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		"6 h 30. Le camion-poubelle émerge du brouillard, tout est normal. 
		Sauf qu'on n'est pas lundi !" 
		
		ou 
		encore : 
		"6:30 del 
		matin. Lo camion de las escobilhas sortís de las neblas, tot va plan ! 
		Levat que sèm pas diluns." 
		 
		- 
		Et le sixième jour, Il se reposa 
		- Benne perdue 
		- 
		
		Desfilfargat 
		 
		
		Et le sixième jour, Il se reposa 
		6 h 30. Le camion-poubelle émerge du 
		brouillard, tout est normal. Sauf qu’on n’est pas lundi. Normal, 
		c’est beaucoup dire, mais ils le savent tous, ils s’y sont résignés, 
		c’est devenu la norme. Bientôt, aussi invraisemblable que cela paraisse, 
		ils s’habitueront de nouveau - au moins veulent-ils le croire. 
		 
		Cela devait arriver. Jamais deux sans 
		trois. Baroudeurs ou pantouflards, esprits forts ou pierrots lunaires, 
		ils se sont finalement tous faits à cette idée - ils ont dû s’y faire. 
		Certains ont déclaré que la réalité était devenue folle, mais n’est-ce 
		pas dénier la réalité qui est folie ?  
		Aujourd’hui les lève-tôt qui sont déjà 
		dehors à 6h30 observent que cela tombe de nouveau un jour de brouillard. 
		Ils en avaient beaucoup palabré. Certains même y voyaient une condition 
		nécessaire, l’humidité ou le manque de visibilité devaient jouer un 
		rôle. D’autres n’y voyaient que coïncidence mais écoutaient quand même 
		les bulletins météo, à tout hasard. Aujourd'hui ils sont donc troublés, 
		car ce brouillard n’a pas été annoncé. Mais ils ne sont pas vraiment 
		surpris par le phénomène, cela devait arriver à nouveau. Ils 
		pressentaient cet avenir qui pourtant fuit, goutte à goutte.  
		Il leur faudra quelques semaines pour se 
		réhabituer. Mais ils y arriveront, c'est au moins leur espoir. Certains 
		même s’en féliciteront, à commencer par le Syndicat puisque nous sommes, 
		ou plutôt nous devrions être, lundi, un jour de travail. La plupart des 
		églises, elles, seront soulagées.  
		* * *  
		La première fois, il y a six ans, la 
		panique avait été foudroyante ; pendant près des huit jours suivant le 
		Grand-J*-blanc du 12 novembre 2020, elle était restée incontrôlable. Les 
		responsables, les décideurs, ceux qui jusque-là en tout cas se croyaient 
		responsables ou décideurs, avaient vu la réalité leur échapper. Certains 
		énarques, eux, avaient même à cette occasion, découvert l’existence de 
		la réalité. Le bonheur, lui aussi, ne fait de bruit que lorsqu’il s’en 
		va. Mais rapidement tous s’étaient repris. Dans le monde entier. Pour la 
		première fois depuis des lustres, le Conseil de Sécurité avait même pris 
		rapidement quelques décisions unanimes. Unanimes, mais inutiles. Que 
		faire contre l’impensable ? Cependant les peuples avaient été moins 
		bousculés que les gouvernements. Car ce jour qui avait disparu était le 
		jeudi. Volatilisé le jeudi ! On passait directement du mercredi au 
		vendredi, on travaillait moins, le week-end arrivait plus vite. Mieux 
		que les 35 heures ! Le Syndicat avait apprécié, il avait enfin obtenu 
		quelque chose, il avait même fait mine d’être à l’origine des 
		événements.  
		Mais personne ne l’avait cru. Quelle 
		puissance terrestre aurait pu, partout dans le monde, rayer le jeudi de 
		la carte, l’effacer de tous les calendriers, l’enlever de tous les 
		textes avant sans doute de l’éradiquer des mémoires ? On avait vérifié : 
		même la Bible princeps du Vatican, incunable du XVème siècle conservé au 
		troisième sous-sol derrière trois régiments suisses et cinq portes 
		blindées, affirmait désormais : "Et le sixième jour, Il se reposa". Et 
		la force avait agi partout : les grandes villes de la planète, les beaux 
		quartiers comme les bas-fonds, les hameaux minuscules et même, 
		semblait-il, les avant-postes de Terre Adélie avaient été simultanément 
		touchés. Face au mystère, le taux de suicide grimpa en flèche puis 
		redescendit rapidement : on s’habituait, même si on demeurait "oppressé 
		par l’étrange", selon la formule du nouveau ministre canadien du Temps. 
		Et cet étrange était partout, on pouvait même difficilement le décrire 
		puisqu’on ne pouvait plus écrire ni imprimer le mot "jeudi". On le 
		prononçait encore, mais seulement en petits groupes, avec inquiétude et 
		prudence ; entre gens de confiance.  
		Chacun pourtant se souvenait du passé 
		récent quand la semaine comptait encore sept jours.  
		* * *  
		Le jeudi avait disparu mais dès la 
		panique calmée, on se rendit compte que les conséquences en étaient 
		minimes. Botanistes, zoologues et météorologues confirmèrent que les 
		plantes, les animaux et les nuages semblaient indifférents au mystère 
		ambiant. Seul le feulement du léopard d’amour s’était élargi d'une 
		octave, mais ce minuscule mystère additionnel ne fit frémir que quelques 
		spécialistes.  
		Certaines professions prirent peur mais 
		furent vite rassérénées. Les hôteliers accueillirent des clients moins 
		longtemps mais plus souvent. Les économistes n’eurent aucun mal à 
		expliquer que, puisque tous les pays avaient été pareillement touchés, 
		il était normal de ne distinguer aucune conséquence. D’autres espérèrent 
		bénéficier de la situation mais déchantèrent vite, à l’instar des 
		imprimeurs qui salivèrent à l’idée de réimprimer tous les calendriers 
		avant qu’on ne constate que tous les agendas du monde s’étaient mis à 
		jour. Dans leurs analyses, les universitaires se partagèrent en 
		nouvelles chapelles, nouvelles écoles et nouveaux clans; mais ni la 
		science ni les scientifiques (pas même quelques étudiants ambitieux) ne 
		tirèrent profit de combats inédits qui pâlirent vite en escarmouches.
		 
