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"6 h 30. Le camion-poubelle émerge du brouillard, tout est normal.
Sauf qu'on n'est pas lundi !"
ou
encore :
"6:30 del
matin. Lo camion de las escobilhas sortís de las neblas, tot va plan !
Levat que sèm pas diluns."
-
Et le sixième jour, Il se reposa
- Benne perdue
-
Desfilfargat
Et le sixième jour, Il se reposa
6 h 30. Le camion-poubelle émerge du
brouillard, tout est normal. Sauf qu’on n’est pas lundi. Normal,
c’est beaucoup dire, mais ils le savent tous, ils s’y sont résignés,
c’est devenu la norme. Bientôt, aussi invraisemblable que cela paraisse,
ils s’habitueront de nouveau - au moins veulent-ils le croire.
Cela devait arriver. Jamais deux sans
trois. Baroudeurs ou pantouflards, esprits forts ou pierrots lunaires,
ils se sont finalement tous faits à cette idée - ils ont dû s’y faire.
Certains ont déclaré que la réalité était devenue folle, mais n’est-ce
pas dénier la réalité qui est folie ?
Aujourd’hui les lève-tôt qui sont déjà
dehors à 6h30 observent que cela tombe de nouveau un jour de brouillard.
Ils en avaient beaucoup palabré. Certains même y voyaient une condition
nécessaire, l’humidité ou le manque de visibilité devaient jouer un
rôle. D’autres n’y voyaient que coïncidence mais écoutaient quand même
les bulletins météo, à tout hasard. Aujourd'hui ils sont donc troublés,
car ce brouillard n’a pas été annoncé. Mais ils ne sont pas vraiment
surpris par le phénomène, cela devait arriver à nouveau. Ils
pressentaient cet avenir qui pourtant fuit, goutte à goutte.
Il leur faudra quelques semaines pour se
réhabituer. Mais ils y arriveront, c'est au moins leur espoir. Certains
même s’en féliciteront, à commencer par le Syndicat puisque nous sommes,
ou plutôt nous devrions être, lundi, un jour de travail. La plupart des
églises, elles, seront soulagées.
* * *
La première fois, il y a six ans, la
panique avait été foudroyante ; pendant près des huit jours suivant le
Grand-J*-blanc du 12 novembre 2020, elle était restée incontrôlable. Les
responsables, les décideurs, ceux qui jusque-là en tout cas se croyaient
responsables ou décideurs, avaient vu la réalité leur échapper. Certains
énarques, eux, avaient même à cette occasion, découvert l’existence de
la réalité. Le bonheur, lui aussi, ne fait de bruit que lorsqu’il s’en
va. Mais rapidement tous s’étaient repris. Dans le monde entier. Pour la
première fois depuis des lustres, le Conseil de Sécurité avait même pris
rapidement quelques décisions unanimes. Unanimes, mais inutiles. Que
faire contre l’impensable ? Cependant les peuples avaient été moins
bousculés que les gouvernements. Car ce jour qui avait disparu était le
jeudi. Volatilisé le jeudi ! On passait directement du mercredi au
vendredi, on travaillait moins, le week-end arrivait plus vite. Mieux
que les 35 heures ! Le Syndicat avait apprécié, il avait enfin obtenu
quelque chose, il avait même fait mine d’être à l’origine des
événements.
Mais personne ne l’avait cru. Quelle
puissance terrestre aurait pu, partout dans le monde, rayer le jeudi de
la carte, l’effacer de tous les calendriers, l’enlever de tous les
textes avant sans doute de l’éradiquer des mémoires ? On avait vérifié :
même la Bible princeps du Vatican, incunable du XVème siècle conservé au
troisième sous-sol derrière trois régiments suisses et cinq portes
blindées, affirmait désormais : "Et le sixième jour, Il se reposa". Et
la force avait agi partout : les grandes villes de la planète, les beaux
quartiers comme les bas-fonds, les hameaux minuscules et même,
semblait-il, les avant-postes de Terre Adélie avaient été simultanément
touchés. Face au mystère, le taux de suicide grimpa en flèche puis
redescendit rapidement : on s’habituait, même si on demeurait "oppressé
par l’étrange", selon la formule du nouveau ministre canadien du Temps.
Et cet étrange était partout, on pouvait même difficilement le décrire
puisqu’on ne pouvait plus écrire ni imprimer le mot "jeudi". On le
prononçait encore, mais seulement en petits groupes, avec inquiétude et
prudence ; entre gens de confiance.
Chacun pourtant se souvenait du passé
récent quand la semaine comptait encore sept jours.
* * *
Le jeudi avait disparu mais dès la
panique calmée, on se rendit compte que les conséquences en étaient
minimes. Botanistes, zoologues et météorologues confirmèrent que les
plantes, les animaux et les nuages semblaient indifférents au mystère
ambiant. Seul le feulement du léopard d’amour s’était élargi d'une
octave, mais ce minuscule mystère additionnel ne fit frémir que quelques
spécialistes.
Certaines professions prirent peur mais
furent vite rassérénées. Les hôteliers accueillirent des clients moins
longtemps mais plus souvent. Les économistes n’eurent aucun mal à
expliquer que, puisque tous les pays avaient été pareillement touchés,
il était normal de ne distinguer aucune conséquence. D’autres espérèrent
bénéficier de la situation mais déchantèrent vite, à l’instar des
imprimeurs qui salivèrent à l’idée de réimprimer tous les calendriers
avant qu’on ne constate que tous les agendas du monde s’étaient mis à
jour. Dans leurs analyses, les universitaires se partagèrent en
nouvelles chapelles, nouvelles écoles et nouveaux clans; mais ni la
science ni les scientifiques (pas même quelques étudiants ambitieux) ne
tirèrent profit de combats inédits qui pâlirent vite en escarmouches.
On chercha à agir. Les autorités du
Béloutchistan oriental, les premières, tentèrent de rétablir un
calendrier cyclique sur sept jours en réduisant la durée de chaque
journée, mais cela s’avéra impossible. Le gouvernement suisse décida de
renommer les jours (en leur gardant leur durée astronomique) pour
réintroduire la semaine usuelle ; après tout il en allait de l’avenir de
l’industrie horlogère, cela valait bien une tentative unilatérale. Mais
les nouveaux jeudis helvétiques disparurent comme les autres, entraînés
dans la faille. Au bout de trois mois, seuls les astronomes, les
religieux, les psys et les horlogers continuaient à occuper les écrans
de télévision. Mais on ne les écoutait plus : ils débattaient sans fin,
sans jamais proposer explication convenable ou action réaliste. On
s’habitua. Que faire d’autre ?
