussi pour ne pas que je le vis pleurer. Une fine pluie chaude et salée m’avait caressé le front. Caché dans son épaule, moi aussi j’avais les yeux noyés de bonheur.

 

Le jour où ces visiteurs et leur chien avaient fait irruption à la ferme, Joseph était revenu du marché le regard inquiet. Après m’avoir embrassé, il était allé vers sa femme et l’avait entraînée par le bras jusqu’à la cuisine dont il avait pris soin de refermer la porte. J’étais en train de nourrir les poules. Depuis la cour, je les voyais discuter à travers la fenêtre. Rose avait porté une main sur sa bouche, un voile d’inquiétude avait maquillé son visage. Je la vis essuyer ses joues, son mari la prendre dans les bras. Un geste de réconfort qui ressemblait à un au revoir. Leur discussion avait duré plus d’une heure puis Rose s’était dirigée vers la chambre. Lorsque Joseph était ressorti de la cuisine, j’avais feint de ne pas les avoir observés et m’étais retourné en plongeant la main dans ma poche de maïs. Elle était vide et les poules s’étaient dispersées depuis bien longtemps. Planté comme un idiot au milieu de la cour, j’étais littéralement pris la main dans le sac.

— Qué fasiás ?

Lorsqu’il était contrarié, l’occitan reprenait le dessus. Qu’est-ce que je faisais ? Chercher une excuse était peine perdue. Il avait compris que je les avais observés.

— Marcel, ce soir des gens d’en-bas vont passer à la ferme.

J’ai vu ses lèvres se pincer, son inquiétude. J’ai demandé si c’était grave et qui étaient ces personnes. Ma question avait flotté quelques secondes. Il cherchait ses mots.

— Des personnes à problèmes, mais je m’en occupe. Ne t’en fais pas.

Je décelai un mensonge protecteur dans sa réponse. On ne recevait jamais de visite.

— Ne te montre pas durant leur visite et, cette fois-ci, obéis à ce que je viens de te dire. Tu m’as compris ?

Son index levé au ciel attendait ma confirmation.

— D’accord, répondis-je sur un ton coupable.

Mes yeux plantés au sol, je n’osais plus affronter son regard. J'avais quelque chose à lui avouer mais j’avais compris qu’il le savait déjà. Sans nul doute Radio marché lui avait-elle rapporté mes exploits du matin. Je n’aimais pas que Joseph soit fâché contre moi. J’avais fait assez de bêtises pour la journée alors je ferais exactement ce qu’il m’avait commandé.

*

*  *

Je surveillais l’homme au chien en train de déambuler dans la ferme tout en me remémorant ma matinée. Ce jour-là était l’anniversaire de Joseph. Alors, j’avais décidé de préparer une surprise. J’avais brisé mon cochon et rassemblé les quelques pièces qu’il m’avait rendues. Quatre-vingt-dix centimes : à six ans, les économies d’une vie. Joseph était parti à l’aube pour le marché. J’avais attendu que Rose se rende au potager puis j’avais filé à travers les tournesols. Un mulot en fuite. Il me fallait des framboises. Joseph adorait ça. On les mangerait ensemble, j’imaginais déjà son sourire. Ils sauraient que j’étais sorti sans les avoir avertis mais c’était pour une bonne cause. Il y avait un producteur de fruits à mi-chemin entre chez nous et le village. Quarante-cinq minutes de marche. Sur place, personne. Alors j’avais ramassé moi-même trois belles poignées de framboises puis récupéré une grosse pierre plate que j’avais déposée à l’endroit de ma récolte. Avec soin, j’y avais empilé toute ma fortune et j’étais reparti en pressant le pas. Je ne voulais pas que Rose remarquât mon absence.

— Hé, toi !

La surprise faillit me faire chuter. Une voix d’adolescent. Il ne me voulait pas de mal. Il avait récupéré l’argent et glissé le butin dans sa poche. Il s’appelait Émile, il avait 14 ans.

— Marcel, j’avais dit.

Il était gentil, on avait discuté de longues minutes. Il m’avait expliqué qu’il travaillait sur l’exploitation de fruits. Il m’avait raconté les semis, l’arrosage, les récoltes. De son trousseau de clés, il avait décroché la plus grande et l’avait levée au-dessus de sa tête comme on soulève un trophée.

— Tu vois celle-là, elle ouvre la grange où y’a toutes les barquettes stockées pour l’marché. Des milliers d’framboises. La caverne à Ali Baba.