		On chercha à agir. Les autorités du 
		Béloutchistan oriental, les premières, tentèrent de rétablir un 
		calendrier cyclique sur sept jours en réduisant la durée de chaque 
		journée, mais cela s’avéra impossible. Le gouvernement suisse décida de 
		renommer les jours (en leur gardant leur durée astronomique) pour 
		réintroduire la semaine usuelle ; après tout il en allait de l’avenir de 
		l’industrie horlogère, cela valait bien une tentative unilatérale. Mais 
		les nouveaux jeudis helvétiques disparurent comme les autres, entraînés 
		dans la faille. Au bout de trois mois, seuls les astronomes, les 
		religieux, les psys et les horlogers continuaient à occuper les écrans 
		de télévision. Mais on ne les écoutait plus : ils débattaient sans fin, 
		sans jamais proposer explication convenable ou action réaliste. On 
		s’habitua. Que faire d’autre ?  
		* * *  
		Le calme était revenu, les routines 
		s’étaient réinstallées quand, deux ans plus tard - un jour de brouillard 
		à Toulouse, comme la première fois - brutalement, en octobre 2022, le 
		mardi à son tour s’évanouit, partout sur la planète.  
		L’inquiétude se réveilla, fulgurante, 
		renforcée par une peur nouvelle. Jeudis et mardis avaient disparu, la 
		semaine s’amenuisait en peau de chagrin, l’avenir n’était-il pas tout 
		simplement en train de fondre ? Un naufrage inexorable. Une fin du monde 
		que personne n’avait imaginée ainsi mais qui se rapprochait. Il fallait 
		l'admettre : on ne savait plus prévoir le Temps.  
		Les agences internationales, les 
		Parlements, les sociétés savantes, les ONG, les mafias elles-mêmes se 
		mirent à se réunir fiévreusement. Leur seule conclusion fut de convenir 
		que, puisqu'il n’y avait rien à faire, l’ONU était particulièrement bien 
		préparée et devrait jouer le premier rôle. Les prédicateurs se 
		multiplièrent. Le temps lui-même allait se désagréger mais quel serait 
		le dernier jour avant le retour au néant ? Le Vendredi, le Samedi, le 
		Dimanche ? Imams, rabbins et évêques s’entrechoquaient, ne convenant que 
		d’un point : on allait enfin savoir, au-delà de toute contestation, 
		quelle était la vraie Foi. On se mit à parier. Les bookmakers firent 
		fortune. On pariait sur l’échéance, sur le prochain jour qui serait 
		englouti, sur le dernier qui viendrait à survivre. Sur l’évolution à 
		venir de la durée de grossesse. Sur la rentabilité des hebdomadaires, 
		sur les taux interbancaires, sur la durée du quinquennat. Le raisonnable 
		avait disparu, l’irrationnel submergea jusqu’aux états-majors. L’Union 
		Inter-Académique elle-même se réfugia dans la numérologie et affirma que 
		la force se devait d’être régulière et agirait très probablement à 
		nouveau au bout de deux années. Seules quelques âmes fortes se 
		prétendaient tranquilles et claironnaient leur foi inchangée en l'avenir 
		; la Ligue des Braves inventa même une nouvelle forme d'action, le 
		mariage : "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! Profitez de ce 
		qu'il y a encore des samedis !".  
		On attendait désormais avec anxiété mais, 
		deux ans plus tard, en 2024, malgré un fort brouillard qui dura dix 
		jours (deux semaines), rien ne se passa. On se sentit épargné, presque 
		confiant. Même le patronat, qui avait pourtant vu la semaine de travail 
		amputée de deux jours se remit à croire à l’existence du futur. Les 
		révolutionnaires (il en restait) partageaient cet optimisme en 
		rappelant, eux aussi, que les circonstances exceptionnelles et les 
		périodes incertaines étaient pain bénit pour les hommes résolus. 
		 
		Rien ne s’était produit, certains 
		prédicateurs y voyaient le signe que Dieu était satisfait et 
		récompensait les hommes qui avaient su se rassembler et Lui sourire. 
		D’autres, plus nombreux, y voyaient au contraire le signe annonciateur 
		d’un tonnerre d’autant plus puissant qu’il aurait été retardé. Deux 
		jours sûrement, trois peut-être, disparaitraient la prochaine fois d’un 
		seul coup !  
		* * *  
		Après la fausse alerte de 2024, le calme 
		revint mais il demeura précaire. Il suffit d’une simple coquille dans 
		l'impression d'une date sur la couverture d’un magazine congolais pour 
		ranimer l’inquiétude. Elle se propagea sans mal dans le monde entier, 
		les braises n’étaient pas éteintes.  
		On ne savait rien mais deux "catastrophes 
		tranquilles" - c’était encore le ministre canadien qui avait trouvé la 
		formule - avaient balayé la planète en 2020 et 2022. Les gouvernements 
		et tous les spécialistes prônaient sans succès le sang-froid et la 
		retenue. Les britanniques réimprimèrent la fameuse affiche "Keep calm 
		and carry on !" et en couvrirent le Commonwealth dans l’espoir de 
		raviver l’esprit de résistance qui avait tant compté au milieu du XXème 
		siècle. Mais les temps avaient changé. Les réseaux sociaux permettaient 
		désormais à chacun de vociférer tout à l'envi. On ne croyait plus les 
		gouvernements, ni les académies, ni les églises. Pas plus d’ailleurs que 
		les médias. Les rumeurs circulaient. Tout appel au raisonnement les 
		renforçait, d’ailleurs la logique elle-même ne venait-elle pas d’être 
		broyée ? On murmurait que les dimanches avaient déjà disparu en Arabie 
		et que dans certains Etats américains (on évoquait l’Ohio et le 
		Kentucky) le vendredi avait même été interdit. On répétait que l’ONU 
		avait décidé de faire la part du feu et de tenir bon, le moment venu, 
		sur la semaine de trois jours. Une nouvelle ligne Maginot. Les armes 
		secrètes, construites à la fin du siècle dernier avaient certainement 
		été dessinées dans ce but ; car, grondait-on, les politiques étaient 
		certainement informés depuis longtemps mais, comme toujours, ils avaient 
		menti aux populations. C’est le moment que les sociologues choisirent 
		pour attaquer les physiciens et les biologistes. S’appuyant sur la 
		déferlante populiste, ils accusèrent de terrorisme, de conspiration et 
		de complicité avec les politiques leurs collègues des sciences dures. 
		Cette disparition de jours de la semaine, cette évaporation du temps 
		auraient-elles été possibles sans le soutien des physiciens, sans les 
		ruses des biologistes ? Les preuves ne manquaient pas : on découvrait 
		enfin à quoi avaient servi les budgets de recherche colossaux accordés 
		depuis des décennies aux physiciens alors même que les sciences humaines 
		s’étiolaient !  
		Laboratoires et universités furent 
		incendiés. Les polices accusaient des éléments incontrôlés mais les 
		réseaux sociaux prétendaient rétablir la vérité. Ou, plus précisément, 
		les vérités, puisqu’ils incriminaient en vrac les sociologues 
		(misérables), les horlogers (désœuvrés), les capitalistes (avides), les 
		poètes (passifs), les sportifs (épuisés), les journalistes (craintifs), 
		les gauchistes (opportunistes), les paysans (désemparés), les 
		psychanalystes (démasqués), les enseignants (ignares) et les roms (comme 
		toujours). Les plus retors accusaient aussi les physiciens de brûler 
		leurs propres laboratoires pour se dédouaner.  
		Les émeutes se prolongèrent quelques mois 
		mais la vague populiste reflua comme elle était montée. Et puisque le 
		temps lui-même n’était plus une valeur sûre, chacun se réfugia dans le 
		court terme. On ne savait pas ce que serait demain, ni même si demain ne 
		s'effacerait pas directement devant après-demain, il ne restait donc 
		plus qu’une philosophie crédible : Carpe diem. De nouveau, on s’habitua.
		 