* * *
Le calme était revenu, les routines
s’étaient réinstallées quand, deux ans plus tard - un jour de brouillard
à Toulouse, comme la première fois - brutalement, en octobre 2022, le
mardi à son tour s’évanouit, partout sur la planète.
L’inquiétude se réveilla, fulgurante,
renforcée par une peur nouvelle. Jeudis et mardis avaient disparu, la
semaine s’amenuisait en peau de chagrin, l’avenir n’était-il pas tout
simplement en train de fondre ? Un naufrage inexorable. Une fin du monde
que personne n’avait imaginée ainsi mais qui se rapprochait. Il fallait
l'admettre : on ne savait plus prévoir le Temps.
Les agences internationales, les
Parlements, les sociétés savantes, les ONG, les mafias elles-mêmes se
mirent à se réunir fiévreusement. Leur seule conclusion fut de convenir
que, puisqu'il n’y avait rien à faire, l’ONU était particulièrement bien
préparée et devrait jouer le premier rôle. Les prédicateurs se
multiplièrent. Le temps lui-même allait se désagréger mais quel serait
le dernier jour avant le retour au néant ? Le Vendredi, le Samedi, le
Dimanche ? Imams, rabbins et évêques s’entrechoquaient, ne convenant que
d’un point : on allait enfin savoir, au-delà de toute contestation,
quelle était la vraie Foi. On se mit à parier. Les bookmakers firent
fortune. On pariait sur l’échéance, sur le prochain jour qui serait
englouti, sur le dernier qui viendrait à survivre. Sur l’évolution à
venir de la durée de grossesse. Sur la rentabilité des hebdomadaires,
sur les taux interbancaires, sur la durée du quinquennat. Le raisonnable
avait disparu, l’irrationnel submergea jusqu’aux états-majors. L’Union
Inter-Académique elle-même se réfugia dans la numérologie et affirma que
la force se devait d’être régulière et agirait très probablement à
nouveau au bout de deux années. Seules quelques âmes fortes se
prétendaient tranquilles et claironnaient leur foi inchangée en l'avenir
; la Ligue des Braves inventa même une nouvelle forme d'action, le
mariage : "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! Profitez de ce
qu'il y a encore des samedis !".
On attendait désormais avec anxiété mais,
deux ans plus tard, en 2024, malgré un fort brouillard qui dura dix
jours (deux semaines), rien ne se passa. On se sentit épargné, presque
confiant. Même le patronat, qui avait pourtant vu la semaine de travail
amputée de deux jours se remit à croire à l’existence du futur. Les
révolutionnaires (il en restait) partageaient cet optimisme en
rappelant, eux aussi, que les circonstances exceptionnelles et les
périodes incertaines étaient pain bénit pour les hommes résolus.
Rien ne s’était produit, certains
prédicateurs y voyaient le signe que Dieu était satisfait et
récompensait les hommes qui avaient su se rassembler et Lui sourire.
D’autres, plus nombreux, y voyaient au contraire le signe annonciateur
d’un tonnerre d’autant plus puissant qu’il aurait été retardé. Deux
jours sûrement, trois peut-être, disparaitraient la prochaine fois d’un
seul coup !
* * *
Après la fausse alerte de 2024, le calme
revint mais il demeura précaire. Il suffit d’une simple coquille dans
l'impression d'une date sur la couverture d’un magazine congolais pour
ranimer l’inquiétude. Elle se propagea sans mal dans le monde entier,
les braises n’étaient pas éteintes.
On ne savait rien mais deux "catastrophes
tranquilles" - c’était encore le ministre canadien qui avait trouvé la
formule - avaient balayé la planète en 2020 et 2022. Les gouvernements
et tous les spécialistes prônaient sans succès le sang-froid et la
retenue. Les britanniques réimprimèrent la fameuse affiche "Keep calm
and carry on !" et en couvrirent le Commonwealth dans l’espoir de
raviver l’esprit de résistance qui avait tant compté au milieu du XXème
siècle. Mais les temps avaient changé. Les réseaux sociaux permettaient
désormais à chacun de vociférer tout à l'envi. On ne croyait plus les
gouvernements, ni les académies, ni les églises. Pas plus d’ailleurs que
les médias. Les rumeurs circulaient. Tout appel au raisonnement les
renforçait, d’ailleurs la logique elle-même ne venait-elle pas d’être
broyée ? On murmurait que les dimanches avaient déjà disparu en Arabie
et que dans certains Etats américains (on évoquait l’Ohio et le
Kentucky) le vendredi avait même été interdit. On répétait que l’ONU
avait décidé de faire la part du feu et de tenir bon, le moment venu,
sur la semaine de trois jours. Une nouvelle ligne Maginot. Les armes
secrètes, construites à la fin du siècle dernier avaient certainement
été dessinées dans ce but ; car, grondait-on, les politiques étaient
certainement informés depuis longtemps mais, comme toujours, ils avaient
menti aux populations. C’est le moment que les sociologues choisirent
pour attaquer les physiciens et les biologistes. S’appuyant sur la
déferlante populiste, ils accusèrent de terrorisme, de conspiration et
de complicité avec les politiques leurs collègues des sciences dures.
Cette disparition de jours de la semaine, cette évaporation du temps
auraient-elles été possibles sans le soutien des physiciens, sans les
ruses des biologistes ? Les preuves ne manquaient pas : on découvrait
enfin à quoi avaient servi les budgets de recherche colossaux accordés
depuis des décennies aux physiciens alors même que les sciences humaines
s’étiolaient !
Laboratoires et universités furent
incendiés. Les polices accusaient des éléments incontrôlés mais les
réseaux sociaux prétendaient rétablir la vérité. Ou, plus précisément,
les vérités, puisqu’ils incriminaient en vrac les sociologues
(misérables), les horlogers (désœuvrés), les capitalistes (avides), les
poètes (passifs), les sportifs (épuisés), les journalistes (craintifs),
les gauchistes (opportunistes), les paysans (désemparés), les
psychanalystes (démasqués), les enseignants (ignares) et les roms (comme
toujours). Les plus retors accusaient aussi les physiciens de brûler
leurs propres laboratoires pour se dédouaner.
