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"Le
fermier se figea sur place. Les vaches le regardaient fixement. Dans la
nuit, un chien aboya."
ou
encore :
"Lo
bordièr se palfiquèt. Las vacas l’agachavan fixament. Dins la nuèit, un
can jaupèt.*"
Lire :
- Mon bordièr
et ma Rose (texte adulte)
- En()quista (texte occitan)
-
...Et toujours en
été
(texte Jeune)
Mon bordièr et ma Rose
Le fermier
se figea sur place. Les vaches le regardaient fixement. Dans la nuit, un
chien aboya.
La flèche
lumineuse d’une torche s’arrêta sur ses bottes. Des bruits de pas dans
la boue et les flaques. Le son métallique d’un briquet puis une lueur
rougeoyante perçant l’obscurité. Deux hommes s’étaient arrêtés au
portail de la ferme. L’un d’eux tira une longue bouffée de la pipe qu’il
venait d’allumer et expira une première fumée légère. Une nouvelle
bouffée, une fumée plus épaisse. Il prenait son temps. Il marquait son
territoire. Il semblait sûr de sa force. L’homme qui l’accompagnait
tenait en laisse un molosse nerveux. Le clair de lune illuminait la
scène, depuis ma cachette je pouvais tout voir. Le fumeur s’avança. Il
s’arrêta à quelques mètres du fermier, les bras le long du corps, le
regard fixé sur lui. Un cow-boy se préparant au duel. Puis il retira la
pipe de sa bouche.
— Alors
Cazaux, on ne salue pas ses amis ?
Le fermier
planta un regard noir dans celui de son visiteur.
—
Je
ne vois aucun ami, Tabar.
D’un geste du
menton, Tabar fit un signe à l’homme qui l’accompagnait. Lui et son
chien se mirent à inspecter la cour de la ferme. Derrière eux, une
troisième silhouette. Un enfant. À la vue de son visage, mon sang se
figea. Mes mains devinrent moites. Je connaissais ce garçon, il
s’appelait Émile.
*
* *
La vie
avait emporté mes parents lorsque j’avais deux ans. Plus rien ne me les
rappelait. Ni leurs voix, ni leurs visages, pas le moindre souvenir. La
chimère de ma naissance. Cela faisait déjà quatre ans que les Cazaux
m’avaient recueilli. Ils étaient devenus ma seconde famille. Ma seule
famille. Ils prenaient soin de moi comme de leur propre fils. Malgré
leur travail, ils s’organisaient toujours pour ne pas me laisser seul.
Chacun à leur tour, parfois ensemble. J’aimais lorsque nous étions tous
les trois. Nous habitions loin du village, plus d’une heure et demi de
marche à l’aller et un chemin caillouteux bien trop raide au retour pour
mes petits mollets de coq. Trop loin, trop difficile pour aller à
l’école du hameau. Alors c’est la femme du fermier, Rose, qui
s’improvisait institutrice. Elle faisait de son mieux.
— Moi je
suis pas été beaucoup à l’école mais je vais t’apprendre tout qu’est-ce
que je sais, s’excusait-elle trop souvent.
Lui
m’enseignait la traite et l’élevage des vaches. Il ne jurait que par la
peine et l’effort physique.
— Le
travail, c’est la vie. Par ici il n’y a que les fainéants qui meurent de
faim.
Nous
vivions presque en autarcie. Elle s’occupait du potager et de la
basse-cour. Lui descendait tous les matins au village pour livrer des
clients ou vendre le lait au marché et à l’occasion trouver quelques
médicaments. Il s’y informait aussi des dernières nouvelles. Radio
marché, disait-il. Du haut de mes six ans, je leur avais dit qu’on
avait raison de vivre loin du hameau car le fermier en remontait
toujours avec les yeux fâchés. Ils avaient échangé un sourire timide et
m’avaient répondu que j’avais raison.
Il
s’appelait Joseph mais il aimait que je l’appelle le fermier car c’était
sa vraie identité, disait-il.
— Tu
comprends, mon petit Marcel, dans la vie on est ce qu’on accomplit et
moi je produis du lait, j’élève des vaches, je suis un fermier :
un bordièr.
Il avait
prononcé ce dernier mot en occitan, le front haut et le regard empli de
fierté. J’étais debout dans la vieille charrette en bois. Un engin qu’il
n’avait pas les moyens de réparer mais qui faisait le bonheur de mes
jeux d’enfant. Mes poils s’étaient hérissés et je n’avais pu retenir ma
réponse enthousiaste.
— Moi
aussi, je serai fermier quand je serai grand, un bordièr comme
toi.
Alors je
vis ses yeux trembler et briller. Il me prit dans ses bras et me serra
contre lui. Une étreinte de quai de gare un jour de retrouvailles.
Beaucoup parce qu’il m’aimait, je le savais. Un peu aussi pour ne pas
que je le vis pleurer. Une fine pluie chaude et salée m’avait caressé le
front. Caché dans son épaule, moi aussi j’avais les yeux noyés de
bonheur.
