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"La bibliothécaire le reconnut aussitôt. C'était le jeune homme
qui n'empruntait que des ouvrages d'archéologie..."
ou
encore :
"La
bibliotecària sul pic se lo remetèt.
Èra lo jovent que manlevava pas que d'obratges d'arqueologia...."
-
Balade nocturne
- Qu'est-ce que
c'est, être un homme ?
- Lo
mainadet qui volè vàder gran
Balade nocturne
La
bibliothécaire le reconnut aussitôt. C'était le jeune homme qui
n'empruntait que des ouvrages d'archéologie.
Sa présence là
était plutôt inattendue. Pourtant elle n’était pas surprise, elle avait
secrètement souhaité et préparé cette rencontre. Il parcourait
distraitement l'endroit du regard, lorsqu'il accrocha le sien. Un court
instant de surprise, on put lire dans ses yeux qu'il cherchait à se
rappeler. Puis le déclic, les yeux qui s'agrandissent et, oui ça y est,
il connait bien cette jeune fille, il sait où il l'a déjà rencontrée.
- Bonjour, je
ne vous avais pas reconnue. Il faut dire que vous n'êtes pas vraiment
habillée comme à la bibliothèque, vous faites beaucoup moins...
- Classique ?
proposai-je. En moi-même je penchais plutôt pour "Nunuche ?", mais cette
répartie me paraissait bien moins adaptée à la situation.
Il faut dire
que le règlement de la bibliothèque était... classique lui aussi. Lors
de l'entretien, on m'avait dit : il y a des enfants, des personnes
âgées, des jeunes, alors vous voyez, la tenue vestimentaire, il ne faut
pas choquer, il ne faut pas aguicher, vous devrez donc rester neutre.
"Neutre", ça devient "sobre". Ou "classique". Au final, on pourrait dire
"transparente".
Alors
évidemment, lorsqu’il m'a vue aujourd'hui, j'ai bien remarqué que ça lui
a fait comme un choc. Pas désagréable, le choc, non plus. Le top rouge
qui avantage mes formes, le décolleté juste comme il faut, la jupe
écossaise sur le collant noir moulant, moi ça me plait bien, et lui, je
crois que ça lui plait bien aussi. Et encore, il n'a pas vu mes
sous-vêtements. "Pas encore", dit ma petite voix.
- Oui, c'est
ça, classique. Mais je préfère comme vous êtes maintenant.
Bingo! Je ne
me suis pas trompée !
- Moi c’est
Félix, je vous offre un café ?
Ça aussi,
c'est classique. Mais toujours efficace pour briser la glace.
- Anne. Pas de
café, mais un Coca, avec plaisir.
Les terrasses
de café parsèment le quartier Saint Germain, il n'y a que l'embarras du
choix. Nous nous dirigeons vers un petit troquet, loin de l'agitation du
matin. C’est ici que j’avais l’habitude de m’arrêter prendre un verre
lorsque j’étais étudiante, regarder les gens déambuler, envier les
amoureux qui s’enlacent... La terrasse est intime mais pas trop, idéale
pour profiter des derniers beaux jours de l'automne.
- J'ai passé
toute mon enfance ici, au milieu des librairies et des maisons
d'édition. C'est peut-être pour cela que je suis devenue bibliothécaire…
- J'ai passé
toute mon enfance avec un père militaire et une mère directrice d'école,
et finalement je suis DJ dans une boite de nuit, vous voyez, aucun
rapport. Alors la prédestination...
- DJ ? Je
croyais que vous étiez archéologue, scientifique, ou…
- Non, non,
non.
Il se met à
rire, j'aime bien.
- DJ, c'est
alimentaire. Et l'archéologie, c'est ma passion. Certains construisent
des maquettes de train dans leur grenier, moi je m'intéresse aux
vieilles pierres, aux anciennes civilisations, tout ce qui fait notre
histoire. Je suis comme Benjamin Button, je remonte le temps, jusqu'aux
origines de l'humanité. Et ce n’est pas théorique, c’est même très
vivant. L'archéologie est parfois présente au coin de la rue. Mais je
vous embête, vous devez trouver tout ça plutôt vieillot.
- Pas du tout,
au contraire. Tiens, vous dites au coin de la rue, je vous mets au défi.
Je vous donne dix minutes pour le prouver.
Là je triche
un peu... Quand on est bibliothécaire, on a un pied dans la vie des
gens. Petit, certes, mais c'est un début. L'année dernière, Félix avait
emprunté un livre sur les catacombes de Paris. Discrètement, par
curiosité, j’avais parcouru moi aussi ce livre dès que Félix l’avait
rendu à la bibliothèque. Et donc normalement...