		* * *  
		Jusqu’à aujourd’hui. Il a fallu attendre 
		quatre ans mais aujourd’hui, 6 h 30, le camion-poubelle émerge du 
		brouillard, tout est normal. Sauf qu’on n’est pas lundi.  
		Les vendredis, samedis et dimanches n’ont 
		pas été touchés, les trois religions du Livre et le Syndicat sont encore 
		épargnés. C’est le lundi qui vient d’être fauché. On est donc mercredi. 
		L’Humanité est à nouveau bousculée. Les grandes interrogations 
		existentielles vont renaitre : est-ce vraiment utile de collecter les 
		ordures le mercredi puis dès le lendemain vendredi ?  
		
		Texte d''Olivier Moch, 
		Castanet-Tolosan (31), 2014 
        
          
          
            
              
                
                 
              	
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                Benne perdue... 
				6 h 30. Le camion-poubelle 
				émerge du brouillard, tout est normal. Sauf qu’on n’est pas 
				lundi !... Ce fut d’abord une infime 
				vibration jusqu’à ce que le gros diesel fît trembler l’air 
				ambiant et la vitre. Julien se pencha légèrement à la fenêtre de 
				sa cuisine. La rue était déserte… Le véhicule avançait 
				lentement, comme un blindé en territoire hostile, dont les 
				mitrailleuses seraient orientées vers les fenêtres pour parer à 
				toute attaque-surprise. Impossible de distinguer quoi que ce 
				soit dans la cabine, le pare-brise était un miroir opaque vu du 
				troisième étage.  
				Hier on était… samedi, et les 
				éboueurs ne passent pas le dimanche. On n’était même pas encore 
				dans la période des étrennes… Le bourdonnement du diesel 
				s’amenuisait, le camion s’était arrêté devant l’immeuble, il 
				occupait toute la rue.  
				Il but une gorgée du café qui 
				avait eu le temps de refroidir… Cette bizarrerie l’irritait. Ce 
				n’était pas non plus le jour des encombrants, pas le moindre 
				frigo déglingué, pas le plus petit fauteuil défoncé sur les 
				trottoirs. Il tendit l’oreille, le bruit de moteur avait cessé. 
				Il revint vers la fenêtre. La silhouette du camion était encore 
				plus sinistre dans la brume, comme un "Transformer" qui allait 
				se déplier soudainement en robot géant exterminateur ! Il le 
				distinguait à peine à présent, le brouillard l’enveloppait d’une 
				aura laiteuse comme s’il le voyait à travers la vitre sale d’un 
				aquarium.  
				Julien s’éloigna de la fenêtre. 
				Il avait du travail. Il emmena sa tasse de café et s’installa à 
				son bureau. Il relut ses notes, il sentait qu’il n’était pas 
				loin de la solution, cette boucle fatale qui plantait la 
				nouvelle version du jeu-vedette que vendait sa boîte. Il allait 
				la dénouer, et le héros pourrait continuer ses héroïques 
				fantaisies. Il tendit l’oreille de nouveau. Décidément, il 
				n’arriverait pas à se concentrer tant que ce camion 
				stationnerait sous ses fenêtres.  
				* * *  
				L’homme derrière le volant était 
				immobile. Un gars au troisième en face l’avait repéré, c’était 
				normal… Il l’avait dit et répété à Bruno, l’idée d’utiliser ce 
				genre de véhicule était totalement débile, surtout un dimanche ! 
				Mais Bruno, c’est la Tête Pensante, le Cerveau, celui qui ne 
				peut pas se tromper. Lui, Chris, c’est le chauffeur de leur duo, 
				un vrai duo magique !… Deux gars qui sautent de magouille en 
				arnaque minable, des losers à la petite semaine. Alors quand 
				Bruno s’était ramené l’autre jour avec son air qui donnait envie 
				de le tester comme punching-ball, qu’il s’était appuyé des deux 
				mains sur une table de leur bar préféré, et qu’il l’avait scruté 
				longuement, Chris avait compris que les ennuis se rassemblaient 
				au-dessus d’eux en un gros nuage bien noir…  
				"Un coup facile, un petit bureau 
				de change, pas une banque, juste ce qu’il nous faut pour voir 
				venir et préparer un autre coup plus juteux, un peu plus tard"… 
				Voir venir quoi ? Les flics en formation serrée et une rallonge 
				à leurs casiers déjà copieux pour leur âge ? Chris se taisait 
				mais n’en pensait pas moins… des pensées en forme de cellule, ou 
				de parloir et sa sœur de l’autre côté de la vitre… Bon Dieu, on 
				aurait pu laisser passer les fêtes, au moins !  
				Mais c’était perdu d’avance, la 
				Tête avait déjà tout balisé, tout prévu, tout argumenté. Il le 
				laissa dérouler son plan, résigné. Le dimanche, le bureau de 
				change n’était ouvert que dans la matinée. La recette du samedi 
				était juteuse, pas mal de touristes venaient faire le plein 
				d’euros dans ce coin proche des Champs.  
				Chris faisait visiblement la 
				gueule, sans l’ouvrir. En revanche, il donna son avis sur le 
				choix du véhicule… Une benne à ordures… pourquoi pas un 
				rouleau-compresseur ? Et pour se tirer en cas de malheur, 
				bonjour "Fast and Furious" ! Avec son petit air excédé qui 