Les émeutes se prolongèrent quelques mois
mais la vague populiste reflua comme elle était montée. Et puisque le
temps lui-même n’était plus une valeur sûre, chacun se réfugia dans le
court terme. On ne savait pas ce que serait demain, ni même si demain ne
s'effacerait pas directement devant après-demain, il ne restait donc
plus qu’une philosophie crédible : Carpe diem. De nouveau, on s’habitua.
* * *
Jusqu’à aujourd’hui. Il a fallu attendre
quatre ans mais aujourd’hui, 6 h 30, le camion-poubelle émerge du
brouillard, tout est normal. Sauf qu’on n’est pas lundi.
Les vendredis, samedis et dimanches n’ont
pas été touchés, les trois religions du Livre et le Syndicat sont encore
épargnés. C’est le lundi qui vient d’être fauché. On est donc mercredi.
L’Humanité est à nouveau bousculée. Les grandes interrogations
existentielles vont renaitre : est-ce vraiment utile de collecter les
ordures le mercredi puis dès le lendemain vendredi ?
Texte d''Olivier Moch,
Castanet-Tolosan (31), 2014
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Benne perdue...
6 h 30. Le camion-poubelle
émerge du brouillard, tout est normal. Sauf qu’on n’est pas
lundi !... Ce fut d’abord une infime
vibration jusqu’à ce que le gros diesel fît trembler l’air
ambiant et la vitre. Julien se pencha légèrement à la fenêtre de
sa cuisine. La rue était déserte… Le véhicule avançait
lentement, comme un blindé en territoire hostile, dont les
mitrailleuses seraient orientées vers les fenêtres pour parer à
toute attaque-surprise. Impossible de distinguer quoi que ce
soit dans la cabine, le pare-brise était un miroir opaque vu du
troisième étage.
Hier on était… samedi, et les
éboueurs ne passent pas le dimanche. On n’était même pas encore
dans la période des étrennes… Le bourdonnement du diesel
s’amenuisait, le camion s’était arrêté devant l’immeuble, il
occupait toute la rue.
Il but une gorgée du café qui
avait eu le temps de refroidir… Cette bizarrerie l’irritait. Ce
n’était pas non plus le jour des encombrants, pas le moindre
frigo déglingué, pas le plus petit fauteuil défoncé sur les
trottoirs. Il tendit l’oreille, le bruit de moteur avait cessé.
Il revint vers la fenêtre. La silhouette du camion était encore
plus sinistre dans la brume, comme un "Transformer" qui allait
se déplier soudainement en robot géant exterminateur ! Il le
distinguait à peine à présent, le brouillard l’enveloppait d’une
aura laiteuse comme s’il le voyait à travers la vitre sale d’un
aquarium.
Julien s’éloigna de la fenêtre.
Il avait du travail. Il emmena sa tasse de café et s’installa à
son bureau. Il relut ses notes, il sentait qu’il n’était pas
loin de la solution, cette boucle fatale qui plantait la
nouvelle version du jeu-vedette que vendait sa boîte. Il allait
la dénouer, et le héros pourrait continuer ses héroïques
fantaisies. Il tendit l’oreille de nouveau. Décidément, il
n’arriverait pas à se concentrer tant que ce camion
stationnerait sous ses fenêtres.
* * *
L’homme derrière le volant était
immobile. Un gars au troisième en face l’avait repéré, c’était
normal… Il l’avait dit et répété à Bruno, l’idée d’utiliser ce
genre de véhicule était totalement débile, surtout un dimanche !
Mais Bruno, c’est la Tête Pensante, le Cerveau, celui qui ne
peut pas se tromper. Lui, Chris, c’est le chauffeur de leur duo,
un vrai duo magique !… Deux gars qui sautent de magouille en
arnaque minable, des losers à la petite semaine. Alors quand
Bruno s’était ramené l’autre jour avec son air qui donnait envie
de le tester comme punching-ball, qu’il s’était appuyé des deux
mains sur une table de leur bar préféré, et qu’il l’avait scruté
longuement, Chris avait compris que les ennuis se rassemblaient
au-dessus d’eux en un gros nuage bien noir…
"Un coup facile, un petit bureau
de change, pas une banque, juste ce qu’il nous faut pour voir
venir et préparer un autre coup plus juteux, un peu plus tard"…
Voir venir quoi ? Les flics en formation serrée et une rallonge
à leurs casiers déjà copieux pour leur âge ? Chris se taisait
mais n’en pensait pas moins… des pensées en forme de cellule, ou
de parloir et sa sœur de l’autre côté de la vitre… Bon Dieu, on
aurait pu laisser passer les fêtes, au moins !
Mais c’était perdu d’avance, la
Tête avait déjà tout balisé, tout prévu, tout argumenté. Il le
laissa dérouler son plan, résigné. Le dimanche, le bureau de
change n’était ouvert que dans la matinée. La recette du samedi
était juteuse, pas mal de touristes venaient faire le plein
d’euros dans ce coin proche des Champs.
Chris faisait visiblement la
gueule, sans l’ouvrir. En revanche, il donna son avis sur le
choix du véhicule… Une benne à ordures… pourquoi pas un
rouleau-compresseur ? Et pour se tirer en cas de malheur,
bonjour "Fast and Furious" ! Avec son petit air excédé qui
crispait les poings de Chris, Bruno expliqua qu’au contraire,
c’était le point fort de l’histoire. Qui irait se méfier d’un
camion-benne ? On aurait tout le temps de s’éclipser
tranquillement, comme deux braves éboueurs en tournée. "Sauf
qu’on sera dimanche, et que des bennes à ordures, le dimanche…
!". Bruno avait balayé l’objection d’un haussement d’épaules,
ok, on sera dimanche, mais les gens ne font attention à rien et
on circulera mieux !