Le jour où
ces visiteurs et leur chien avaient fait irruption à la ferme, Joseph
était revenu du marché le regard inquiet. Après m’avoir embrassé, il
était allé vers sa femme et l’avait entraînée par le bras jusqu’à la
cuisine dont il avait pris soin de refermer la porte. J’étais en train
de nourrir les poules. Depuis la cour, je les voyais discuter à travers
la fenêtre. Rose avait porté une main sur sa bouche, un voile
d’inquiétude avait maquillé son visage. Je la vis essuyer ses joues, son
mari la prendre dans les bras. Un geste de réconfort qui ressemblait à
un au revoir. Leur discussion avait duré plus d’une heure puis Rose
s’était dirigée vers la chambre. Lorsque Joseph était ressorti de la
cuisine, j’avais feint de ne pas les avoir observés et m’étais retourné
en plongeant la main dans ma poche de maïs. Elle était vide et les
poules s’étaient dispersées depuis bien longtemps. Planté comme un idiot
au milieu de la cour, j’étais littéralement pris la main dans le sac.
— Qué
fasiás ?
Lorsqu’il
était contrarié, l’occitan reprenait le dessus. Qu’est-ce que je
faisais ? Chercher une excuse était peine perdue. Il avait compris que
je les avais observés.
— Marcel,
ce soir des gens d’en-bas vont passer à la ferme.
J’ai vu
ses lèvres se pincer, son inquiétude. J’ai demandé si c’était grave et
qui étaient ces personnes. Ma question avait flotté quelques secondes.
Il cherchait ses mots.
— Des
personnes à problèmes, mais je m’en occupe. Ne t’en fais pas.
Je décelai
un mensonge protecteur dans sa réponse. On ne recevait jamais de visite.
— Ne te
montre pas durant leur visite et, cette fois-ci, obéis à ce que je viens
de te dire. Tu m’as compris ?
Son index
levé au ciel attendait ma confirmation.
—
D’accord, répondis-je sur un ton coupable.
Mes yeux
plantés au sol, je n’osais plus affronter son regard. J'avais quelque
chose à lui avouer mais j’avais compris qu’il le savait déjà. Sans nul
doute Radio marché lui avait-elle rapporté mes exploits du matin.
Je n’aimais pas que Joseph soit fâché contre moi. J’avais fait assez de
bêtises pour la journée alors je ferais exactement ce qu’il m’avait
commandé.
*
* *
Je
surveillais l’homme au chien en train de déambuler dans la ferme tout en
me remémorant ma matinée. Ce jour-là était l’anniversaire de Joseph.
Alors, j’avais décidé de préparer une surprise. J’avais brisé mon cochon
et rassemblé les quelques pièces qu’il m’avait rendues. Quatre-vingt-dix
centimes : à six ans, les économies d’une vie. Joseph était parti à
l’aube pour le marché. J’avais attendu que Rose se rende au potager puis
j’avais filé à travers les tournesols. Un mulot en fuite. Il me fallait
des framboises. Joseph adorait ça. On les mangerait ensemble,
j’imaginais déjà son sourire. Ils sauraient que j’étais sorti sans les
avoir avertis mais c’était pour une bonne cause. Il y avait un
producteur de fruits à mi-chemin entre chez nous et le village.
Quarante-cinq minutes de marche. Sur place, personne. Alors j’avais
ramassé moi-même trois belles poignées de framboises puis récupéré une
grosse pierre plate que j’avais déposée à l’endroit de ma récolte. Avec
soin, j’y avais empilé toute ma fortune et j’étais reparti en pressant
le pas. Je ne voulais pas que Rose remarquât mon absence.
— Hé,
toi !
La
surprise faillit me faire chuter. Une voix d’adolescent. Il ne me
voulait pas de mal. Il avait récupéré l’argent et glissé le butin dans
sa poche. Il s’appelait Émile, il avait 14 ans.
— Marcel,
j’avais dit.
Il était
gentil, on avait discuté de longues minutes. Il m’avait expliqué qu’il
travaillait sur l’exploitation de fruits. Il m’avait raconté les semis,
l’arrosage, les récoltes. De son trousseau de clés, il avait décroché la
plus grande et l’avait levée au-dessus de sa tête comme on soulève un
trophée.
— Tu vois
celle-là, elle ouvre la grange où y’a toutes les barquettes stockées
pour l’marché. Des milliers d’framboises. La caverne à Ali Baba.
Il me la
mit entre les mains. J’observai l’objet magique, des paillettes dans les
yeux. J’étais heureux d’avoir un ami. J’aurais voulu rester plus
longtemps mais Rose allait finir par s’apercevoir de mon absence. Avant
de partir j’étais allé faire pipi contre un mur de pierre. La même
urgence avait conduit Émile à me rejoindre. Alors que je tentais
d’écrire mon prénom sur le mur, une bagarre de jets d’urine démarra. À
celui qui arriverait le plus haut, je finis par perdre le contrôle et
arrosai les souliers d’Émile. Mon embarras. Ses yeux immenses. Mes
excuses. Je m’étais rhabillé avec maladresse et étais parti en oubliant
de lui rendre sa clé. Une omission involontaire. J’avais payé pour mes
framboises alors il suffirait que je rende cette clé en expliquant toute
l’histoire et l’affaire serait réglée.