				crispait les poings de Chris, Bruno expliqua qu’au contraire, 
				c’était le point fort de l’histoire. Qui irait se méfier d’un 
				camion-benne ? On aurait tout le temps de s’éclipser 
				tranquillement, comme deux braves éboueurs en tournée. "Sauf 
				qu’on sera dimanche, et que des bennes à ordures, le dimanche… 
				!". Bruno avait balayé l’objection d’un haussement d’épaules, 
				ok, on sera dimanche, mais les gens ne font attention à rien et 
				on circulera mieux !  
				Et Chris se retrouvait ici, dans 
				cette rue déserte, au volant d’un camion à ordures fourni par un 
				contact de Bruno, un mec qui travaillait dans un dépôt et qui ne 
				pouvait rien lui refuser. Il jeta un coup d’œil vers le 
				troisième étage… Le petit curieux ne se montrait plus. 
				L’officine de change était encore fermée, l’employé arriverait 
				un peu plus tard. Chris se cala confortablement et se tourna 
				vers Bruno qui mâchouillait une pastille en silence, en mode 
				économie d’énergie. Il n’y avait plus qu’à attendre…  
				* * *  
				La nuit avait été humide et 
				froide. Heureusement que le kiosque à journaux lui fournissait 
				un abri acceptable. Il avait peu dormi et l’arrivée du camion 
				l’avait surpris… non, étonné. Pour le surprendre, il fallait se 
				lever encore plus tôt. Depuis le temps qu’il créchait dans ces 
				rues et qu’il explorait les poubelles pour assurer une partie de 
				sa subsistance, il connaissait toutes les habitudes des gens du 
				quartier, certains lui accordaient un regard, certains même lui 
				souriaient. D’autres, au contraire, esquissaient parfois un 
				geste de méfiance ou de menace.  
				Il prenait les choses avec 
				philosophie, il avait connu la rue très jeune, des parents vite 
				séparés, un père parti avant même sa naissance. Sa mère s’était 
				occupé de lui jusqu’à ce qu’il puisse se débrouiller. Il savait 
				qu’il existait une autre vie, plus douillette, il les voyait, 
				ceux de son âge, déambuler, bien nourris, entourés d’affection 
				et de protection. Il avait été tenté souvent de se lier avec 
				l’un d’entre eux, de faire ce qu’il fallait pour manger tous les 
				jours à sa faim. Mais toujours, il avait reculé, trop peur de 
				perdre cette fabuleuse indépendance, de quitter ce peuple des 
				rues, ce monde dur et intense, ses copines d’errance. Pour 
				l’instant, ce camion l’intriguait vraiment. Il voyait les deux 
				silhouettes à travers le pare-brise, un gros costaud au volant. 
				Apparemment, eux ne l’avaient pas vu, accroupi derrière le 
				kiosque encore fermé.  
				Un mouvement furtif derrière une 
				fenêtre de l’immeuble attira son regard, mais plus rien. Il 
				évita tout mouvement brusque, pencha lentement sa tête pour 
				surveiller les intrus, attentif au moindre signe bizarre. La vie 
				dans la rue l’avait aiguisé, et son instinct lui envoyait des 
				ondes inquiétantes…  
				* * *  
				Julien s’étira. Il en voyait le 
				bout. Au moins il ne se serait pas levé tôt un dimanche pour 
				rien. Le bug était localisé, il ferait la correction demain, sur 
				le serveur du bureau. Il alla à la fenêtre, le camion-benne 
				était toujours là. Tiens, ça bougeait un peu. Il vit arriver une 
				voiture qui se gara assez loin du véhicule et reconnut l’employé 
				du bureau de change en bas de chez lui. Lui aussi travaillait le 
				dimanche. Le gars se dirigeait vers la porte du bureau et puis 
				tout se précipita. Un grand costaud descendit du camion et 
				marcha sur l’employé. Un autre type descendit du mastodonte par 
				l’autre portière, un flingue à la main, et tous deux encadrèrent 
				le gars déjà tétanisé de trouille.  
				Julien regardait la scène comme 
				un film en noir et blanc, les silhouettes bougeaient dans la 
				brume, sans bruit, il ne manquait que les sous-titres pour avoir 
				les dialogues. Il comprit ce qui se passait sous ses yeux et 
				saisit son portable.  
				* * *  
				Il était parfois arrivé à Chris 
				de se mettre en action contre des récalcitrants inconscients de 
				sa puissance de frappe pourtant visible. Là, c’était du tout 
				cuit, le type était terrorisé, l’effet de surprise avait joué et 
				Chris n’avait pas besoin d’en rajouter. Bruno enfonça le flingue 
				en plastique dans les reins du gars et le poussa vers la porte 
				du bureau de change. Chris savait que c’était l’instant où son 
				copain prenait son pied. Voir la peur de l’autre, c’était 80% du 
				plaisir du braquage, pour ce taré ! L’employé avait du mal à 
				enfoncer la clé dans la serrure. Bruno le poussa violemment dès 
				que la porte s’ouvrit : "Tu t’assieds par terre, les mains sur 
				la tête et tu ne remues plus un cil !". S’il avait pu, le gars 
				aurait creusé le sol pour s’enfouir et ne plus rien voir. 
				 