Et Chris se retrouvait ici, dans
cette rue déserte, au volant d’un camion à ordures fourni par un
contact de Bruno, un mec qui travaillait dans un dépôt et qui ne
pouvait rien lui refuser. Il jeta un coup d’œil vers le
troisième étage… Le petit curieux ne se montrait plus.
L’officine de change était encore fermée, l’employé arriverait
un peu plus tard. Chris se cala confortablement et se tourna
vers Bruno qui mâchouillait une pastille en silence, en mode
économie d’énergie. Il n’y avait plus qu’à attendre…
* * *
La nuit avait été humide et
froide. Heureusement que le kiosque à journaux lui fournissait
un abri acceptable. Il avait peu dormi et l’arrivée du camion
l’avait surpris… non, étonné. Pour le surprendre, il fallait se
lever encore plus tôt. Depuis le temps qu’il créchait dans ces
rues et qu’il explorait les poubelles pour assurer une partie de
sa subsistance, il connaissait toutes les habitudes des gens du
quartier, certains lui accordaient un regard, certains même lui
souriaient. D’autres, au contraire, esquissaient parfois un
geste de méfiance ou de menace.
Il prenait les choses avec
philosophie, il avait connu la rue très jeune, des parents vite
séparés, un père parti avant même sa naissance. Sa mère s’était
occupé de lui jusqu’à ce qu’il puisse se débrouiller. Il savait
qu’il existait une autre vie, plus douillette, il les voyait,
ceux de son âge, déambuler, bien nourris, entourés d’affection
et de protection. Il avait été tenté souvent de se lier avec
l’un d’entre eux, de faire ce qu’il fallait pour manger tous les
jours à sa faim. Mais toujours, il avait reculé, trop peur de
perdre cette fabuleuse indépendance, de quitter ce peuple des
rues, ce monde dur et intense, ses copines d’errance. Pour
l’instant, ce camion l’intriguait vraiment. Il voyait les deux
silhouettes à travers le pare-brise, un gros costaud au volant.
Apparemment, eux ne l’avaient pas vu, accroupi derrière le
kiosque encore fermé.
Un mouvement furtif derrière une
fenêtre de l’immeuble attira son regard, mais plus rien. Il
évita tout mouvement brusque, pencha lentement sa tête pour
surveiller les intrus, attentif au moindre signe bizarre. La vie
dans la rue l’avait aiguisé, et son instinct lui envoyait des
ondes inquiétantes…
* * *
Julien s’étira. Il en voyait le
bout. Au moins il ne se serait pas levé tôt un dimanche pour
rien. Le bug était localisé, il ferait la correction demain, sur
le serveur du bureau. Il alla à la fenêtre, le camion-benne
était toujours là. Tiens, ça bougeait un peu. Il vit arriver une
voiture qui se gara assez loin du véhicule et reconnut l’employé
du bureau de change en bas de chez lui. Lui aussi travaillait le
dimanche. Le gars se dirigeait vers la porte du bureau et puis
tout se précipita. Un grand costaud descendit du camion et
marcha sur l’employé. Un autre type descendit du mastodonte par
l’autre portière, un flingue à la main, et tous deux encadrèrent
le gars déjà tétanisé de trouille.
Julien regardait la scène comme
un film en noir et blanc, les silhouettes bougeaient dans la
brume, sans bruit, il ne manquait que les sous-titres pour avoir
les dialogues. Il comprit ce qui se passait sous ses yeux et
saisit son portable.
* * *
Il était parfois arrivé à Chris
de se mettre en action contre des récalcitrants inconscients de
sa puissance de frappe pourtant visible. Là, c’était du tout
cuit, le type était terrorisé, l’effet de surprise avait joué et
Chris n’avait pas besoin d’en rajouter. Bruno enfonça le flingue
en plastique dans les reins du gars et le poussa vers la porte
du bureau de change. Chris savait que c’était l’instant où son
copain prenait son pied. Voir la peur de l’autre, c’était 80% du
plaisir du braquage, pour ce taré ! L’employé avait du mal à
enfoncer la clé dans la serrure. Bruno le poussa violemment dès
que la porte s’ouvrit : "Tu t’assieds par terre, les mains sur
la tête et tu ne remues plus un cil !". S’il avait pu, le gars
aurait creusé le sol pour s’enfouir et ne plus rien voir.
Bruno ouvrit les tiroirs du
bureau, le troisième était plein de billets usagés, pas mal de
grosses coupures. Le sourire qu’il afficha le fit ressembler à
une pastèque entamée : "Alors, c’était pas un joli coup ?".
Chris consentit un rictus, il devait admettre que l’affaire
était simplissime.
* * *
Julien composa le 17 et le sketch
commença : "Vous avez demandé la Police, ne quittez pas !"… Non,
Julien ne quittait pas, il essayait de voir la suite des
événements dans la rue, mais plus d’images, les personnages
s’activaient hors champ. Le répondeur du 17 continuait à égrener
son message absurde…
* * *
Un instant, il avait bien cru que
le gros type l’avait repéré derrière son kiosque à journaux,
mais non, il s’était dirigé vers ce gars qui venait de garer sa
voiture. Celui-là, il le connaissait, il faisait partie de son
univers et avait même parfois un petit signe amical à son
attention. Il vit les deux types l’encadrer et le bousculer,
avant de rentrer dans la boutique… Il sentait toujours ces ondes
néfastes… La rue lui avait appris depuis longtemps qu’il ne
fallait surtout pas se mêler des affaires des autres, les
cicatrices autour de son œil droit le lui rappelaient au besoin.
Il se ramassa encore plus sur lui-même, aux aguets, prêt à
bouger.
* * *
Chris avait rempli un sac
poubelle avec les billets, l’employé leur avait juré qu’il
n’avait pas la combinaison du coffre, que c’était seulement le
patron qui la connaissait et Chris le croyait. Le sac sur
l’épaule, il jeta un coup d’œil dans la rue. Encore vide, malgré
la brume qui s’effilochait et la lueur d’un soleil pâle qui
filtrait. Il balaya les environs du regard, les voitures garées,
le kiosque à journaux, les immeubles. Et au fait, il était où,
le petit curieux du troisième ? Levant les yeux, il crut
apercevoir une ombre derrière la fenêtre, vite évanouie.