Un
aboiement me fit sursauter et m’arracha à mes pensées. L’homme au chien
se rapprochait dangereusement de ma cachette. Il avait disparu de mon
champ de vision. La peur me mordit l’estomac. J’étais certain que
c’était moi qu’ils cherchaient. Le chien aboya encore. Et encore. Il
s’excitait. Il se rapprochait de sa proie. Des bruits derrière moi. Une
main ferme sur mon épaule. Une autre qui me bâillonna et m’entraîna en
arrière. C’était terminé. Le long de ma jambe s’écoula la chaleur humide
de ma terreur. L’homme au chien allait m’emmener loin de chez moi.
— Chut,
calme toi.
Un miracle. La
douce voix de Rose, son parfum, ses bras. Elle m’avait rejoint dans ma
cachette. Rasséréné par sa présence, je retrouvai mon souffle. Depuis la
cour, Tabar se fit entendre.
— Émile
fait partie de mon personnel. Allez gamin, raconte-nous ce que tu as vu
ce matin. Le vol sur mon exploitation.
Il avait
lancé cet ordre avec impatience. Au milieu de la cour, souliers collés à
la boue, Émile ôta son béret et le plaqua des deux mains contre ses
cuisses. Tête dans les épaules. Regard coupable.
— Oui
M’sieur. J’ai vu un p’tit garçon en train d’voler des framboises dans
vos champs. Il s’est enfui en remontant l’chemin qui va à la ferme des
Cazaux.
Tabar afficha un
sourire satisfait. J’étais abattu.
— Et comme
tu le sais, Cazaux, ce chemin ne mène presque nulle part ailleurs que
chez toi, insista-t-il.
— Allez
chercher autre part, il n’y a pas de voleur ici.
La réponse de
Joseph fut balayée d’un revers de main par Tabar.
— Continue
Émile.
Mon cœur
s’emballa.
— Oui
M’sieur, avant de partir il a pissé sur un mur de clôture. J’l’ai vu
faire.
— Et le
reste, Émile. Le reste.
Tabar ne tenait
plus en place. Après m’avoir injustement accablé de vol de framboises,
vexé pour ses souliers, mon ami éphémère allait m’accuser du vol de sa
clé. Alors qu’Émile allait préciser le reste, Rose saisit mon visage à
deux mains, m’obligeant à la regarder dans les yeux. Elle avait besoin
de toute mon attention.
— Marcel,
on part chez ma sœur. Tout de suite.
Elle ajouta que si
Émile pouvait confirmer que c’était bien moi qu’il avait vu, ce
charognard de Tabar ferait jouer ses relations et nous causerait des
problèmes. J’avais un plan, je le soumis à Rose.
—
Et après on
reviendra jeter la clé sur le chemin de Tabar ? Bien en vue, comme ça
elle sera retrouvée et tout le monde pensera qu’Émile l’avait juste
perdue.
Rose resta
muette. Je dus me contenter d’un pâle sourire. Elle me tira hors de
notre cachette et, d’un index posé sur ma bouche, me rappela qu’il nous
fallait agir avec discrétion. Elle me prit sur son dos et nous
traversâmes sans bruit le bois situé à l’arrière de la ferme. Son vélo
nous attendait à l’entrée d’une clairière. Rose enfourcha la machine. Je
montai sur le porte bagage, mes bras autour de sa taille. Un petit koala
et sa mère.
—
Tiens-toi bien, mon petit. Pour sûr, ça va secouer fort.
J’avais
peur. Nous fuyions dans la nuit un danger que je comprenais mal. Nous
nous élançâmes à tombeau ouvert sur une descente caillouteuse parsemée
de trous. Je n’avais jamais imaginé que Rose était capable d’une chose
pareille. L’air froid de la nuit fouettait nos visages. Nous étions
secoués en tous sens. Des poupées de chiffon sur un grand huit de fête
foraine. Chaque tour de roue nous éloignait du danger. Et de chez nous.
Nous nous enfoncions dans l’obscurité. À deux. Sans Joseph.
*
* *
Depuis ce
jour, je ne suis revenu au village qu’une dizaine de fois en trente-cinq
ans. Rose n’a jamais trouvé la force de m’accompagner. Sauf aujourd’hui,
en quelque sorte. Comme à chaque fois, je suis d’abord allé revoir la
ferme. Elle a été abandonnée après l’incendie qui l’avait dévorée. La
nature y a repris ses droits. Le lierre a colonisé ce qu’il reste des
façades. Des frênes ont poussé au milieu de la cuisine, perçant un toit
disparu. Les poutres effondrées leur ont servi d’engrais. Sous une
montagne de ronces, on devine encore la silhouette fantomatique de la
vieille charrette en bois, prisonnière de l’éternité. Puis je me suis
rendu au cimetière. De Joseph Cazaux ne reste face à moi qu’une pierre
grise et une inscription dont les lettres dorées ont perdu leur éclat.