- D'accord,
venez, je vous emmène. Vous avez déjà entendu parler des catacombes ?
Je souris. Ah,
l’intuition féminine…
Il continue :
- Ce sont
d’anciennes carrières, c’est de là qu’ont été prises les pierres qui ont
servi à la construction des bâtiments de Paris. Elles se visitent, mais
on ne va pas passer par l’entrée officielle des touristes. Je connais
d’autres passages, moins fréquentés. Moins autorisés aussi… Petit clin
d’œil complice.
Félix se lève,
pose un billet sur la table. Il me prend la main, et nous partons en
courant à travers des dédales de rues que je n’avais même jamais
parcourues. Nous voici arrivés devant un petit porche, gardé par une
grille symbolique.
- Certaines
galeries ont été détruites pour des raisons de sécurité, mais d’autres
restent accessibles et ignorées du grand public. Comme celle-ci par
exemple.
La grille
s’enlève en tirant simplement dessus. Nous pénétrons dans un long
tunnel. Félix repose la grille derrière nous, et nous avançons
prudemment à la lueur de nos portables, parfois debout, souvent courbés.
Nous voici arrivés devant une rangée d’ossements, soigneusement alignés
pour l’éternité. Félix, visiblement heureux du rôle de guide particulier
qu’il vient d’endosser, continue ses explications :
- Les gens ont
tous le défaut de mourir un jour. Et si la population du dessus, les
vivants, peut rester peu ou prou stable au fil des siècles, la
population du dessous, les morts, ne peut qu’augmenter inexorablement.
Et les cimetières s’engorgent. Alors un jour de 1786, place aux jeunes !
Quelqu’un a décidé de profiter des volumes libres laissés par les
anciennes carrières, et on a déménagé tout ce beau monde dans ses
nouveaux appartements. Alors bien sûr, Pépé et Mémé n’ont peut-être pas
été très contents. A cet âge, c’est difficile de changer ses habitudes,
les voisins ne sont pas commodes... Mais d’un autre côté, on ne les a
pas entendus protester.
Nous restons
immobiles et silencieux un moment, profitant du calme extraordinaire de
l’endroit. Puis, avisant un crâne bien conservé, Félix y place son
portable allumé. La lumière sortant par les orbites lui donne un aspect
totalement irréel, et pourtant bien adapté à l’ambiance qui règne dans
ces lieux. Le crâne semble rire de cette plaisanterie, lui qui ne doit
pas en avoir l’occasion très souvent. A notre tour, nous éclatons de
rire. Moins de dix minutes, Félix a gagné son pari. Au loin, un coq
chante.
De retour à
notre café, nous parlons de tout et de rien, de notre escapade
souterraine.
- Pour moi,
dans mon imaginaire, l’archéologie, ça ne pouvait pas être quelque chose
d’aussi proche, d’aussi palpable. C’était forcément beaucoup plus
ancien. Je ne sais pas, Rome, la Grèce Antique, toutes ces histoires
qu’on nous assène à l’école. Des vieilles pierres, de vieux monuments, à
moitié écroulés si possible… voilà à quoi on pense quand on nous dit
« archéologie ».
- Bien sûr,
répond Félix. C’est aussi cela, ça fait aussi partie de notre histoire.
Par exemple, les pyramides, c’est plus ancien, c’est un peu délabré, ça
correspond mieux à ton imaginaire de l’archéologie ?
Tiens, on se
tutoie maintenant ?
Je me souviens
que Félix avait aussi emprunté un guide sur l’Egypte ancienne. Et un
autre sur les Mayas. Pour les deux ouvrages, la photo de couverture
représentait une pyramide. Ocre sous un soleil qu’on devinait de plomb,
ou bien cachée dans un océan de verdure. Eux aussi, je les avais
parcourus dès leur retour en rayon. Que de points communs entre ces
ouvrages titanesques, séparés de plusieurs milliers de kilomètres, et de
presque autant d’années. J’avais pu lire que certains y voyaient même la
main des extra-terrestres…
- Oui, ça
colle mieux. J’aimerais bien visiter. Mais j’ai peur que ces pyramides
ne soient un peu trop loin…
- Ce n’est pas
un problème. Pas besoin de prendre l’avion. Tu n’as qu’à fermer les
yeux, et imaginer. Tu te trouves sur les bords du Nil, et de là tu peux
contempler les pyramides de Gizeh : Khéops, par exemple, qui est le
tombeau d’un grand pharaon. L’accès à la chambre funéraire est un vrai
labyrinthe.
- Comme les
catacombes. Mais là où il y a des milliers d’ossements rassemblés sous
terre à Paris, Khéops n’est construite que pour abriter un seul homme,
qui repose bien au-dessus du plancher des chameaux.