				Bruno ouvrit les tiroirs du 
				bureau, le troisième était plein de billets usagés, pas mal de 
				grosses coupures. Le sourire qu’il afficha le fit ressembler à 
				une pastèque entamée : "Alors, c’était pas un joli coup ?". 
				Chris consentit un rictus, il devait admettre que l’affaire 
				était simplissime.  
				* * *  
				Julien composa le 17 et le sketch 
				commença : "Vous avez demandé la Police, ne quittez pas !"… Non, 
				Julien ne quittait pas, il essayait de voir la suite des 
				événements dans la rue, mais plus d’images, les personnages 
				s’activaient hors champ. Le répondeur du 17 continuait à égrener 
				son message absurde…  
				* * *  
				Un instant, il avait bien cru que 
				le gros type l’avait repéré derrière son kiosque à journaux, 
				mais non, il s’était dirigé vers ce gars qui venait de garer sa 
				voiture. Celui-là, il le connaissait, il faisait partie de son 
				univers et avait même parfois un petit signe amical à son 
				attention. Il vit les deux types l’encadrer et le bousculer, 
				avant de rentrer dans la boutique… Il sentait toujours ces ondes 
				néfastes… La rue lui avait appris depuis longtemps qu’il ne 
				fallait surtout pas se mêler des affaires des autres, les 
				cicatrices autour de son œil droit le lui rappelaient au besoin. 
				Il se ramassa encore plus sur lui-même, aux aguets, prêt à 
				bouger.  
				* * *  
				Chris avait rempli un sac 
				poubelle avec les billets, l’employé leur avait juré qu’il 
				n’avait pas la combinaison du coffre, que c’était seulement le 
				patron qui la connaissait et Chris le croyait. Le sac sur 
				l’épaule, il jeta un coup d’œil dans la rue. Encore vide, malgré 
				la brume qui s’effilochait et la lueur d’un soleil pâle qui 
				filtrait. Il balaya les environs du regard, les voitures garées, 
				le kiosque à journaux, les immeubles. Et au fait, il était où, 
				le petit curieux du troisième ? Levant les yeux, il crut 
				apercevoir une ombre derrière la fenêtre, vite évanouie. 
				 