Le graveur funéraire m’a proposé de leur rendre leur faste lorsqu’il
aurait terminé d’ajouter le n et le t à la fin de Ici
repose puis le prénom et le nom de Rose Cazaux. J’ai déposé sur leur
tombe une gerbe de lys bleus, les préférés de Rose. En son centre j’ai
placé un petit panier de framboises. J’ai reculé d’un pas et me suis
figé, mâchoire crispée et poings serrés. Seul face au silence je
revivais notre terrible histoire. Ce dernier jour avec Joseph, notre
fuite, la discussion entre Rose et sa sœur alors que nous venions de
nous réfugier chez elle.
Je jouais
dans un coin du salon, leurs pleurs mal étouffés avaient attiré mon
attention. J’entends encore la voix de Rose. Ces mots que je ne
comprenais pas. Tabar et ses amis : la milice autoproclamée du village.
De vulgaires collabos à la botte des envahisseurs allemands. Été 1944,
j’avais six ans. Ces derniers mots assassins d’Émile, le reste,
attendu par Tabar comme la mise à mort du taureau par les aficionados
d’une corrida. Rose les avait répétés la gorge serrée.
— Il a
pissé sur un mur de clôture. J’l’ai vu faire. Et avant qu’il le
remballe, j’ai vu son machin. Il était coupé au bout, avait dit
Émile.
Je compris plus tard que
mon crime n’avait jamais été d’avoir dérobé une clé par mégarde. Celui
de Rose et Joseph fut de m’avoir caché et sauvé au péril de leur vie.
Joseph est mort en taisant notre fuite. Un silence pour deux vies. Pour
sa Rose et son petit Marcel. Alors que je séchais mes larmes, la voix de
Joseph résonna dans mon cœur : « dans la vie, on est ce qu’on
accomplit ». Ils sont beaucoup plus que mon bordièr et ma
Rose. Sur le ruban entourant la gerbe de fleurs, je leur ai dédié ces
mots empruntés à un autre Marcel : « Ils étaient mon Père et ma Mère,
de toute éternité, et pour toujours »
Texte
de Nicolas Guardiola, de Saint-Léon (31), 2024
|
En()quista
Lo
bordièr se palfiquèt tot d'una. Las vacas l'agachavan fixament.
Dins la nuèit, un can jaupèt.
Una nuechòla quilèt per anonciar la caça. Un vedèl bramava.
Tanlèu que se poguèt bolegar, fugiguèt a cambas ajudatz-me. D’un
saut quitèt l’estable, darquèt lo pati, en quatre cambadas
montèt l’escalièr, trabuquèt sul lindal e s’amorrèt dins la
cosina.
—
Las vacas ! M’an parlat !
*
—
Coma un caluc, te disi. Cresi que me fa un burn-out. Ai sonat lo
mètge que lo venguèsse veire.
*
—
Pr’aquò, es pas a s’espaurugar d’un pas res, Papà. E totjorn las
va veire las vacas abans d’anar dormir. E lor parla sovent. Mas
respondon pas. E en octosillabas !
*
—
Foguèt totjorn plan pròcha de la natura. Quitament pendent sos
estudis a HEC. Cresi qu’èra intimament religat al vibrar secret
del monde. Als trefons de la tèrra, a las ondas cosmicas, als
entremesclar de tot çò viu. M’estonariá pas que dins una ascla
dimensionala e desconscienta aguèsse agut accès a comunicacions
efemèras mas pregondas amb d’èssers que vesèm tròp sovent coma
autres e inferiors.
*
—
He he ! N’avèm totes coneguts qu’a de moment avián d’escambis,
amai pregonds, amb de causas… he he ! Las claus de l’ostal, la
cauceta orfanèla... lo botelhon d’aigardent… he he !
*
—
Cresi ben qu’aurà virat canturle, tot simplament. Per venir
d’ont veniá e s’enterrar aicí, ja, caliá pas èsser plan plombat.
Mas ausir sas vacas parlar…
*
—
Son atal los païsans. Ara te tròban totjorn quicòm, un problèma
fisic o psicologic, per te remborsar. Disi plan los païsans.
Sabètz ben... los novèls... los joves, los « neo-rurals » ! Los
agricultors, eles, los que sèm acostumats a acompanhar dins los
investiments necessaris, an una etica. Una paraula. Nos i podèm
fisar. Fan tot per onorar lor signatura. O acabar sens bruch.
*
—
E solament las vacas ! Es aquò çò pus curiós. Ni lo can, ni la
gata.
*
—
Pò… se’n ditz ben pro. Ieu i èri pas ; ne dirai pas res. Mas n’i
a ben pro a qual podètz demandar ! Tè, aquela d’aquí ! S’i
coneis en fenomèn paranormal ! Cada an es a Lordas !
*
—
Una mena d’auto-òdi folzejant. La denegacion de sa natura umana
fàcia al grand èsser, a l’universal de la vida. Pas mai. Una
revelacion espiritala e metafisica. Se me pòdi permetre.
*
—
Es pas a ieu qu’o venguèt dire, vai ! Aurà ben comprés çò que ne
pensi. E deu pas èsser fièr de veire cossí las causas viran. Cal
pas èsser d’aicí per acceptar de se far tant de publicitat amb
de conariás atal. Mas m’estona pas. A las darrièras municipalas
ja… aviái solfinat l’ausèl.