"Allez, on s’arrache !". Bruno
finissait de scotcher les gros sparadraps sur les chevilles, les
poignets et la bouche du gars, avec application et un brin de
sadisme. Il rejoignit Chris devant la porte.
* * *
Enfin ! On décrochait… "Allo,
Police ? Vite, il y a un braquage en bas de ma rue !... Deux
hommes dans un camion-benne… oui, une benne à ordures ! Ils sont
sur le point de partir !". Julien débita son nom et son adresse,
le flic lui assura qu’une voiture de patrouille était déjà
avertie et arriverait très vite, elle était tout près.
* * *
Maintenant, toujours à l’abri du
kiosque, il voyait les deux types sortir du bureau avec un gros
sac-poubelle. Il devina qu’il ne contenait pas les trésors
habituels dont lui faisait son régal. Le gros regardait de son
côté, sans le voir. Il les vit monter précipitamment dans le
camion, le plus petit criait quelque chose qu’il ne comprenait
pas. L’énorme moteur gronda, le faisant tressaillir. Les yeux
éblouissants du véhicule s’illuminèrent. Il tendit l’oreille… un
bruit qui se rapprochait… une sirène à deux tons… et au bout de
la rue, soudain, un kaléidoscope bleuté et scintillant… Le
camion s’ébranlait… Sans réfléchir, suivant un instinct très
ancien, il s’élança pour lui couper la route…
* * *
Chris vit le gyrophare de la
voiture de police au bout de la rue au moment où la sirène lui
vrillait les oreilles. Il faillit démarrer avant que Bruno ait
eu le temps de sauter sur le siège et de lui hurler : "Vite,
vite ! Démarre, bon Dieu !...", il était livide, les yeux
écarquillés comme ceux d’un lapin dans les phares d’une voiture.
Les gestes de Chris s’enchaînèrent mécaniquement. Il passa la
première, le lourd camion démarra, prit de la vitesse et… "Merde
! C’est quoi, çà !". Une forme noire avait jailli du kiosque à
journaux, traversait juste devant la calandre. Instinctivement,
Chris braqua à gauche en écrasant le frein, il pouvait passer,
il devait passer ! L’aile gauche du camion fit un bruit
déchirant en s’encastrant dans le mur du kiosque. Chris braqua à
droite, le moteur rugit dans une dérisoire tentative. Le pneu
avait éclaté, découpé par le métal de l’aile disloquée. L’essieu
avait dû morfler, lui aussi…
Bruno s’excitait sur la poignée
de la portière, mettait un pied dehors pour sauter. Il tomba
presque dans les bras du premier flic et se figea, subjugué par
l’œil bleuté du flingue pointé sur lui. Chris avait les deux
mains sur le volant, il voyait les flics entourer la cabine et
lui hurler de sortir sans geste brusque. Le seul geste brusque
dont il avait envie, c’était d’écraser son poing sur la gueule
de Bruno. Il revit le parloir, le visage angoissé de sa sœur,
les longs jours gris, son avenir immédiat… Il leva les mains
au-dessus de sa tête et, lentement, s’extirpa de la cabine.
* * *
Il était tout excité !
Heureusement qu’il avait un sacré entraînement ! Traverser
devant les voitures faisait partie de ses distractions
favorites, il fallait calculer l’instant précis, en fonction de
la largeur de la rue et de la vitesse de la voiture. Là, c’était
la première fois qu’il jouait avec un camion-benne, et c’était
plutôt réussi !
Il s’arrêta, jeta un coup d’œil
en arrière, regarda ce petit monde s’agiter comme des ombres
chinoises sur fond de gyrophare. Les humains l’étonneraient
toujours. Il passa une patte autour de son oreille, un vieux
tic, lécha deux ou trois fois sa fourrure noire et fila le long
du mur retrouver sa copine, la chatte du vieux monsieur si
gentil, dans la rue d’à-côté.
Texte de Claude Arbona, Sens (89), 2014
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Desfilfargat
6:30 del matin. Lo camion de las
escobilhas sortís de las nèblas. Tot va plan ! Levat que sèm pas
diluns… Quin jorn sèm ? me sembla que me soi envieilhit d’un
sègle. Sabi plan qu’es pas possible, qu’ai pas mai que mièg
sègle, los òmes que vivan cent ans o mai son escars encara.
Pr’aquò, ai los membres tant pesucs que pòdi a pro pena los
bolegar : quand lèvi lo braç per portar la man sul cap, o sus lo
ventre, me sembla levar un pes de fonda, sabes, lo pes gròs de
dos quilòs per equilibrar la balança, lo mai gròs que podiái à
pro pena levar de las doas mans quand èri pichon. Servissiá pas
sovent aquel pes, que lo mond compravan alara pas que de
pichonas quantitats, una liura de farina, dos cent gramas de
lentilhas, un tròç de formatge, un bocin de salsissa... l’espeçiariá
èra pròcha, dins lo barri, totjorn dobèrta, levat lo diluns, e
encara, se podiá de còps trapar la Maria a l’ostal quand quicòm
mancava. Mas caliá que siá un afar important, que la Maria
aimava pas èsser disturbada per res. De còps, qualqu’un arribava
e demandava : “Pòdes me balhar dos...” - o tres, o quatre, mai
n’i aviá, mai l’exercici èra interessant, que caliá jogar ambe
los peses - “Pòdes me balhar dos quilòs de patanas, Maria ?”, e
ma grand preniá lo panièr de fèrre bèl, anava causir – degun
tocava pas la merça – las patanas dins la caissa jos las laissas
de fusta. “Dona me’n de bèlas, Maria”, disiá la femna, mas ièu
sabiái plan que la menina fariá una mescla de patanas de totas
talhas, de gròssas e de pichonas, tot ben que diga la practica.