Il me la mit entre les mains. J’observai l’objet magique, des paillettes dans les yeux. J’étais heureux d’avoir un ami. J’aurais voulu rester plus longtemps mais Rose allait finir par s’apercevoir de mon absence. Avant de partir j’étais allé faire pipi contre un mur de pierre. La même urgence avait conduit Émile à me rejoindre. Alors que je tentais d’écrire mon prénom sur le mur, une bagarre de jets d’urine démarra. À celui qui arriverait le plus haut, je finis par perdre le contrôle et arrosai les souliers d’Émile. Mon embarras. Ses yeux immenses. Mes excuses. Je m’étais rhabillé avec maladresse et étais parti en oubliant de lui rendre sa clé. Une omission involontaire. J’avais payé pour mes framboises alors il suffirait que je rende cette clé en expliquant toute l’histoire et l’affaire serait réglée.

 

Un aboiement me fit sursauter et m’arracha à mes pensées. L’homme au chien se rapprochait dangereusement de ma cachette. Il avait disparu de mon champ de vision. La peur me mordit l’estomac. J’étais certain que c’était moi qu’ils cherchaient. Le chien aboya encore. Et encore. Il s’excitait. Il se rapprochait de sa proie. Des bruits derrière moi. Une main ferme sur mon épaule. Une autre qui me bâillonna et m’entraîna en arrière. C’était terminé. Le long de ma jambe s’écoula la chaleur humide de ma terreur. L’homme au chien allait m’emmener loin de chez moi.

— Chut, calme toi.

Un miracle. La douce voix de Rose, son parfum, ses bras. Elle m’avait rejoint dans ma cachette. Rasséréné par sa présence, je retrouvai mon souffle. Depuis la cour, Tabar se fit entendre.

— Émile fait partie de mon personnel. Allez gamin, raconte-nous ce que tu as vu ce matin. Le vol sur mon exploitation.

Il avait lancé cet ordre avec impatience. Au milieu de la cour, souliers collés à la boue, Émile ôta son béret et le plaqua des deux mains contre ses cuisses. Tête dans les épaules. Regard coupable.

— Oui M’sieur. J’ai vu un p’tit garçon en train d’voler des framboises dans vos champs. Il s’est enfui en remontant l’chemin qui va à la ferme des Cazaux.

Tabar afficha un sourire satisfait. J’étais abattu.

— Et comme tu le sais, Cazaux, ce chemin ne mène presque nulle part ailleurs que chez toi, insista-t-il.

— Allez chercher autre part, il n’y a pas de voleur ici.

La réponse de Joseph fut balayée d’un revers de main par Tabar.

— Continue Émile.

Mon cœur s’emballa.

— Oui M’sieur, avant de partir il a pissé sur un mur de clôture. J’l’ai vu faire.

— Et le reste, Émile. Le reste.

Tabar ne tenait plus en place. Après m’avoir injustement accablé de vol de framboises, vexé pour ses souliers, mon ami éphémère allait m’accuser du vol de sa clé. Alors qu’Émile allait préciser le reste, Rose saisit mon visage à deux mains, m’obligeant à la regarder dans les yeux. Elle avait besoin de toute mon attention.

— Marcel, on part chez ma sœur. Tout de suite.

Elle ajouta que si Émile pouvait confirmer que c’était bien moi qu’il avait vu, ce charognard de Tabar ferait jouer ses relations et nous causerait des problèmes. J’avais un plan, je le soumis à Rose.

Et après on reviendra jeter la clé sur le chemin de Tabar ? Bien en vue, comme ça elle sera retrouvée et tout le monde pensera qu’Émile l’avait juste perdue.

Rose resta muette. Je dus me contenter d’un pâle sourire. Elle me tira hors de notre cachette et, d’un index posé sur ma bouche, me rappela qu’il nous fallait agir avec discrétion. Elle me prit sur son dos et nous traversâmes sans bruit le bois situé à l’arrière de la ferme. Son vélo nous attendait à l’entrée d’une clairière. Rose enfourcha la machine. Je montai sur le porte bagage, mes bras autour de sa taille. Un petit koala et sa mère.

— Tiens-toi bien, mon petit. Pour sûr, ça va secouer fort.