*
—
Que tot lo monde o comprengan pas, es normal. Mas i a de causas
que se sabon, ça que la. Vòli dire, dins las vièlhas familhas
del planòl. I a de nuèches que son atal. Segon la luna, primièr.
Se lo can caina jos la taula. O quand la canèla goteja
irregularament. O quand los fraisses del Combèl brusisson sens
cap de vent. Mas d’aquò, ne cal pas parlar.
*
—
Lo mètge lo tròba san. Evidentament, ara que s’es pausat. Mas
ieu l’ai vist coma jamai. Espaurugat, quequejant. Ara pardí,
conta son istòria pausadament, amb sos aires de professor
d’universitat.
*
—
E degun ten pas compte del messatge. Pr’aquò es aquò
l’essencial. Que li venga de Diu, de Jeovà o d’una vaca. Quin
chaple fasèm ? Quantas vidas mespresam ? Ont es l’umanitat dins
l’uman ?
*
—
Efectivament, soi veterinari. Lo sol del canton dempuèi 2019.
Coneissi tant lo sénher Leonard coma sas vacas. Res a senhalar.
Un cabal de qualitat, una bòrda en transicion ecologica après un
temps en HQE. Las nòrmas sanitàrias son estrictament
respectadas.
*
—
Los vièlhs o disián, « del temps que las bèstias parlavan »…
Amai quand èri gafet, nos interdisián l’estable la nuèch de
Nadal. Mas tot aquò son de vièlhas causas. D’un còp èra.
*
—
Normal. Un òme normal. Cortés. Qu’aviá pas de problèma ambe
degun.
*
—
Es un cas interessant. Es clar que la vaca es pas quin animal
que siá. La vaca, vedelièra, lachièra, es clarament una maire.
La maire donc. Aquela que balha la vida e qu’es popada. Lo
nòstre bordièr a pas acceptat que sa maire prenguèsse la
paraula, que sortiguèsse de son ròtle familial, carnal, fisic,
per entrar dins lo monde de la comunicacion sociala, del
rasonament. Es clarament una paur del logos de sa maire
que d’un biais trespassa l’imatge que l’enfant li atribuissiá e
qu’avalís çò que cresiá solide.
*
—
Mas al delà la vaca es tanben la divessa. Es la vaca de Las
Caus, es Atòr, es la Gao Mata, la Maire Vaca, la Maire
Universala. L’homo, tan sapiens que foguèsse, es
trucat per las paraulas de la vaca, coma Abraham es trucat per
las paraulas de l’Eternal, coma Paul es trucat sul camin de
Damàs, coma Mohamed es trucat per las paraulas de Djibril.
S’afronta a la paraula divenca, a son impossibilitat e la
dificultat de son entendament. Es un combat personal e interior
que deu menar e que devèm comprendre sens ensajar de comentar o
explicar.
*
—
Ieu, soi pas d’aqueles que se trachan del afars dels autres. Mas
de qu’anava fotre de nuèch a l’estable ? Lo vedelar es passat.
Pas de vaca malauta. Pausi la question.
*
—
Simptomaticament, res. Me contèsse pas aquesta istòria, diriái
qu’es un pacient totalement san de còrs e d’esperit.
*
—
Si ben ! Un ser de vòta ! Remonta ara ! En tot cas, en tornant
montar de Paissèl, un bocin caud comprenètz, l’aviam fach passar
pel fenièr. Èra tombat dins lo rastelièr e las fedas, los buòus,
lo can… tot aquò de bialar, de bramar, de jaupar ! E lo vièlh
Marcet èra sortit, pardí ! En camisa, amb lo lum e lo fusilh. E
l’autre dins lo negre al mièg del bestial que se fot a cridar
d’una votz engertabla « L’as pas dicha la messa ! L’as pas dicha
la messa ! Apuèi la femna, te preni l’anhèla ! E dins un mes
acabarai per tu e lo topin de napoleòns ! ». Lo paure Marcet èra
veuse dempuèi pauc, e cusson confirmat, aviá pas pagat la novena
al riton ! Aguèt lèu fach de regularizar !
*
—
Coma tot lo monde. N’a vist qualques uns, evidentament, cercar
per las bosas, a la sason. E sens aquò, es quicòm que se sap.
Amb internet, ara. Aurà ensajat. Totes veson pas d’elefants
ròses sabètz !
*
—
E qué volètz ? Es plan normal ! Aquò suspren, mas es atal… E ven
tot sol… S’explica pas… Mas tot lo monde o vei pas !
Discretament, d’unes o dison, o d’esconduda vos sorison. Es pas
question de se conflar, amai o fau sens voler far, mas es quicòm
de misteriós. Sai pas... Qué ne comprenèz vos ? I a un quicòm de
medical ? Quicòm que truca o un grand mal ? Psicologic ? O
psiquiatric ? Rai ! Vos o disi entre amic ; ne pensaretz çò que
volètz ! Perqué pas sièis ? Perqué pas dètz ? L’alexandrin seriá
pus fin mas cambiariá pas lo destin.