Aprèp, quand se’n èra anada, me diriá : “Comprenes pichon, si
balhi totas las patanas bèlas a aicesta, me demorarà pas que de
pichonas per las autras, aquela serà contenta, mas farai un
desenat de malcontentas, çò qu’es pas bon per lo comèrci.” Maria
tornava ambe lo panièr plen, lo pausava sus lo platèu grand e
ieu, qu’aviái seguit la manòbra, levavi de las doas mans lo pes
gròs, de totas mas fòrças. La balança Berkel tronava sus la
laissa mai nauta del comptador, a costat de la veirina
refrigerada. Mai que feble, èra pichon a l’epòca, e quand me
quilhavi sus la punta dels pès, mos uèlhs venián a pro pena a la
rasa del marbre alara, per i pojar aquel tròç de férre tant
pesuc... Ma grand me preniá lo pes de las mans que tornavan sul
còp totas leugièras, e lo botava sul pichon platèu de la
balança. Veniá alara la partida complicada del trabalh, çò que
mainatge compreniái pas encara : trapar la bona graduacion sul
quadrant, calcular lo pes exacte e, fin del fin, faire la règla
de tres. A... de règlas de tres, quantes n’ai fachas dins la
botiga ont veniái passar una setmana de vacanças cada an !
Ma man pesa mai de dos quilòs e
quand la pòrti a l’espatla coma ara, l’espatla esquèrra que me
trissa tant, tot lo braç es dolorós. Coma si aviái passat la
jornada a asclar de lenha. De tot biais, tot los moviments son
aitals, dolents, ai los muscles durs e regdes, las articulacions
volon pas se desplegar.
Per astre, ambe las potingas, las
dolors an demesit, ai pas mai las fissadas violentas coma abans,
quand l’espatla me semblava se desrabar per quitar mon còs. Un
còp èra, los qu’èran condemnats al suplici del desmembrament
devián patir aital... Probable que perdissián la coneissença.
Ieu, quand arribava lo tison, quand sentissiái çò qu’a la debuta
èra pas qu’una cossèrga, podiái m’i preparar. Lo primièr còp,
sabes pas çò qu’arriba, sentisses la sensacion novèla, percebes
ambe curiositat çò qu’a la debuta es pas fòrçament desplasent.
L’espatla te prusís : quicòm o qualqu’un te grata, doçament per
començar, ambe la punta del dets. Aquò fa de ben, mas dura pas
gaire : ara, lo grataire rascla ambe las onglas, de mai en mai
fòrt e s’arresta pas, emai si lo demandas, a trapat un esplech,
un gratador, mas es pas sufisent, e ara que la prusor s’es
mudada en dolor, continhua d’enfonçar dins la carn d’aisinas de
mai en mai afiladas, de mai en mai brutlantas. Podes cridar mas
s’arresta pas, e totjorn la dolor augmenta, e ton còs tot entièr
torna pas qu’una sofrança, sabes pas dans quant de temps s’arrestarà,
la tortura pòt durar una minuta coma una ora, es pas regular.
Finisses aital, arrucat a l’entorn de ton espatla, d’una brasa
que podes pas destacar del pitre, e tot ton èsser es pas que
dolor, e mai las pensadas que se son avalidas. Es impossible de
pensar dins aqueles moments. Lo second còp, quand comença a
prusir, te mefises, mas aquó empacha pas res. Lo fenomén farà
son òbra en despièch de ta volontat. A cada còp aprenes quicòm
mai sus l’avançament de la dolor, sus l’ataca del mal : dins la
vida normala, a armas egalas, aquel aprendissatge te serviriá,
podriás trapar de biaisses, de tècnicas per t’aparar del mal,
per perturbar o alentir son avança. Mas, aquó es pas la vida
normala, es pas que la sofrança totala, la ont existís pas de
sortida, d’escapatòria e saber çò que se va passar empacha pas
que se passe : la dolor serà entèra. Fin finala, quand las
tenalhas del diable vòlon plan se desclavar e daissar ton
espatla, que lo mal s’atenua pauc a pauc, que l’esperit torna
préner un bocin de vam, que las pensagas gausan tornar sul camp
de batalha devastat, que los brams quitan la sala de tortura,
son d’ideas aital que venon, d’ideas de torturas d’un còp èra.
Quand tot es acabat, lo còs aflaquit, romput, l’esperit
balbucejant, si capitas a pensar quicòm, pensas que de tot
temps, que foguèsses masc, eretic o resistent d’aicí o d’alai,
que que siá la libertat que podías reivindicar, ambe aquel
tractament podiás pas que dire çò que volián que diguèsses los
torturaires.
Ara, tot aquò es pas qu’un marrit
recòrd. Vòl pas dire que tornarà pas, mas ara, m’an balhat
l’arma que me dona lo poder de me parar d’aquela indicible
sofrança : la pompa. La pompa qu’instilla doçament dins ma vena
la morfina benfasenta. Quand èri pichon, m’agradava de pensar
qu’un nivol coconós m’emmantelava, una mena de bola gròssa, doça
e cauda, aparaira, que flòtava dins l’aire en dessús dels mòbles,
del ponde e que me protegissiá del mond. Èri aquí dedins, e lo
mond que podíai veire e ausir ça que là, me semblava luènh,
luènh e inofensiu. Èri aparat. Ambe ma sòrre morfina que se
motla en gròssa coeta a l’entorn de ièu, soi aital, aparat e un
brieu ebriós : pas vertadièrament bandat, mas un pauc partit, un
pauc saunejaire. Çò que me balha la boca secòta, e que fa
trabucar los mots que ne’n sortisson, que podon pas anar tan lèu
coma las pensadas. E lo mond es un pauc desvariat, vira pas coma
cal, sembla s’èsser destacat de ieu, n’a pas mai ni cap ni
centena. Probable qu’es per aquò que los escobilhaires passan
ara lo dimenge...
Ont n’èri ?... Me rapèli :
morfina ma sòrre. E los mètges m’an balhat tanben lo boton.
Quand sentissi mon espatla començar a prusir, lo signe de
l’ataca de las armadas devastatriz, pòdi ara quichar lo pichon
boton. Aquel boton sona la pompa e la pompa mon amiga me balha
un bocin mai de morfina ma sòrre : alara partissi, mon armadura
nivolenca pren l’aire, se’n va dins lo cèl, cap a l’estelum, e
ièu, liberat de la terror, pòdi me daissar anar a mos sòmis. Los
mètges an de mots estranhes : apelan aquò un « bolus », o un «
flash », un liucet. Ieu diriá puslèu aquó un copa cambas, o un
assucador, mas me’n trufi, çò qu’es important es qu’ambe aquel
esplech, l’inquisicion pòt pas m’aténher.