				"Allez, on s’arrache !". Bruno 
				finissait de scotcher les gros sparadraps sur les chevilles, les 
				poignets et la bouche du gars, avec application et un brin de 
				sadisme. Il rejoignit Chris devant la porte.  
				* * *  
				Enfin ! On décrochait… "Allo, 
				Police ? Vite, il y a un braquage en bas de ma rue !... Deux 
				hommes dans un camion-benne… oui, une benne à ordures ! Ils sont 
				sur le point de partir !". Julien débita son nom et son adresse, 
				le flic lui assura qu’une voiture de patrouille était déjà 
				avertie et arriverait très vite, elle était tout près. 
				 
				* * *  
				Maintenant, toujours à l’abri du 
				kiosque, il voyait les deux types sortir du bureau avec un gros 
				sac-poubelle. Il devina qu’il ne contenait pas les trésors 
				habituels dont lui faisait son régal. Le gros regardait de son 
				côté, sans le voir. Il les vit monter précipitamment dans le 
				camion, le plus petit criait quelque chose qu’il ne comprenait 
				pas. L’énorme moteur gronda, le faisant tressaillir. Les yeux 
				éblouissants du véhicule s’illuminèrent. Il tendit l’oreille… un 
				bruit qui se rapprochait… une sirène à deux tons… et au bout de 
				la rue, soudain, un kaléidoscope bleuté et scintillant… Le 
				camion s’ébranlait… Sans réfléchir, suivant un instinct très 
				ancien, il s’élança pour lui couper la route…  
				* * *  
				Chris vit le gyrophare de la 
				voiture de police au bout de la rue au moment où la sirène lui 
				vrillait les oreilles. Il faillit démarrer avant que Bruno ait 
				eu le temps de sauter sur le siège et de lui hurler : "Vite, 
				vite ! Démarre, bon Dieu !...", il était livide, les yeux 
				écarquillés comme ceux d’un lapin dans les phares d’une voiture. 
				Les gestes de Chris s’enchaînèrent mécaniquement. Il passa la 
				première, le lourd camion démarra, prit de la vitesse et… "Merde 
				! C’est quoi, çà !". Une forme noire avait jailli du kiosque à 
				journaux, traversait juste devant la calandre. Instinctivement, 
				Chris braqua à gauche en écrasant le frein, il pouvait passer, 
				il devait passer ! L’aile gauche du camion fit un bruit 
				déchirant en s’encastrant dans le mur du kiosque. Chris braqua à 
				droite, le moteur rugit dans une dérisoire tentative. Le pneu 
				avait éclaté, découpé par le métal de l’aile disloquée. L’essieu 
				avait dû morfler, lui aussi…  
				Bruno s’excitait sur la poignée 
				de la portière, mettait un pied dehors pour sauter. Il tomba 
				presque dans les bras du premier flic et se figea, subjugué par 
				l’œil bleuté du flingue pointé sur lui. Chris avait les deux 
				mains sur le volant, il voyait les flics entourer la cabine et 
				lui hurler de sortir sans geste brusque. Le seul geste brusque 
				dont il avait envie, c’était d’écraser son poing sur la gueule 
				de Bruno. Il revit le parloir, le visage angoissé de sa sœur, 
				les longs jours gris, son avenir immédiat… Il leva les mains 
				au-dessus de sa tête et, lentement, s’extirpa de la cabine.
				 
				* * *  
				Il était tout excité ! 
				Heureusement qu’il avait un sacré entraînement ! Traverser 
				devant les voitures faisait partie de ses distractions 
				favorites, il fallait calculer l’instant précis, en fonction de 
				la largeur de la rue et de la vitesse de la voiture. Là, c’était 
				la première fois qu’il jouait avec un camion-benne, et c’était 
				plutôt réussi !  
				Il s’arrêta, jeta un coup d’œil 
				en arrière, regarda ce petit monde s’agiter comme des ombres 
				chinoises sur fond de gyrophare. Les humains l’étonneraient 
				toujours. Il passa une patte autour de son oreille, un vieux 
				tic, lécha deux ou trois fois sa fourrure noire et fila le long 
				du mur retrouver sa copine, la chatte du vieux monsieur si 
				gentil, dans la rue d’à-côté.  
				  
				Texte de Claude Arbona, Sens (89), 2014 
                 
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                Desfilfargat 
				6:30 del matin. Lo camion de las 
				escobilhas sortís de las nèblas. Tot va plan ! Levat que sèm pas 
				diluns… Quin jorn sèm ? me sembla que me soi envieilhit d’un 
				sègle. Sabi plan qu’es pas possible, qu’ai pas mai que mièg 
				sègle, los òmes que vivan cent ans o mai son escars encara. 
				Pr’aquò, ai los membres tant pesucs que pòdi a pro pena los 
				bolegar : quand lèvi lo braç per portar la man sul cap, o sus lo 
				ventre, me sembla levar un pes de fonda, sabes, lo pes gròs de 
				dos quilòs per equilibrar la balança, lo mai gròs que podiái à 
				pro pena levar de las doas mans quand èri pichon. Servissiá pas 
				sovent aquel pes, que lo mond compravan alara pas que de 
				pichonas quantitats, una liura de farina, dos cent gramas de 
				lentilhas, un tròç de formatge, un bocin de salsissa... l’espeçiariá 
				èra pròcha, dins lo barri, totjorn dobèrta, levat lo diluns, e 
				encara, se podiá de còps trapar la Maria a l’ostal quand quicòm 
				mancava. Mas caliá que siá un afar important, que la Maria 
				aimava pas èsser disturbada per res. De còps, qualqu’un arribava 
				e demandava : “Pòdes me balhar dos...” - o tres, o quatre, mai 
				n’i aviá, mai l’exercici èra interessant, que caliá jogar ambe 
				los peses - “Pòdes me balhar dos quilòs de patanas, Maria ?”, e 
				ma grand preniá lo panièr de fèrre bèl, anava causir – degun 
				tocava pas la merça – las patanas dins la caissa jos las laissas 
				de fusta. “Dona me’n de bèlas, Maria”, disiá la femna, mas ièu 
				sabiái plan que la menina fariá una mescla de patanas de totas 
				talhas, de gròssas e de pichonas, tot ben que diga la practica. 
				Aprèp, quand se’n èra anada, me diriá : “Comprenes pichon, si 
				balhi totas las patanas bèlas a aicesta, me demorarà pas que de 
				pichonas per las autras, aquela serà contenta, mas farai un 
				desenat de malcontentas, çò qu’es pas bon per lo comèrci.” Maria 
				tornava ambe lo panièr plen, lo pausava sus lo platèu grand e 
				ieu, qu’aviái seguit la manòbra, levavi de las doas mans lo pes 
				gròs, de totas mas fòrças. La balança Berkel tronava sus la 
				laissa mai nauta del comptador, a costat de la veirina 
				refrigerada. Mai que feble, èra pichon a l’epòca, e quand me 
				quilhavi sus la punta dels pès, mos uèlhs venián a pro pena a la 
				rasa del marbre alara, per i pojar aquel tròç de férre tant 
				pesuc... Ma grand me preniá lo pes de las mans que tornavan sul 
				còp totas leugièras, e lo botava sul pichon platèu de la 
				balança. Veniá alara la partida complicada del trabalh, çò que 
				mainatge compreniái pas encara : trapar la bona graduacion sul 
				quadrant, calcular lo pes exacte e, fin del fin, faire la règla 
				de tres. A... de règlas de tres, quantes n’ai fachas dins la 
				botiga ont veniái passar una setmana de vacanças cada an !
				 