*
—
Me geina. Me geina. Que volètz. Es atal. Aimi pas. Aimi pas tot
aquel monde. Que venon. Que pausan de questions. Coma… Sèm pas
de bèstias curiosas. Que volètz ? Que vos pòdi dire ? Disi pas
res sus degun. Es tot. Es un principe. Atal. Comprenètz. Es
atal. A un moment… òm pòt pas… non.
*
—
Mon paire es… un poèta. Amorós del campèstre. Es per aquò que
nos menèt aicí. Onèste. Trabalhaire. Legís. Fòrça. A una vision
del monde que pòt susprendre, mas que presi. Es pas un
intellectual de burèu. Religa la sciença e lo sentit.
L’experiença sensoriala umana e lo rasonament scientific freg.
Coma lo poèta claus dins la metrica regda, l’indiscible de la
vision onirica.
*
—
Sovent òm o ditz : « li manca sonque la paraula ». Aviái una
gata atal. De l’agachar, compreniái çò que voliá.
*
—
Totes dins la familha. Pas completament tanpauc. Son plan
integrats. Saludan tot lo monde. Los mainatges èran a l’escòla
amb los mieus. Mas comprenètz. Pas tanpauc completament… Un pauc
especial diriái. Pas coma… pas coma tot lo monde.
*
—
Las vacas. E pas los vedèls. Es curiós ça que la ! Una
comunicacion selectiva.
*
—
Avètz ja agachat una vaca ? Non, pas « vist », disi plan
« agachat ». Es una experiença. Vos anatz trufar de ieu, mas
ensajatz un jorn. Pausatz-vos en fàcia d’una vaca. Pausadament.
Sens aver res mai en cap. Sens constrencha. E agachatz-la. Dins
los uèlhs. Veiretz. Veiretz. Vos disi pas res. Veiretz e ne
tornarem parlar.
*
—
Allucinacion auditiva. Tot simplament. Vesi pas çò qu’anatz
cercar mai. Amb la lassièra, es corrent.
*
—
E pr’aquò parlava. O m’a tot dich. En octosillabas. Los uèlhs
dins los uèlhs.
Texte de Emmanuel Isopet, de Puygaillard-de-Quercy (82), 2024 |
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...Et
toujours en été
Le fermier se
figea sur place. Les vaches le regardaient fixement. Dans le
nuit, un chien aboya.
Un bruit sourd résonna dans toute la roche qui composait la
vallée alpine. Quelques instants après, trois cris faibles
émergèrent du pré ; ensuite, plus rien. Plus un soupir autre que
ceux des vaches, rien d’autre que les couinements du chien. Sous
le regard impuissant des étoiles, la nuit redevint calme, et ce
jusqu’aux premiers rayons du jour.
Comme tous les
matins, J-P et son frère étaient restés cachés dans la chambre
familiale, au fond de la maison. Tout discrètement – évidemment,
il ne fallait surtout pas que Maman les entende, ou ils seraient
forcés d’aller jouer dehors – tout discrètement, ils jouaient
avec leurs navires en bois sur le tapis persan – probablement
considéré par leur famille comme le seul et unique objet de
valeur dans cette maison-ci. Ils regrettaient par ailleurs
drôlement le tapis bicolore de leur salon en Normandie ; en
effet, il était bien plus difficile de distinguer les limites du
port et de la mer parmi tous ces motifs et toutes ces variations
persanes. Mais, inévitablement, un éclat de rire se fit plus
fort qu’un autre et interpella Maman.
— J-P ! Rémy !
Qu’est-ce que vous faites encore là ? Sortez d’ici, vous allez
me gêner. Allez jouer dehors, il fait plus chaud !
Dehors, le
soleil brillait déjà depuis plusieurs heures. Le voisin, un
homme âgé qui avait toujours méprisé les enfants, s’occupait de
ses salades. J-P avait toujours eu peur de l’approcher ; son
grand-père, le « Pépé Julien », l’avait assez souvent mis en
garde contre lui. Mais comment ne pas avoir peur d’un vieillard
qui entoure son potager de barbelés, installés tout au long de
la clôture, juste au niveau exact des yeux des enfants ? Comme
si ce vieil homme mauvais avait été mesurer l’écart précis entre
les orteils et les pupilles des trois petits de la maison
pendant leur sommeil ! Qui sait – le vieillard du potager aurait
même pu être un sorcier.
— Maman, maman,
fit Rémy. Où il est, Pépé ?
— Dans son
champ, qu’est-ce que tu imagines ? Allez, va jouer !
Et Maman rentra,
laissant les deux petits face au vieillard.
— T’as vu ?
chuchota J-P, planté droit comme un i à quelques mètres des
salades. Il nous regarde comme si on était les limaces qui
grignotent ses légumes.
Rémy inclina la
tête, rendu perplexe par la curieuse image mentale que son frère
lui imposait.
— Pépé m’a dit
que son nom venait de ‘dague’. Peut-être qu’il est un tueur en
cavale ! Peut-être même qu’il est un mafieux italien qui s’est
réfugié dans les Alpes pour échapper à la police…
— Dagand ? Un
italien ? répéta Rémy, réfléchissant longuement à ce qu’il
venait d’entendre. À son âge, tu crois qu’il serait toujours
recherché ?