6:30 del matin. Demòran un parelh
d’oras abans la debuta del grand circ. Ont es aquel boton ? Non,
pas lo de la morfina, l’autre, lo del virasolelh. Aquí, s’èra
amagat jos la cobèrta. Ambe aquel esplech pòdi dobrir al lum
encara que lo jorn siá pas encara levat. Fa pas res, al contràri,
esperarai los primièrs rais del solelh naissent, poirai
aprofechar la calama de l’ostal e la lutz clara del matin sens
èsser destorbat. D’aicí, per la fenèstra, vesi tot lo jardin e
mai la montanha pus luènh, las brumas matinalas que s’encrancan
a las avetadas, la rama dels castanhals que prenon de colors a
mesura que lo solelh les alisa, lo cèl blau ont desenfilan de
nivolets butats per l’autan. Un mèrle que fiula, un cat que se
ven fretar contra lo veire de la fenèstra : ara m’agacha, sembla
que me parle. Que vòls ? Vòls just me dire quicòm, un adieu, un
messatge de suavitat e de patz coma semblan lo dire ton pel plan
lisat e tos uèlhs mièg clucats ? O benlèu que vòls dintrar, te
fretar l’esquina contra las ròdas del lèit, saltar sus la
cobèrta, venir ambe ton morre fins a mon caratge quèrre una
careça, puèi t’enrotlar, t’agrumelir contra la forma de mon còs
per una matinada de sòm.
De tot biais, me pòdi pas levar
per dobrir la fenèstra : siás condemnat a esperar defòra,
vendràs pus tard, quand lo mond serà desrevelhat. Alara te
caldrà un pauc de paciença que la cambra e lo lèit se mudaràn en
camp de batalha : suènh, teleta, recapte, dejunar... E de
bruches, e de bolegadís, e de rambalh ! E ièu, al mitan de tot
aquel revolum coma objècte principal de l’atencion de totes.
Sabes que me’n a calgut de volontat e de capuditge per faire
acceptar mas exigéncias : fin finala ai agut lo darrièr mot, les
ai dich que voliái pas èsser l’objècte de lor atencion mas lo
subjècte, cò qu’es pas la meteissa causa. Soi ièu que vau morir,
soi ièu lo malaut, lo que sofrís, alara me fasètz pas cagar, si
vòli pas faire quicòm, o farai pas, que que’n digatz. Disi pas
qu’ai agut rason per tot, me calguèt faire de concessions,
batejar lo vin : normal, mantunes son de professionnals qu’an
pas qu’aquò a faire, pòdon pas se plegar a totes los desirs de
tota la practica. Mas, dins las limits del possible, fan coma
vòli. Doncas, lo rambalh del matin fa partida dels passatges
obligats. Abans, e aprèp, torni prener la man.
Aital, lo cat pòt montar sul
lèit. Emai l’igièna e tota aquela mena de cresenças ridiculas a
las quales s’arrapan los sonhaires : lo cranc el, es a ièu que
s’arrapa e pensi que se’n chauta pas de l’igièna... Aital, lo
dejunar : ne’n vòli pas, ne’n vòli pas, es pas la pena que me
presenten cada matin un platèu ambe de bonas causas. Tot aquò,
subretot las sentors, me balha lo soslèu, mon còs vencut e
rosegat pel cranc refusa de manjar per noirir lo cranc. De tot
biais, ai pas talent.
Lo soslèu, aquò es susprenent, es
pas luènh de çò que me sentissi quand d’unes venon me visitar.
Òu, pas totes, urosament, qu’ai d’amics vertadièrs que sofrisson
de me veire aital e tanben de mond que son pas d’amics mas que
compatisson sincèrament. Mas i a los autres, los que venon per
convenença, per curiositat, per que cal pas que siá dich que...,
totes aqueles que prenon un aire contrit per amagar lor
indiferencia. E ben, aqueles, pòdi te dire mon amic lo cat, que
coma tu, legissi dins lors pensadas, e qu’an pas ja passat lo
sulhet de la cambra que lo soslèu me torna. Çò qu’es finalament
plan practic, que me veson pas plan jaurèl e que pòdon se’n anar
lèu aprèp unas bonas paraulas longtemps repetidas e balhadas
sens gaire de conviccion.
La calama torna, soi tornamai tot
sol, ambe lo cat, los libres, la fenèstra e l’ordenador.
Es pas qu’aime pas lo mond, mas a
l’ora de morir, vau pas m’embestiar ambe de gents qu’aimi pas o
de causas que me conflan. E ièu soi puslèu contemplatiu, aimi
fòrt la tranquilitat, daissar anar mas pensadas, soscar e
pantaissar.
Un jorn, m’envièron un psicològ.
Èri pas obligat, me diguèron just que’n aviái la possibilitat e
coma dins aquel mond modèrn quand as una possibilitat, cal en
profitar, lo psicològ es vengut. Ièu me’n trufi, cal ben que tot
lo mond ganhe son pan, mas foguèt un moment plasent. Çò primièr,
lo tipe fasiá pas que de charrar, ne podiái pas dire una : un
vertadièr molin, e coma deviá èsser un païsbassòl, parlava tant
ambe las mans coma ambe la boca. A la debuta ensajèri de dire
quicòm, mas soi las, ma votz pòrta feblament, e lo tipe m’escotava
pas, èra dins son charradís : me sentissiái coma lo vinhairon
qu’a fait saltar lo tap de la barrica e que pòt pas enfonzar la
canèla mentre que lo vin s’escampa, s’escampa, e mai lo vin
raja, e mai lo païsan s’enjaura, vira maladrech e aquela puta de
canèla que vòl pas dintrar dins lo trauc ! Demai, tot aquel
charradís me balhava lo caluquitge, coma las vapors del vin. A
la fin, escotavi pas mai çò que disiá, m’èri virat cap a la
fenèstra, agachavi las ombras córrer sul pelenc. Probable que
se’n mainèt, s’arrestèt de parlar, se pausèt la man sus mon braç
: - Sètz cansat ? Volètz que vos daisse ? Pòdi tornar un autre
jorn. Alara, me virèri cap a el : - Òc, vòli plan que me
daissetz mas vóli pas que tornètz que fa pas mestièr. Sabètz,
soi pas crentós, ni mai ansiós, ni mai malurós : dempuèi d’unes
meses que soi malaut e que sabi que vau morir, ai agut lo temps
de soscar a tot aquò e d’aprivadar l’idèa de la mòrt e de la
pèrda. Me sembla qu’ai ja fait lo dòl. Pensi que lo tipe
comprenguèt pas sul còp : - Vos ? Faire lo dòl ? - E òc, vau
partir, e las gents me van pèrdre, mas se consolaràn, o sabi
plan, emai serà dificil per d’unes, mas auràn lo temps, tot lo
temps de faire lo dòl. Mas per ièu, que vau tot pèrdre, sabi pas
s’aurai l’escasença de faire lo dòl aprèp, probable que non, e
de tot biais, me’n trufi, qu’ai jamai cregut a quicòm mai. Alara
es ara que me cal faire mon dòl de la vida, de las sensacions,
de las relacions, dels amics. Es fait, aital soi en patz,
consolat, e pensi qu’ai pas besonh de vòstra ajuda. Me podètz
daissar.”