- Oui, je
n’avais jamais réfléchi comme ça, mais tu as raison. Et de là, tu peux
entendre Napoléon, qui lance son célèbre « Du
haut de ces pyramides, 40 siècles vous contemplent ».
Félix joint le
geste à la parole, théâtral !
- S’il disait
cela aujourd’hui, il pourrait en rajouter deux !
- Déplace-toi.
Tu peux maintenant voir le Sphinx, avec son fameux nez cassé. Obélix n’y
est pour rien, mais on se perd encore en conjectures pour comprendre
l’origine de cette mutilation.
Emportée par
les explications de Félix, je visite les monuments, me promène autour,
les survole. Je sens la chaleur du sable du désert tout proche. Félix a
encore réussi à m’emmener dans un endroit très touristique, sans pour
autant qu’il y ait le moindre visiteur pour nous déranger. Il arrive à
rendre l’archéologie bien plus vivante que ce qu’on peut attendre d’un
vulgaire tas de pierre abandonné pendant des siècles.
J’entends de
nouveau un coq chanter. Il me parait plus proche. A regret, je sors de
ma rêverie, les images s’estompent, Paris reprend lentement sa place.
Félix voit mes yeux étourdis par la lumière, cela le fait rire.
-
« Faites que le rêve dévore votre vie… »
- « … afin
que la vie ne dévore pas votre rêve ! ». Je connais, c’est…
- Antoine de
Saint-Exupéry, oui.
Heureusement
qu’il m’a coupé la parole, ça m’a évité de dire que, pour moi, c’est un
conte musical de mon enfance. Ah, je les imagine bien s’acoquiner
ensemble, le Petit Prince et Emilie Jolie ! Et tout à coup, je sens le
rire arriver. Je me retiens, mais rien n’y fait, le rire vient, arrive,
explose. Félix me regarde, étonné. Mais aussi, avec toutes ces
aventures, je trouve que Félix saute du coq à l’âne. J’ai toujours
trouvé cette expression bizarre, mais là, maintenant, elle me fait rire.
Pas d’explication. C’est comme une vérité qu’on découvre, un fait
établi. Ou une promesse. Et elle me fait rire, c’est tout.
Félix attend
que je me calme. Les regards amusés des passants ne le dérangent pas, il
patiente, simplement. Enfin il me dit :
- Puisque tu
as l’air vraiment intéressée, je vais te présenter Lucy.
Le ciel vient
brusquement de se charger de nuages. Pas seulement dans ma tête, mais
littéralement. Paris s’assombrit. L’orage arrive. Le vent pousse
au-dessus des toits des nuages qui semblent défiler de plus en plus vite
dans le sens opposé. Un photographe dirait que c’est photogénique. Moi
je dis que c’est catastrophique. Qui est cette Lucy ?
Il a dû voir
mon changement d’humeur, il se met à rire. Est-ce qu’il a compris ? En
tout cas, on dirait qu’il tente de me rassurer.
- Je te parle
de Lucy, le plus ancien squelette de femme découvert. Il a 3 millions
d’années, respect non ? On n’est plus vraiment dans l’archéologie, c’est
trop ancien. Mais ça reste encore notre histoire.
Effectivement,
ça me revient. C’est un des derniers livres qu’il a empruntés. J’avais
commencé à feuilleter les pages, mais c’était vraiment trop indigeste.
Uniquement du texte, très technique. Je l’avais vite reposé, puis
avisant les autres volumes de la rubrique, j’étais tombée sur un ouvrage
sur le même thème, plus attirant. Lucy y était présentée de façon très
vivante, les photos semblaient avoir été prises la veille en studio.
Décidément
très prompt à faire partager ses passions, Félix repart cette fois
direction le métro, étonnamment désert à cette heure. Nous sortons à la
station Trocadéro et, passé l’accueil du Musée de l’Homme, Félix nous
entraine à travers un dédale de couloirs, d’escaliers, d’expositions,
pour s’arrêter, essoufflé, devant un mannequin. Voici Lucy. Bon, pas le
genre de mannequin qu’on va trouver dans les revues people. Mais Lucy
irradie son propre charme. Nous restons un instant immobiles, en
communication silencieuse à des millions d’années de distance.