J’avais peur. Nous fuyions dans la nuit un danger que je comprenais mal. Nous nous élançâmes à tombeau ouvert sur une descente caillouteuse parsemée de trous. Je n’avais jamais imaginé que Rose était capable d’une chose pareille. L’air froid de la nuit fouettait nos visages. Nous étions secoués en tous sens. Des poupées de chiffon sur un grand huit de fête foraine. Chaque tour de roue nous éloignait du danger. Et de chez nous. Nous nous enfoncions dans l’obscurité. À deux. Sans Joseph.

*

*  *

Depuis ce jour, je ne suis revenu au village qu’une dizaine de fois en trente-cinq ans. Rose n’a jamais trouvé la force de m’accompagner. Sauf aujourd’hui, en quelque sorte. Comme à chaque fois, je suis d’abord allé revoir la ferme. Elle a été abandonnée après l’incendie qui l’avait dévorée. La nature y a repris ses droits. Le lierre a colonisé ce qu’il reste des façades. Des frênes ont poussé au milieu de la cuisine, perçant un toit disparu. Les poutres effondrées leur ont servi d’engrais. Sous une montagne de ronces, on devine encore la silhouette fantomatique de la vieille charrette en bois, prisonnière de l’éternité. Puis je me suis rendu au cimetière. De Joseph Cazaux ne reste face à moi qu’une pierre grise et une inscription dont les lettres dorées ont perdu leur éclat. Le graveur funéraire m’a proposé de leur rendre leur faste lorsqu’il aurait terminé d’ajouter le n et le t à la fin de Ici repose puis le prénom et le nom de Rose Cazaux. J’ai déposé sur leur tombe une gerbe de lys bleus, les préférés de Rose. En son centre j’ai placé un petit panier de framboises. J’ai reculé d’un pas et me suis figé, mâchoire crispée et poings serrés. Seul face au silence je revivais notre terrible histoire. Ce dernier jour avec Joseph, notre fuite, la discussion entre Rose et sa sœur alors que nous venions de nous réfugier chez elle.

 

Je jouais dans un coin du salon, leurs pleurs mal étouffés avaient attiré mon attention. J’entends encore la voix de Rose. Ces mots que je ne comprenais pas. Tabar et ses amis : la milice autoproclamée du village. De vulgaires collabos à la botte des envahisseurs allemands. Été 1944, j’avais six ans. Ces derniers mots assassins d’Émile, le reste, attendu par Tabar comme la mise à mort du taureau par les aficionados d’une corrida. Rose les avait répétés la gorge serrée.

Il a pissé sur un mur de clôture. J’l’ai vu faire. Et avant qu’il le remballe, j’ai vu son machin. Il était coupé au bout, avait dit Émile.

 

Je compris plus tard que mon crime n’avait jamais été d’avoir dérobé une clé par mégarde. Celui de Rose et Joseph fut de m’avoir caché et sauvé au péril de leur vie. Joseph est mort en taisant notre fuite. Un silence pour deux vies. Pour sa Rose et son petit Marcel. Alors que je séchais mes larmes, la voix de Joseph résonna dans mon cœur : « dans la vie, on est ce qu’on accomplit ». Ils sont beaucoup plus que mon bordièr et ma Rose. Sur le ruban entourant la gerbe de fleurs, je leur ai dédié ces mots empruntés à un autre Marcel : « Ils étaient mon Père et ma Mère, de toute éternité, et pour toujours »(1)


(1) Marcel Pagnol, La Gloire de mon père


Texte de Nicolas Guardiola, de Saint-Léon (31), 2024
 


En()quista
 

Lo bordièr se palfiquèt tot d'una. Las vacas l'agachavan fixament. Dins la nuèit, un can jaupèt. Una nuechòla quilèt per anonciar la caça. Un vedèl bramava.

Tanlèu que se poguèt bolegar, fugiguèt a cambas ajudatz-me. D’un saut quitèt l’estable, darquèt lo pati, en quatre cambadas montèt l’escalièr, trabuquèt sul lindal e s’amorrèt dins la cosina.

— Las vacas ! M’an parlat !

 

*

 

— Coma un caluc, te disi. Cresi que me fa un burn-out. Ai sonat lo mètge que lo venguèsse veire.

 

*

 

— Pr’aquò, es pas a s’espaurugar d’un pas res, Papà. E totjorn las va veire las vacas abans d’anar dormir. E lor parla sovent. Mas respondon pas. E en octosillabas !