Lo psicològ foguèt un brieu
destrantalhat. N’oblidèt las formulas costumièras : “S’avètz
besonh, demòri a la man vòstra”. Se’n anèt. Dempuèi, m’an
daissat tranquil. Al mens d’aquel caire : me cal ça que la èsser
liure per los suènhs.
6:30 del matin, demòra un parelh
d’oras abans que comencen. Enfin, ara, fa un moment que son
passats los escobilhaires, benlèu mièja ora que soi a soscar. Es
malaisit d’evaluar la vitessa del temps, subretot sens amira e
sens mòstra. Me caldriá trapar la tauleta, l’ora es marcada
dessús : es pausada sus la tauleta de nuèch a man esquèrra. Una
tauleta sus una autra tauleta. Pòdi pas bolegar lo braç esquèrra
ambe aquela espatla clavada al lèit, la me cal anar quèrre ambe
la man drecha : la levar fins a l’espatla dolorosa, puèi virar
tot lo còs a esquèrra per acercar la man de l’esplech. Sabi
cossí faire, me’n vau plegar lo genolh drech, puèi faire
bascular la camba, l’anca, l’espatla e lo braç d’aquel costat, a
l’entorn de la partida esquèrra de mon còs que pòt pas bolegar.
Mon còs drech vira a l’entorn de mon còs esquèrra coma un batent
a l’entorn d’un ais. Aquí i soi. Los dets se ferman sus la
tauleta magica. Ara se cal tornar colcar sus l’esquina, doçament,
per pas desrevelhar lo cranc e la dolor. Aprèp es aisit : la
tauleta la pausarai sul supòrt qu’es atacat a la rambarda del
lèit : aital, ambe la man drecha e solament una man, la pòdi
utilizar. Va plan, son pas que sèt oras, ai encara lo temps de
pantaissar tranquil.
Dempuèi que soi aquí, embarrat
dins la cambra per la malautiá, ai agut lo temps de soscar.
Soscar, e tanben legir e escriure. Ai enebit la radiò e la
television, que las istòrias del mond que vau daissar m’interessan
pas mai, mai legir e escriure, aquó foguèt totjorn un plasér.
Ara, soi tròp cansat, e pòdi pas téner los libres de las doas
mans, ni mai la tauleta : alara legir torna malaisit, dificil, e
escriure tanben. Es per aquò que prefèri pantaissar, daissar
anar mon esperit dins las limbes, mentre que la sòrre morfina li
balha d’alas. Sentissi plan qu’aital, soi a m’alunhar del mond e
dels òmes, e entre lo òmes, totas las personas que m’aiman, que
m’an aimat, e qu’aimi tanben. Fa un long e progressiu
destacament, un avaliment que muda pichon a pichon las gents en
trèvas e lo mond en una realitat de mai en mai imateriala. Aital,
pòt passar lo camion de las escobilhas lo dimenge, o un autre
jorn dins la setmana, me’n trufi, son de faches benlèu pas
vertadièrs, benlèu inventats, mas fa pas res, aquò me toca pas
mai. Demòri aquí, entre doas aigas, penjat dins l’aire, acrocat
al fial que m’instilla las potingas, coma un fètus que flòta
dins l’amniòs, solament ligat per lo vedilh, coma un cosmonauta
en sortida dins l’etèr, ambe son cordon noiricièr que le jonh a
la capsula. Dempuèi mon nivol flotant, vesi lo mond en
iperrealitat, sons e colors venon mai brut e mai fòrt, mai
contrastats, las olors subretot, e las de la noiridura encara
mai, coma si al travèrs de cada aliment podiái sentir pas
solament son gost primitiu e brut, mas tanben lo gost de son
mitan de naissença : la tèrra, lo fems. E doncas, lo soslèu. Las
gents, elas tanben, las ausissi e las vesi tal coma son dins lor
còs e dins lor còr : ambe aquel sistema, ai agut lèu fait la
tria entre los amics vertadièrs e los falses, entre los que son
sincèrs e los que son governats pas que per las aparéncias. E
encara lo soslèu. Çò qu’es risolièr, es que mai mon còs se
destrantalha, mai torna flac, magra e debil, mai mon acuitat
sensoriala aumenta : l’iperrealitat va creissenta. Es una
experiença interessanta mas aganidoira e me cal penequejar de
mai en mai longtemps per me remetre d’aqueles moments de
revelacion de la natura violenta del mond. De còps, las
sensacions venon tant fòrtas que me sentissi escanat o que mon
còr trabuca : s’arresta, accelera, se torna arrestar e sembla
que jamai se tornarà aviar. Puèi dins un vam miraculós, comença
de batre doçamentón e pichon a pichon torna trobar son ritme
normal. Me disi aprèp aqueles segondas esprovantas, ont soi
crevat e tot en susor, que serà dins un moment aital que farai
la darrièra experiença, la darrièra alenada, que lo cordon
mairal acabarà de se desfilfargar per liberar mon èime e son
nivol, per me daissar volar dins lo blau del cèl sens freg ni
calor, sens gost e olor, sens duretat, evanescent, mentre que
mon còs, freg e regde coma un tròç de lenha, esperarà lo camion
de las escobilhas, a sièis oras e mièja del matin...
Texte de Bruno Assemat,
Mazamet (81),
2014 |
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