				Ma man pesa mai de dos quilòs e 
				quand la pòrti a l’espatla coma ara, l’espatla esquèrra que me 
				trissa tant, tot lo braç es dolorós. Coma si aviái passat la 
				jornada a asclar de lenha. De tot biais, tot los moviments son 
				aitals, dolents, ai los muscles durs e regdes, las articulacions 
				volon pas se desplegar.  
				Per astre, ambe las potingas, las 
				dolors an demesit, ai pas mai las fissadas violentas coma abans, 
				quand l’espatla me semblava se desrabar per quitar mon còs. Un 
				còp èra, los qu’èran condemnats al suplici del desmembrament 
				devián patir aital... Probable que perdissián la coneissença. 
				Ieu, quand arribava lo tison, quand sentissiái çò qu’a la debuta 
				èra pas qu’una cossèrga, podiái m’i preparar. Lo primièr còp, 
				sabes pas çò qu’arriba, sentisses la sensacion novèla, percebes 
				ambe curiositat çò qu’a la debuta es pas fòrçament desplasent. 
				L’espatla te prusís : quicòm o qualqu’un te grata, doçament per 
				començar, ambe la punta del dets. Aquò fa de ben, mas dura pas 
				gaire : ara, lo grataire rascla ambe las onglas, de mai en mai 
				fòrt e s’arresta pas, emai si lo demandas, a trapat un esplech, 
				un gratador, mas es pas sufisent, e ara que la prusor s’es 
				mudada en dolor, continhua d’enfonçar dins la carn d’aisinas de 
				mai en mai afiladas, de mai en mai brutlantas. Podes cridar mas 
				s’arresta pas, e totjorn la dolor augmenta, e ton còs tot entièr 
				torna pas qu’una sofrança, sabes pas dans quant de temps s’arrestarà, 
				la tortura pòt durar una minuta coma una ora, es pas regular. 
				Finisses aital, arrucat a l’entorn de ton espatla, d’una brasa 
				que podes pas destacar del pitre, e tot ton èsser es pas que 
				dolor, e mai las pensadas que se son avalidas. Es impossible de 
				pensar dins aqueles moments. Lo second còp, quand comença a 
				prusir, te mefises, mas aquó empacha pas res. Lo fenomén farà 
				son òbra en despièch de ta volontat. A cada còp aprenes quicòm 
				mai sus l’avançament de la dolor, sus l’ataca del mal : dins la 
				vida normala, a armas egalas, aquel aprendissatge te serviriá, 
				podriás trapar de biaisses, de tècnicas per t’aparar del mal, 
				per perturbar o alentir son avança. Mas, aquó es pas la vida 
				normala, es pas que la sofrança totala, la ont existís pas de 
				sortida, d’escapatòria e saber çò que se va passar empacha pas 
				que se passe : la dolor serà entèra. Fin finala, quand las 
				tenalhas del diable vòlon plan se desclavar e daissar ton 
				espatla, que lo mal s’atenua pauc a pauc, que l’esperit torna 
				préner un bocin de vam, que las pensagas gausan tornar sul camp 
				de batalha devastat, que los brams quitan la sala de tortura, 
				son d’ideas aital que venon, d’ideas de torturas d’un còp èra. 
				Quand tot es acabat, lo còs aflaquit, romput, l’esperit 
				balbucejant, si capitas a pensar quicòm, pensas que de tot 
				temps, que foguèsses masc, eretic o resistent d’aicí o d’alai, 
				que que siá la libertat que podías reivindicar, ambe aquel 
				tractament podiás pas que dire çò que volián que diguèsses los 
				torturaires.  
				Ara, tot aquò es pas qu’un marrit 
				recòrd. Vòl pas dire que tornarà pas, mas ara, m’an balhat 
				l’arma que me dona lo poder de me parar d’aquela indicible 
				sofrança : la pompa. La pompa qu’instilla doçament dins ma vena 
				la morfina benfasenta. Quand èri pichon, m’agradava de pensar 
				qu’un nivol coconós m’emmantelava, una mena de bola gròssa, doça 
				e cauda, aparaira, que flòtava dins l’aire en dessús dels mòbles, 
				del ponde e que me protegissiá del mond. Èri aquí dedins, e lo 
				mond que podíai veire e ausir ça que là, me semblava luènh, 
				luènh e inofensiu. Èri aparat. Ambe ma sòrre morfina que se 
				motla en gròssa coeta a l’entorn de ièu, soi aital, aparat e un 
				brieu ebriós : pas vertadièrament bandat, mas un pauc partit, un 
				pauc saunejaire. Çò que me balha la boca secòta, e que fa 
				trabucar los mots que ne’n sortisson, que podon pas anar tan lèu 
				coma las pensadas. E lo mond es un pauc desvariat, vira pas coma 
				cal, sembla s’èsser destacat de ieu, n’a pas mai ni cap ni 
				centena. Probable qu’es per aquò que los escobilhaires passan 
				ara lo dimenge...  
				Ont n’èri ?... Me rapèli : 
				morfina ma sòrre. E los mètges m’an balhat tanben lo boton. 
				Quand sentissi mon espatla començar a prusir, lo signe de 
				l’ataca de las armadas devastatriz, pòdi ara quichar lo pichon 
				boton. Aquel boton sona la pompa e la pompa mon amiga me balha 
				un bocin mai de morfina ma sòrre : alara partissi, mon armadura 
				nivolenca pren l’aire, se’n va dins lo cèl, cap a l’estelum, e 
				ièu, liberat de la terror, pòdi me daissar anar a mos sòmis. Los 
				mètges an de mots estranhes : apelan aquò un « bolus », o un « 
				flash », un liucet. Ieu diriá puslèu aquó un copa cambas, o un 
				assucador, mas me’n trufi, çò qu’es important es qu’ambe aquel 
				esplech, l’inquisicion pòt pas m’aténher.  
				6:30 del matin. Demòran un parelh 
				d’oras abans la debuta del grand circ. Ont es aquel boton ? Non, 
				pas lo de la morfina, l’autre, lo del virasolelh. Aquí, s’èra 
				amagat jos la cobèrta. Ambe aquel esplech pòdi dobrir al lum 
				encara que lo jorn siá pas encara levat. Fa pas res, al contràri, 
				esperarai los primièrs rais del solelh naissent, poirai 
				aprofechar la calama de l’ostal e la lutz clara del matin sens 
				èsser destorbat. D’aicí, per la fenèstra, vesi tot lo jardin e 
				mai la montanha pus luènh, las brumas matinalas que s’encrancan 
				a las avetadas, la rama dels castanhals que prenon de colors a 
				mesura que lo solelh les alisa, lo cèl blau ont desenfilan de 
				nivolets butats per l’autan. Un mèrle que fiula, un cat que se 
				ven fretar contra lo veire de la fenèstra : ara m’agacha, sembla 
				que me parle. Que vòls ? Vòls just me dire quicòm, un adieu, un 
				messatge de suavitat e de patz coma semblan lo dire ton pel plan 
				lisat e tos uèlhs mièg clucats ? O benlèu que vòls dintrar, te 
				fretar l’esquina contra las ròdas del lèit, saltar sus la 
				cobèrta, venir ambe ton morre fins a mon caratge quèrre una 
				careça, puèi t’enrotlar, t’agrumelir contra la forma de mon còs 
				per una matinada de sòm.  
				De tot biais, me pòdi pas levar 
				per dobrir la fenèstra : siás condemnat a esperar defòra, 
				vendràs pus tard, quand lo mond serà desrevelhat. Alara te 
				caldrà un pauc de paciença que la cambra e lo lèit se mudaràn en 
				camp de batalha : suènh, teleta, recapte, dejunar... E de 
				bruches, e de bolegadís, e de rambalh ! E ièu, al mitan de tot 
				aquel revolum coma objècte principal de l’atencion de totes. 
				Sabes que me’n a calgut de volontat e de capuditge per faire 
				acceptar mas exigéncias : fin finala ai agut lo darrièr mot, les 
				ai dich que voliái pas èsser l’objècte de lor atencion mas lo 
				subjècte, cò qu’es pas la meteissa causa. Soi ièu que vau morir, 
				soi ièu lo malaut, lo que sofrís, alara me fasètz pas cagar, si 
				vòli pas faire quicòm, o farai pas, que que’n digatz. Disi pas 
				qu’ai agut rason per tot, me calguèt faire de concessions, 
				batejar lo vin : normal, mantunes son de professionnals qu’an 
				pas qu’aquò a faire, pòdon pas se plegar a totes los desirs de 
				tota la practica. Mas, dins las limits del possible, fan coma 
				vòli. Doncas, lo rambalh del matin fa partida dels passatges 
				obligats. Abans, e aprèp, torni prener la man.  
				Aital, lo cat pòt montar sul 
				lèit. Emai l’igièna e tota aquela mena de cresenças ridiculas a 
				las quales s’arrapan los sonhaires : lo cranc el, es a ièu que 
				s’arrapa e pensi que se’n chauta pas de l’igièna... Aital, lo 
				dejunar : ne’n vòli pas, ne’n vòli pas, es pas la pena que me 
				presenten cada matin un platèu ambe de bonas causas. Tot aquò, 
				subretot las sentors, me balha lo soslèu, mon còs vencut e 
				rosegat pel cranc refusa de manjar per noirir lo cranc. De tot 
				biais, ai pas talent.  
				Lo soslèu, aquò es susprenent, es 
				pas luènh de çò que me sentissi quand d’unes venon me visitar. 
				Òu, pas totes, urosament, qu’ai d’amics vertadièrs que sofrisson 
				de me veire aital e tanben de mond que son pas d’amics mas que 
				compatisson sincèrament. Mas i a los autres, los que venon per 
				convenença, per curiositat, per que cal pas que siá dich que..., 
				totes aqueles que prenon un aire contrit per amagar lor 
				indiferencia. E ben, aqueles, pòdi te dire mon amic lo cat, que 
				coma tu, legissi dins lors pensadas, e qu’an pas ja passat lo 
				sulhet de la cambra que lo soslèu me torna. Çò qu’es finalament 
				plan practic, que me veson pas plan jaurèl e que pòdon se’n anar 
				lèu aprèp unas bonas paraulas longtemps repetidas e balhadas 
				sens gaire de conviccion.  
				La calama torna, soi tornamai tot 
				sol, ambe lo cat, los libres, la fenèstra e l’ordenador. 
				 