 

*

 

— Foguèt totjorn plan pròcha de la natura. Quitament pendent sos estudis a HEC. Cresi qu’èra intimament religat al vibrar secret del monde. Als trefons de la tèrra, a las ondas cosmicas, als entremesclar de tot çò viu. M’estonariá pas que dins una ascla dimensionala e desconscienta aguèsse agut accès a comunicacions efemèras mas pregondas amb d’èssers que vesèm tròp sovent coma autres e inferiors.

 

*

 

 — He he ! N’avèm totes coneguts qu’a de moment avián d’escambis, amai pregonds, amb de causas… he he ! Las claus de l’ostal, la cauceta orfanèla... lo botelhon d’aigardent… he he !

 

*

 

— Cresi ben qu’aurà virat canturle, tot simplament. Per venir d’ont veniá e s’enterrar aicí, ja, caliá pas èsser plan plombat. Mas ausir sas vacas parlar…

 

*

 

— Son atal los païsans. Ara te tròban totjorn quicòm, un problèma fisic o psicologic, per te remborsar. Disi plan los païsans. Sabètz ben... los novèls... los joves, los « neo-rurals » ! Los agricultors, eles, los que sèm acostumats a acompanhar dins los investiments necessaris, an una etica. Una paraula. Nos i podèm fisar. Fan tot per onorar lor signatura. O acabar sens bruch.

 

*

 

— E solament las vacas ! Es aquò çò pus curiós. Ni lo can, ni la gata.

 

*

 

— Pò… se’n ditz ben pro. Ieu i èri pas ; ne dirai pas res. Mas n’i a ben pro a qual podètz demandar ! Tè, aquela d’aquí ! S’i coneis en fenomèn paranormal ! Cada an es a Lordas !

 

*

 

— Una mena d’auto-òdi folzejant. La denegacion de sa natura umana fàcia al grand èsser, a l’universal de la vida. Pas mai. Una revelacion espiritala e metafisica. Se me pòdi permetre.

 

*

 

— Es pas a ieu qu’o venguèt dire, vai ! Aurà ben comprés çò que ne pensi. E deu pas èsser fièr de veire cossí las causas viran. Cal pas èsser d’aicí per acceptar de se far tant de publicitat amb de conariás atal. Mas m’estona pas. A las darrièras municipalas ja… aviái solfinat l’ausèl. 

 

*

 

— Que tot lo monde o comprengan pas, es normal. Mas i a de causas que se sabon, ça que la. Vòli dire, dins las vièlhas familhas del planòl. I a de nuèches que son atal. Segon la luna, primièr. Se lo can caina jos la taula. O quand la canèla goteja irregularament. O quand los fraisses del Combèl brusisson sens cap de vent. Mas d’aquò, ne cal pas parlar.

 

*

 

— Lo mètge lo tròba san. Evidentament, ara que s’es pausat. Mas ieu l’ai vist coma jamai. Espaurugat, quequejant. Ara pardí, conta son istòria pausadament, amb sos aires de professor d’universitat.

 

*

 

— E degun ten pas compte del messatge. Pr’aquò es aquò l’essencial. Que li venga de Diu, de Jeovà o d’una vaca. Quin chaple fasèm ? Quantas vidas mespresam ? Ont es l’umanitat dins l’uman ?

 

*

 

— Efectivament, soi veterinari. Lo sol del canton dempuèi 2019. Coneissi tant lo sénher Leonard coma sas vacas. Res a senhalar. Un cabal de qualitat, una bòrda en transicion ecologica après un temps en HQE. Las nòrmas sanitàrias son estrictament respectadas.

 

*

 

— Los vièlhs o disián, « del temps que las bèstias parlavan »… Amai quand èri gafet, nos interdisián l’estable la nuèch de Nadal. Mas tot aquò son de vièlhas causas. D’un còp èra.

 

*

 

— Normal. Un òme normal. Cortés. Qu’aviá pas de problèma ambe degun.
 

*

 

— Es un cas interessant. Es clar que la vaca es pas quin animal que siá. La vaca, vedelièra, lachièra, es clarament una maire. La maire donc. Aquela que balha la vida e qu’es popada. Lo nòstre bordièr a pas acceptat que sa maire prenguèsse la paraula, que sortiguèsse de son ròtle familial, carnal, fisic, per entrar dins lo monde de la comunicacion sociala, del rasonament. Es clarament una paur del logos de sa maire que d’un biais trespassa l’imatge que l’enfant li atribuissiá e qu’avalís çò que cresiá solide.