— Il faut !
s’énerva J-P. Ou alors, tout le monde aurait un ancêtre mort
assassiné dont on ne connaîtrait jamais le nom du meurtrier…
— Mmh, acquiesça
Rémy. C’est ce qui est arrivé à l’Oncle Léon.
Et sur ces
considérations, les deux petits coururent se cacher dans la
grange.
Les oiseaux
piaillaient encore à l’heure de la sieste, et les deux frères
aussi. Leur sœur aînée, Marie, avait bien essayé de les calmer,
afin de faciliter le repos de leur père en vacances – mais elle
avait à son tour cédé à la tentation de l’amusement et jouait
maintenant à cache-cache avec eux. Dagand avait par ailleurs dû
finir depuis longtemps de s’occuper de ses pauvres salades trop
vieilles pour être possiblement vendues. Derrière le chahut des
jeux des enfants, les aboiements d’un chien résonnaient au loin
et puis, quelques instants plus tard, la voix de la voisine,
Yvonne, disputant son mari – et enfin les cloches de midi (midi
et six minutes, précisément, puisque l’église est en retard).
— Il faut
rentrer, déclara Marie. Ou Maman dira à Papa de nous donner la
fessée.
— Il dort, Papa,
répondit Rémy.
Et les jeux
reprirent, et le foin continuait de voler, et les rires de
s’échapper de la grange à l’odeur des vaches qui, elles,
profitaient encore du pré… Et cela jusqu’au cri fatidique,
redouté par tous les enfants engagés dans une partie endiablée
de cache-cache :
— Mimi, Riri,
Jean-Paul ! À table !
Papa émergeait
encore d’un sommeil lourd quand les trois petits arrivèrent, le
visage triste d’avoir été coupés en plein jeu. Une fois de plus,
sur la vieille table rustique, l’affreuse cervelle de veau que
Maman leu préparait si souvent les attendait. Maman venait
justement de finir de remplir les assiettes – mais,
immanquablement, trouva encore des raisons de reprocher à ses
enfants de ne pas être rentrés plus vite. Soupirant d’agacement,
et cherchant probablement aussi à échapper aux reproches de
Maman, Papa se leva du vieux canapé et s’approcha de la porte
d’entrée, toujours grand ouverte en plein été.
— Bouboule, il
appela. Bouboule !... Mais où est donc passé ce chien ? Il va me
rendre fou…
Exaspéré par
l’absence de réponse du chien, il vint finalement s’asseoir.
— Et ton père,
Lucienne ? continua-t-il en soupirant de nouveau. Je ne le vois
pas. Toujours avec ses vaches ?
— Évidemment !
Il est fermier, que veux-tu ! Il doit s’occuper de ses
vaches… Et s’en occuper bien mieux que toi de ton troupeau de
petiots.
— Lucienne,
voyons ! s’offusqua Papa. Enfin, ton père, ce vieillard obsédé
par ses vaches – il n’est même pas rentré hier soir ! Voyons, je
le sais bien, j’ai dormi sur le canapé. Je l’aurais entendu !
— Tu sais bien
que tu n’entends rien d’autre que ce qui t’indique que tu vas
pouvoir passer à table…
Papa se servit
alors un verre de vin, faisant mine de ne plus entendre les
remarques de Maman. Et quand elle eut fini de s’agiter autour
des enfants, l’on n’entendait plus que le bruit des nombreuses
mouches qui venaient, comme à leur habitude, partager le repas
familial. Inévitablement, le silence devint rapidement trop
pesant pour Papa ; maintenant qu’il avait passé Maman à la
question, il se racla la gorge avant de se tourner vers les
enfants .
— Et vous,
alors ? dit-il. Vous êtes encore restés dans la chambre à jouer
avec vos bateaux de bois ?
— Oui, fit Rémy.
— Je vous ai
entendus. Papa grimaça. Vous ne pouviez pas aller dehors, jouer
avec Bouboule ? Où est-il, ce satané chien, Lucienne ? Avec ton
père ?
— Tu sais bien
qu’il a besoin de lui. Il ne peut plus s’occuper de ses vaches
tout seul.
— C’est sûr, si
Bouboule n’était pas là pour aboyer sur la grosse Margot, ce
pauvre vieux Julien n’aurait aucun moyen de la traîner de
l’étable au pré, et alors, pour le retour…
La grosse
Margot, c’était une vache du Pépé – enfin, ce qui ressemblait au
mieux de très, très loin à une vache. Son gabarit était
étonnamment large, et cela faisait d’elle une vache sédentaire,
en quelque sorte. Elle pouvait rester des heures sans bouger au
milieu du pré, à brouter l’herbe qui poussait tant bien que mal
sous ses naseaux. Elle ne prenait même pas la peine de se
déplacer à l’ombre des arbres quand la chaleur montait trop,
comme le faisaient instinctivement toutes les autres vaches du
troupeau. Les quelques fois que J-P avait accompagné le Pépé au
pré, il avait toujours fait en sorte de s’en tenir éloigné. Son
grand-père émettait d’ailleurs souvent des réticences à laisser
les enfants le suivre, et ce justement à cause de l’étrangeté de
la Grosse Margot – mais son envie de faire plaisir à ses
petits-enfants prenait irrémédiablement le dessus. Malgré tout,
il avait toujours répété en quittant l’étable : surtout, les
enfants, ne vous approchez pas de Margot !