				Es pas qu’aime pas lo mond, mas a 
				l’ora de morir, vau pas m’embestiar ambe de gents qu’aimi pas o 
				de causas que me conflan. E ièu soi puslèu contemplatiu, aimi 
				fòrt la tranquilitat, daissar anar mas pensadas, soscar e 
				pantaissar.  
				Un jorn, m’envièron un psicològ. 
				Èri pas obligat, me diguèron just que’n aviái la possibilitat e 
				coma dins aquel mond modèrn quand as una possibilitat, cal en 
				profitar, lo psicològ es vengut. Ièu me’n trufi, cal ben que tot 
				lo mond ganhe son pan, mas foguèt un moment plasent. Çò primièr, 
				lo tipe fasiá pas que de charrar, ne podiái pas dire una : un 
				vertadièr molin, e coma deviá èsser un païsbassòl, parlava tant 
				ambe las mans coma ambe la boca. A la debuta ensajèri de dire 
				quicòm, mas soi las, ma votz pòrta feblament, e lo tipe m’escotava 
				pas, èra dins son charradís : me sentissiái coma lo vinhairon 
				qu’a fait saltar lo tap de la barrica e que pòt pas enfonzar la 
				canèla mentre que lo vin s’escampa, s’escampa, e mai lo vin 
				raja, e mai lo païsan s’enjaura, vira maladrech e aquela puta de 
				canèla que vòl pas dintrar dins lo trauc ! Demai, tot aquel 
				charradís me balhava lo caluquitge, coma las vapors del vin. A 
				la fin, escotavi pas mai çò que disiá, m’èri virat cap a la 
				fenèstra, agachavi las ombras córrer sul pelenc. Probable que 
				se’n mainèt, s’arrestèt de parlar, se pausèt la man sus mon braç 
				: - Sètz cansat ? Volètz que vos daisse ? Pòdi tornar un autre 
				jorn. Alara, me virèri cap a el : - Òc, vòli plan que me 
				daissetz mas vóli pas que tornètz que fa pas mestièr. Sabètz, 
				soi pas crentós, ni mai ansiós, ni mai malurós : dempuèi d’unes 
				meses que soi malaut e que sabi que vau morir, ai agut lo temps 
				de soscar a tot aquò e d’aprivadar l’idèa de la mòrt e de la 
				pèrda. Me sembla qu’ai ja fait lo dòl. Pensi que lo tipe 
				comprenguèt pas sul còp : - Vos ? Faire lo dòl ? - E òc, vau 
				partir, e las gents me van pèrdre, mas se consolaràn, o sabi 
				plan, emai serà dificil per d’unes, mas auràn lo temps, tot lo 
				temps de faire lo dòl. Mas per ièu, que vau tot pèrdre, sabi pas 
				s’aurai l’escasença de faire lo dòl aprèp, probable que non, e 
				de tot biais, me’n trufi, qu’ai jamai cregut a quicòm mai. Alara 
				es ara que me cal faire mon dòl de la vida, de las sensacions, 
				de las relacions, dels amics. Es fait, aital soi en patz, 
				consolat, e pensi qu’ai pas besonh de vòstra ajuda. Me podètz 
				daissar.”  
				Lo psicològ foguèt un brieu 
				destrantalhat. N’oblidèt las formulas costumièras : “S’avètz 
				besonh, demòri a la man vòstra”. Se’n anèt. Dempuèi, m’an 
				daissat tranquil. Al mens d’aquel caire : me cal ça que la èsser 
				liure per los suènhs.  
				6:30 del matin, demòra un parelh 
				d’oras abans que comencen. Enfin, ara, fa un moment que son 
				passats los escobilhaires, benlèu mièja ora que soi a soscar. Es 
				malaisit d’evaluar la vitessa del temps, subretot sens amira e 
				sens mòstra. Me caldriá trapar la tauleta, l’ora es marcada 
				dessús : es pausada sus la tauleta de nuèch a man esquèrra. Una 
				tauleta sus una autra tauleta. Pòdi pas bolegar lo braç esquèrra 
				ambe aquela espatla clavada al lèit, la me cal anar quèrre ambe 
				la man drecha : la levar fins a l’espatla dolorosa, puèi virar 
				tot lo còs a esquèrra per acercar la man de l’esplech. Sabi 
				cossí faire, me’n vau plegar lo genolh drech, puèi faire 
				bascular la camba, l’anca, l’espatla e lo braç d’aquel costat, a 
				l’entorn de la partida esquèrra de mon còs que pòt pas bolegar. 
				Mon còs drech vira a l’entorn de mon còs esquèrra coma un batent 
				a l’entorn d’un ais. Aquí i soi. Los dets se ferman sus la 
				tauleta magica. Ara se cal tornar colcar sus l’esquina, doçament, 
				per pas desrevelhar lo cranc e la dolor. Aprèp es aisit : la 
				tauleta la pausarai sul supòrt qu’es atacat a la rambarda del 
				lèit : aital, ambe la man drecha e solament una man, la pòdi 
				utilizar. Va plan, son pas que sèt oras, ai encara lo temps de 
				pantaissar tranquil.  
				Dempuèi que soi aquí, embarrat 
				dins la cambra per la malautiá, ai agut lo temps de soscar. 
				Soscar, e tanben legir e escriure. Ai enebit la radiò e la 
				television, que las istòrias del mond que vau daissar m’interessan 
				pas mai, mai legir e escriure, aquó foguèt totjorn un plasér. 
				Ara, soi tròp cansat, e pòdi pas téner los libres de las doas 
				mans, ni mai la tauleta : alara legir torna malaisit, dificil, e 
				escriure tanben. Es per aquò que prefèri pantaissar, daissar 
				anar mon esperit dins las limbes, mentre que la sòrre morfina li 
				balha d’alas. Sentissi plan qu’aital, soi a m’alunhar del mond e 
				dels òmes, e entre lo òmes, totas las personas que m’aiman, que 
				m’an aimat, e qu’aimi tanben. Fa un long e progressiu 
				destacament, un avaliment que muda pichon a pichon las gents en 
				trèvas e lo mond en una realitat de mai en mai imateriala. Aital, 
				pòt passar lo camion de las escobilhas lo dimenge, o un autre 
				jorn dins la setmana, me’n trufi, son de faches benlèu pas 
				vertadièrs, benlèu inventats, mas fa pas res, aquò me toca pas 
				mai. Demòri aquí, entre doas aigas, penjat dins l’aire, acrocat 
				al fial que m’instilla las potingas, coma un fètus que flòta 
				dins l’amniòs, solament ligat per lo vedilh, coma un cosmonauta 
				en sortida dins l’etèr, ambe son cordon noiricièr que le jonh a 
				la capsula. Dempuèi mon nivol flotant, vesi lo mond en 
				iperrealitat, sons e colors venon mai brut e mai fòrt, mai 
				contrastats, las olors subretot, e las de la noiridura encara 
				mai, coma si al travèrs de cada aliment podiái sentir pas 
				solament son gost primitiu e brut, mas tanben lo gost de son 
				mitan de naissença : la tèrra, lo fems. E doncas, lo soslèu. Las 
				gents, elas tanben, las ausissi e las vesi tal coma son dins lor 
				còs e dins lor còr : ambe aquel sistema, ai agut lèu fait la 
				tria entre los amics vertadièrs e los falses, entre los que son 
				sincèrs e los que son governats pas que per las aparéncias. E 
				encara lo soslèu. Çò qu’es risolièr, es que mai mon còs se 
				destrantalha, mai torna flac, magra e debil, mai mon acuitat 
				sensoriala aumenta : l’iperrealitat va creissenta. Es una 
				experiença interessanta mas aganidoira e me cal penequejar de 
				mai en mai longtemps per me remetre d’aqueles moments de 
				revelacion de la natura violenta del mond. De còps, las 
				sensacions venon tant fòrtas que me sentissi escanat o que mon 
				còr trabuca : s’arresta, accelera, se torna arrestar e sembla 
				que jamai se tornarà aviar. Puèi dins un vam miraculós, comença 
				de batre doçamentón e pichon a pichon torna trobar son ritme 
				normal. Me disi aprèp aqueles segondas esprovantas, ont soi 
				crevat e tot en susor, que serà dins un moment aital que farai 
				la darrièra experiença, la darrièra alenada, que lo cordon 
				mairal acabarà de se desfilfargar per liberar mon èime e son 
				nivol, per me daissar volar dins lo blau del cèl sens freg ni 
				calor, sens gost e olor, sens duretat, evanescent, mentre que 
				mon còs, freg e regde coma un tròç de lenha, esperarà lo camion 
				de las escobilhas, a sièis oras e mièja del matin...  
				Texte de Bruno Assemat, 
				Mazamet (81), 
				2014  | 
             
            
              
                
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				Le recueil de nouvelles "Coups de théâtre sur la 
				tournée"  est également disponible, au prix de 7,50 €, 
				sur le site de l'éditeur
				 
				
				Le Griffon Bleu. | 
             
            
              
                 
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