 

*

 

— Mas al delà la vaca es tanben la divessa. Es la vaca de Las Caus, es Atòr, es la Gao Mata, la Maire Vaca, la Maire Universala. L’homo, tan sapiens que foguèsse, es trucat per las paraulas de la vaca, coma Abraham es trucat per las paraulas de l’Eternal, coma Paul es trucat sul camin de Damàs, coma Mohamed es trucat per las paraulas de Djibril. S’afronta a la paraula divenca, a son impossibilitat e la dificultat de son entendament. Es un combat personal e interior que deu menar e que devèm comprendre sens ensajar de comentar o explicar.

 

*

 

— Ieu, soi pas d’aqueles que se trachan del afars dels autres. Mas de qu’anava fotre de nuèch a l’estable ? Lo vedelar es passat. Pas de vaca malauta. Pausi la question.

 

*

 

— Simptomaticament, res. Me contèsse pas aquesta istòria, diriái qu’es un pacient totalement san de còrs e d’esperit.

 

*

 

— Si ben ! Un ser de vòta ! Remonta ara ! En tot cas, en tornant montar de Paissèl, un bocin caud comprenètz, l’aviam fach passar pel fenièr. Èra tombat dins lo rastelièr e las fedas, los buòus, lo can… tot aquò de bialar, de bramar, de jaupar ! E lo vièlh Marcet èra sortit, pardí ! En camisa, amb lo lum e lo fusilh. E l’autre dins lo negre al mièg del bestial que se fot a cridar d’una votz engertabla « L’as pas dicha la messa ! L’as pas dicha la messa ! Apuèi la femna, te preni l’anhèla ! E dins un mes acabarai per tu e lo topin de napoleòns ! ». Lo paure Marcet èra veuse dempuèi pauc, e cusson confirmat, aviá pas pagat la novena al riton ! Aguèt lèu fach de regularizar !

 

*

 

— Coma tot lo monde. N’a vist qualques uns, evidentament, cercar per las bosas, a la sason. E sens aquò, es quicòm que se sap. Amb internet, ara. Aurà ensajat. Totes veson pas d’elefants ròses sabètz !

 

*

 

— E qué volètz ? Es plan normal ! Aquò suspren, mas es atal… E ven tot sol… S’explica pas… Mas tot lo monde o vei pas ! Discretament, d’unes o dison, o d’esconduda vos sorison. Es pas question de se conflar, amai o fau sens voler far, mas es quicòm de misteriós. Sai pas... Qué ne comprenèz vos ? I a un quicòm de medical ? Quicòm que truca o un grand mal ? Psicologic ? O psiquiatric ? Rai ! Vos o disi entre amic ; ne pensaretz çò que volètz ! Perqué pas sièis ? Perqué pas dètz ? L’alexandrin seriá pus fin mas cambiariá pas lo destin.

 

*

 

— Me geina. Me geina. Que volètz. Es atal. Aimi pas. Aimi pas tot aquel monde. Que venon. Que pausan de questions. Coma… Sèm pas de bèstias curiosas. Que volètz ? Que vos pòdi dire ? Disi pas res sus degun. Es tot. Es un principe. Atal. Comprenètz. Es atal. A un moment… òm pòt pas… non.

 

*

 

— Mon paire es… un poèta. Amorós del campèstre. Es per aquò que nos menèt aicí. Onèste. Trabalhaire. Legís. Fòrça. A una vision del monde que pòt susprendre, mas que presi. Es pas un intellectual de burèu. Religa la sciença e lo sentit. L’experiença sensoriala umana e lo rasonament scientific freg. Coma lo poèta claus dins la metrica regda, l’indiscible de la vision onirica.

 

*

 

— Sovent òm o ditz : « li manca sonque la paraula ». Aviái una gata atal. De l’agachar, compreniái çò que voliá.

 

*

 

— Totes dins la familha. Pas completament tanpauc. Son plan integrats. Saludan tot lo monde. Los mainatges èran a l’escòla amb los mieus. Mas comprenètz. Pas tanpauc completament… Un pauc especial diriái. Pas coma… pas coma tot lo monde.

 

*

 

— Las vacas. E pas los vedèls. Es curiós ça que la ! Una comunicacion selectiva.

 

*

 

— Avètz ja agachat una vaca ? Non, pas « vist », disi plan « agachat ». Es una experiença. Vos anatz trufar de ieu, mas ensajatz un jorn. Pausatz-vos en fàcia d’una vaca. Pausadament. Sens aver res mai en cap. Sens constrencha. E agachatz-la. Dins los uèlhs. Veiretz. Veiretz. Vos disi pas res. Veiretz e ne tornarem parlar.