— J-P, fit Papa
en chaussant ses lunettes d’instituteur autoritaire, repoussant
alors sa position de paternel. Mange ! Pourquoi tu ne manges
pas ?
—Mgnempaslacermvel, répondit J-P.
— Comment ? Mais
articule, enfin !
— J’aime pas la
cervelle !
Papa tapa du
poing sur la table,
Papa tapa du
poing sur la table, si fort que la tasse de thé de Maman en
décolla de quelques centimètres en l’air. Sous les yeux ébahis
de Rémy (Marie ayant compris plus vite, en sa qualité d'aînée,
que lever les yeux de son assiette n'entraînait que cris et
réprimandes), il leva son doigt couvert de taches de tabac et le
pointa sur le petit J-P.
— Jeune homme,
dit-il, cherchant à reprendre sa respiration, comme toujours
avant de se lancer dans une tirade d’ordre scolaire.
Tu vas finir cette cervelle de veau et, après cela, tu iras
prendre un bain.
Seul face à
cette autorité soudaine, J-P ne parvenait à trouver à table
autour de lui que peur, colère et indifférence – et certainement
pas l’ombre d’un regard compatissant. Si personne ne pouvait lui
porter soutien, ou même le défendre contre le maître d’école, il
fallait qu’il trouve un moyen de le faire par lui-même. Il
renversa alors la vieille chaise en bois aux pieds de la table
et s’enfuit, en bon petit galopin qui avait refusé d’obéir à
l’admonestation de son père.
— Le voilà qui
s’en va, grommela Papa. Lucienne, fais quelque chose ! Ton fils
vient de s’en aller. Pardieu, il aurait bien pu casser la chaise
de ton père !
Et justement,
c’était le Pépé que J-P partait chercher avec tant de
précipitation. Il avait toujours été la seule personne à oser le
défendre contre les sautes d’humeur de Papa – même Maman n’osait
jamais rien lui dire. Au fond, et tous le savaient, elle
appréciait de voir les trois enfants se faire disputer. J-P, par
un malheureux hasard, si l’on peut dire ainsi, recevait bien
plus de cris et de coups que les autres. Peut-être que s’il
était arrivé à finir la cervelle, comme les autres, il n’aurait
pas eu à quitter si précipitamment la table familiale ? Le
saurait-il jamais ? Enfin, en pleine course, J-P n’envisageait
certainement pas ces considérations futures. Il courait
furieusement sur les routes boueuses qui traversaient le village
vers le pré du Pépé, où son dernier havre de compassion se
trouvait encore.
Le centre du
village était curieusement agité, notamment en cette période du
jour que l’on réservait traditionnellement à la sieste. Le petit
J-P n’y prêta guère attention, absorbé par ses pas sur la roche
de la montagne. Parmi le linge étendu sur les terrasses
alentour, il ne vit même pas la robe de chambre qui se
décrochait dans une rafale de vent et qui vint le stopper dans
sa course aussi sèchement que le lasso d’un cowboy arrêtait le
plus rapide des chevaux dans un des films qu’il regardait à la
télé, chez lui, en Normandie.
— Bon sang,
c’est le petit J-P ! fit un fermier à l’accent savoyard.
Jeanine, il s’est pris dans ta robe !
Et quelques bras
de fermiers du village vinrent relever l’enfant, qui n’attendait
que de pouvoir s’enfuir de nouveau. Cependant leur air désolé le
coupa bien vite dans son élan. Un homme moustachu laissa sa main
fermement refermée sur le bras de J-P, ses yeux plongés dans les
siens, du regard de ceux qui s’apprêtent à formuler une mauvaise
nouvelle et qui cherchent dans l’expression du malheureux
concerné une lueur qui leur indiquerait, pour les rassurer, que
la nouvelle qu’ils apportent est presque déjà comprise.
— Tu sais où est
ton Pépé, petit ? demanda un autre fermier, qui avait gardé
depuis le début ses mains derrière son dos.
— Au pré,
répondit J-P, inquiet de tous ces regards posés sur lui. Il
garde ses vaches.
— J’ai ben peur
que non, répondit l’homme, baissant respectueusement les yeux.
C’est la Grosse Margot…
L’enfant ouvrit
de grands yeux pleins d’incompréhension.
— Oui, elle a dû
déraper, continua le fermier. Et tu sais bien qu’elle est
beaucoup trop lourde pour pouvoir se relever par elle-même…
— Quelle misère…
ajouta un autre homme.
Et le fermier
osa finalement montrer au pauvre J-P effaré ce qu’il lui gardait
caché depuis qu’il l’avait découvert ; il lui tendit,
tremblotant, la casquette du Pépé Julien.
Texte de Louise Confais, de
Gibel (31), 2024 |
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