 

*

 

— Allucinacion auditiva. Tot simplament. Vesi pas çò qu’anatz cercar mai. Amb la lassièra, es corrent.

 

*

 

— E pr’aquò parlava. O m’a tot dich. En octosillabas. Los uèlhs dins los uèlhs.

 
Texte de Emmanuel Isopet, de Puygaillard-de-Quercy (82), 2024

 

 ...Et toujours en été
 

Le fermier se figea sur place. Les vaches le regardaient fixement. Dans le nuit, un chien aboya. Un bruit sourd résonna dans toute la roche qui composait la vallée alpine. Quelques instants après, trois cris faibles émergèrent du pré ; ensuite, plus rien. Plus un soupir autre que ceux des vaches, rien d’autre que les couinements du chien. Sous le regard impuissant des étoiles, la nuit redevint calme, et ce jusqu’aux premiers rayons du jour.

 

Comme tous les matins, J-P et son frère étaient restés cachés dans la chambre familiale, au fond de la maison. Tout discrètement – évidemment, il ne fallait surtout pas que Maman les entende, ou ils seraient forcés d’aller jouer dehors – tout discrètement, ils jouaient avec leurs navires en bois sur le tapis persan – probablement considéré par leur famille comme le seul et unique objet de valeur dans cette maison-ci. Ils regrettaient par ailleurs drôlement le tapis bicolore de leur salon en Normandie ; en effet, il était bien plus difficile de distinguer les limites du port et de la mer parmi tous ces motifs et toutes ces variations persanes. Mais, inévitablement, un éclat de rire se fit plus fort qu’un autre et interpella Maman.

— J-P ! Rémy ! Qu’est-ce que vous faites encore là ? Sortez d’ici, vous allez me gêner. Allez jouer dehors, il fait plus chaud !

 

Dehors, le soleil brillait déjà depuis plusieurs heures. Le voisin, un homme âgé qui avait toujours méprisé les enfants, s’occupait de ses salades. J-P avait toujours eu peur de l’approcher ; son grand-père, le « Pépé Julien », l’avait assez souvent mis en garde contre lui. Mais comment ne pas avoir peur d’un vieillard qui entoure son potager de barbelés, installés tout au long de la clôture, juste au niveau exact des yeux des enfants ? Comme si ce vieil homme mauvais avait été mesurer l’écart précis entre les orteils et les pupilles des trois petits de la maison pendant leur sommeil ! Qui sait – le vieillard du potager aurait même pu être un sorcier.

— Maman, maman, fit Rémy. Où il est, Pépé ?

— Dans son champ, qu’est-ce que tu imagines ? Allez, va jouer !

Et Maman rentra, laissant les deux petits face au vieillard.

— T’as vu ? chuchota J-P, planté droit comme un i à quelques mètres des salades. Il nous regarde comme si on était les limaces qui grignotent ses légumes.

Rémy inclina la tête, rendu perplexe par la curieuse image mentale que son frère lui imposait.

— Pépé m’a dit que son nom venait de ‘dague’. Peut-être qu’il est un tueur en cavale ! Peut-être même qu’il est un mafieux italien qui s’est réfugié dans les Alpes pour échapper à la police…

— Dagand ? Un italien ? répéta Rémy, réfléchissant longuement à ce qu’il venait d’entendre. À son âge, tu crois qu’il serait toujours recherché ?

— Il faut ! s’énerva J-P. Ou alors, tout le monde aurait un ancêtre mort assassiné dont on ne connaîtrait jamais le nom du meurtrier…

— Mmh, acquiesça Rémy. C’est ce qui est arrivé à l’Oncle Léon.

Et sur ces considérations, les deux petits coururent se cacher dans la grange.

 

Les oiseaux piaillaient encore à l’heure de la sieste, et les deux frères aussi. Leur sœur aînée, Marie, avait bien essayé de les calmer, afin de faciliter le repos de leur père en vacances – mais elle avait à son tour cédé à la tentation de l’amusement et jouait maintenant à cache-cache avec eux. Dagand avait par ailleurs dû finir depuis longtemps de s’occuper de ses pauvres salades trop vieilles pour être possiblement vendues. Derrière le chahut des jeux des enfants, les aboiements d’un chien résonnaient au loin et puis, quelques instants plus tard, la voix de la voisine, Yvonne, disputant son mari – et enfin les cloches de midi (midi et six minutes, précisément, puisque l’église est en retard).

— Il faut rentrer, déclara Marie. Ou Maman dira à Papa de nous donner la fessée.

— Il dort, Papa, répondit Rémy.

Et les jeux reprirent, et le foin continuait de voler, et les rires de s’échapper de la grange à l’odeur des vaches qui, elles, profitaient encore du pré… Et cela jusqu’au cri fatidique, redouté par tous les enfants engagés dans une partie endiablée de cache-cache :

— Mimi, Riri, Jean-Paul ! À table !

 

Papa émergeait encore d’un sommeil lourd quand les trois petits arrivèrent, le visage triste d’avoir été coupés en plein jeu. Une fois de plus, sur la vieille table rustique, l’affreuse cervelle de veau que Maman leu préparait si souvent les attendait. Maman venait justement de finir de remplir les assiettes – mais, immanquablement, trouva encore des raisons de reprocher à ses enfants de ne pas être rentrés plus vite. Soupirant d’agacement, et cherchant probablement aussi à échapper aux reproches de Maman, Papa se leva du vieux canapé et s’approcha de la porte d’entrée, toujours grand ouverte en plein été.

— Bouboule, il appela. Bouboule !... Mais où est donc passé ce chien ? Il va me rendre fou…

Exaspéré par l’absence de réponse du chien, il vint finalement s’asseoir.

— Et ton père, Lucienne ? continua-t-il en soupirant de nouveau. Je ne le vois pas. Toujours avec ses vaches ?

— Évidemment ! Il est fermier, que veux-tu ! Il doit s’occuper de ses vaches… Et s’en occuper bien mieux que toi de ton troupeau de petiots.

— Lucienne, voyons ! s’offusqua Papa. Enfin, ton père, ce vieillard obsédé par ses vaches – il n’est même pas rentré hier soir ! Voyons, je le sais bien, j’ai dormi sur le canapé. Je l’aurais entendu !

— Tu sais bien que tu n’entends rien d’autre que ce qui t’indique que tu vas pouvoir passer à table…

Papa se servit alors un verre de vin, faisant mine de ne plus entendre les remarques de Maman. Et quand elle eut fini de s’agiter autour des enfants, l’on n’entendait plus que le bruit des nombreuses mouches qui venaient, comme à leur habitude, partager le repas familial. Inévitablement, le silence devint rapidement trop pesant pour Papa ; maintenant qu’il avait passé Maman à la question, il se racla la gorge avant de se tourner vers les enfants .

— Et vous, alors ? dit-il. Vous êtes encore restés dans la chambre à jouer avec vos bateaux de bois ?

— Oui, fit Rémy.

— Je vous ai entendus. Papa grimaça. Vous ne pouviez pas aller dehors, jouer avec Bouboule ? Où est-il, ce satané chien, Lucienne ? Avec ton père ?

— Tu sais bien qu’il a besoin de lui. Il ne peut plus s’occuper de ses vaches tout seul.

— C’est sûr, si Bouboule n’était pas là pour aboyer sur la grosse Margot, ce pauvre vieux Julien n’aurait aucun moyen de la traîner de l’étable au pré, et alors, pour le retour…

 

La grosse Margot, c’était une vache du Pépé – enfin, ce qui ressemblait au mieux de très, très loin à une vache. Son gabarit était étonnamment large, et cela faisait d’elle une vache sédentaire, en quelque sorte. Elle pouvait rester des heures sans bouger au milieu du pré, à brouter l’herbe qui poussait tant bien que mal sous ses naseaux.  Elle ne prenait même pas la peine de se déplacer à l’ombre des arbres quand la chaleur montait trop, comme le faisaient instinctivement toutes les autres vaches du troupeau. Les quelques fois que J-P avait accompagné le Pépé au pré, il avait toujours fait en sorte de s’en tenir éloigné. Son grand-père émettait d’ailleurs souvent des réticences à laisser les enfants le suivre, et ce justement à cause de l’étrangeté de la Grosse Margot – mais son envie de faire plaisir à ses petits-enfants prenait irrémédiablement le dessus. Malgré tout, il avait toujours répété en quittant l’étable : surtout, les enfants, ne vous approchez pas de Margot ! 

 

— J-P, fit Papa en chaussant ses lunettes d’instituteur autoritaire, repoussant alors sa position de paternel. Mange ! Pourquoi tu ne manges pas ?

—Mgnempaslacermvel, répondit J-P.

— Comment ? Mais articule, enfin !

— J’aime pas la cervelle !

Papa tapa du poing sur la table,

Papa tapa du poing sur la table, si fort que la tasse de thé de Maman en décolla de quelques centimètres en l’air. Sous les yeux ébahis de Rémy (Marie ayant compris plus vite, en sa qualité d'aînée, que lever les yeux de son assiette n'entraînait que cris et réprimandes), il leva son doigt couvert de taches de tabac et le pointa sur le petit J-P.

— Jeune homme, dit-il, cherchant à reprendre sa respiration, comme toujours avant de se lancer dans une tirade d’ordre scolaire. Tu vas finir cette cervelle de veau et, après cela, tu iras prendre un bain.

Seul face à cette autorité soudaine, J-P ne parvenait à trouver à table autour de lui que peur, colère et indifférence – et certainement pas l’ombre d’un regard compatissant. Si personne ne pouvait lui porter soutien, ou même le défendre contre le maître d’école, il fallait qu’il trouve un moyen de le faire par lui-même. Il renversa alors la vieille chaise en bois aux pieds de la table et s’enfuit, en bon petit galopin qui avait refusé d’obéir à l’admonestation de son père.

— Le voilà qui s’en va, grommela Papa. Lucienne, fais quelque chose ! Ton fils vient de s’en aller. Pardieu, il aurait bien pu casser la chaise de ton père !

           

Et justement, c’était le Pépé que J-P partait chercher avec tant de précipitation. Il avait toujours été la seule personne à oser le défendre contre les sautes d’humeur de Papa – même Maman n’osait jamais rien lui dire. Au fond, et tous le savaient, elle appréciait de voir les trois enfants se faire disputer. J-P, par un malheureux hasard, si l’on peut dire ainsi, recevait bien plus de cris et de coups que les autres. Peut-être que s’il était arrivé à finir la cervelle, comme les autres, il n’aurait pas eu à quitter si précipitamment la table familiale ? Le saurait-il jamais ? Enfin, en pleine course, J-P n’envisageait certainement pas ces considérations futures. Il courait furieusement sur les routes boueuses qui traversaient le village vers le pré du Pépé, où son dernier havre de compassion se trouvait encore.

Le centre du village était curieusement agité, notamment en cette période du jour que l’on réservait traditionnellement à la sieste. Le petit J-P n’y prêta guère attention, absorbé par ses pas sur la roche de la montagne. Parmi le linge étendu sur les terrasses alentour, il ne vit même pas la robe de chambre qui se décrochait dans une rafale de vent et qui vint le stopper dans sa course aussi sèchement que le lasso d’un cowboy arrêtait le plus rapide des chevaux dans un des films qu’il regardait à la télé, chez lui, en Normandie.

— Bon sang, c’est le petit J-P ! fit un fermier à l’accent savoyard. Jeanine, il s’est pris dans ta robe !

Et quelques bras de fermiers du village vinrent relever l’enfant, qui n’attendait que de pouvoir s’enfuir de nouveau. Cependant leur air désolé le coupa bien vite dans son élan. Un homme moustachu laissa sa main fermement refermée sur le bras de J-P, ses yeux plongés dans les siens, du regard de ceux qui s’apprêtent à formuler une mauvaise nouvelle et qui cherchent dans l’expression du malheureux concerné une lueur qui leur indiquerait, pour les rassurer, que la nouvelle qu’ils apportent est presque déjà comprise.

— Tu sais où est ton Pépé, petit ? demanda un autre fermier, qui avait gardé depuis le début ses mains derrière son dos.

— Au pré, répondit J-P, inquiet de tous ces regards posés sur lui. Il garde ses vaches.

— J’ai ben peur que non, répondit l’homme, baissant respectueusement les yeux. C’est la Grosse Margot…

L’enfant ouvrit de grands yeux pleins d’incompréhension.

— Oui, elle a dû déraper, continua le fermier. Et tu sais bien qu’elle est beaucoup trop lourde pour pouvoir se relever par elle-même…

— Quelle misère… ajouta un autre homme.

Et le fermier osa finalement montrer au pauvre J-P effaré ce qu’il lui gardait caché depuis qu’il l’avait découvert ; il lui tendit, tremblotant, la casquette du Pépé Julien.


Texte de Louise Confais, de Gibel (31), 2024


 


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