Enfin, sans
nous concerter, mais comme mus par le même ressort qui vient de se
déclencher, nous repartons dans les méandres du Musée. Couloirs,
escaliers, portes... Crânes, squelettes… Deux enfants en train de jouer,
ayant échappé à la surveillance de leurs parents. Emporté par son élan,
Félix ne peut éviter les griffes d’un animal empaillé (c’est sûr ? il a
l’air si réel) posé là, en travers du chemin, comme attendant que l’on
vienne le chercher. Ses bras battent l’air pour éviter l’animal, ses
pieds s’emmêlent, il s’accroche à la bête, et tous deux semblent danser
une étrange sarabande, avant de tomber au ralenti, enlacés. Les griffes
de l’animal s’accrochent à la joue de Félix, et y laissent 3 fins traits
rouges et parallèles. Il gardera peut-être une cicatrice en souvenir de
cette journée…
Nous voici de
retour à notre café préféré, comme un repère, un refuge, un point de
rendez-vous. Tout est calme maintenant. Finie l’excitation du Musée,
comme si notre journée touchait à sa fin.
De nouveau,
j’entends un coq chanter. Plus fort. Trop fort. J’entrouvre les yeux.
J’abandonne
Félix, après avoir passé toute la nuit avec lui. Comme l’apôtre Pierre
avant moi, trahison au chant du coq.
Je traine la
main le long de mon lit, à tâtons j’attrape mon chausson et le lance
violemment en direction de la fenêtre de la chambre.
- Ta gueule,
Félix !
Quelle idée
aussi d’appeler son coq avec un nom de chat ! Et cette fenêtre double
vitrage, censée « préserver votre intimité sonore et vous isoler des
bruits extérieurs ». Faites-moi penser à faire un procès pour
publicité mensongère !
Le chausson
tombe lamentablement au pied de la fenêtre, imperturbable face à
l’attentat qu’elle vient de subir. Le coq continue de chanter. Le jour
se lève doucement, bientôt le réveil va s’animer. Je le désactive avant
qu’il n’ait pu dire un mot.
La douche
finit de me réveiller.
Vêtue de mes
habits les plus classiques (ni choquants, ni aguichants…), c’est une
nouvelle journée de travail que je commence devant mon ordinateur : la
liste des livres à commander, les relances à faire, les retours à
ranger. Déjà les premiers usagers arrivent.
Et là, je le
reconnais aussitôt. C’est lui, le jeune homme qui n'emprunte que des
ouvrages d'archéologie. Il a 3 éraflures sur la joue.
Je dois avoir
l’air surpris, car il pose sa main sur sa joue, et dit :
- Ca ? Ce
n’est rien. J’ai été agressé cette nuit par une « énorme bête sauvage ».
Mon chaton qui a voulu me faire la fête un peu trop fort !
Un peu
abasourdie, ne sachant plus où est la réalité et où s’arrête le rêve
(c’était vraiment un rêve ?), je prends ses livres et, machinalement, je
demande confirmation de son nom.
- Félix … ?
- Non,
Philippe. Mais pour vous, ça peut être Félix si vous préférez.
Texte d'e Philippe Colle,
Labastide-Beauvoir (31), 2015
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Qu'est-ce que
c'est, être un homme ?
La
bibliothécaire le reconnut aussitôt. C’était le jeune homme qui
n’empruntait que des ouvrages d’archéologie…
Aussitôt, elle fit un signe entendu à son collègue, occupé
quelques rayonnages plus loin à remettre en place les revues
d’anthropologie que le professeur Darrieussecq venait tout juste
de rapporter. N’obtenant pas la réaction escomptée, la jeune
femme soupira. Stéphane semblait décidément indifférent à tout.
A ses charmes, c’était certain. Mais à la bizarrerie de cet
individu aussi, aux usagers de la bibliothèque en général et
même aux livres ! Comment peut-on être aussi peu curieux et
aussi déconnecté de ce qui nous entoure en travaillant dans un
lieu dédié à la connaissance ?
Mue par une inspiration soudaine, elle se leva précipitamment
pour rattraper le professeur Darrieussecq au niveau du portique
de sortie.
- Professeur !
Professeur, je…
- A coup sûr,
j’ai encore laissé ma carte sur le comptoir, dit-il en se
retournant, l’air faussement dépité. Paléoanthropologue de
renom, il avait été son enseignant préféré il y a quelques
années de cela, quand elle étudiait l’anthropologie et
l’ethnologie à l’université. Déjà vieux à l’époque, il était
l’archétype du chercheur avec ses cheveux blancs trop longs, son
pantalon en velours brun d’une autre époque et sa polaire
orange. Le professeur Darrieussecq était un homme passionné,
chaleureux, animé par le désir de transmettre et de partager. Il
était parfois un peu distrait.
- Non, pas du
tout ! Enfin peut-être, je ne sais pas, bafouilla-t-elle, toute
excitée par sa seule préoccupation du moment, à des
années-lumière d’une carte de lecteur potentiellement oubliée.
J’ai quelque chose à vous demander…
- Je vous
écoute, Anna.
- Eh bien voilà…
C’est peut-être totalement ridicule, mais ce jeune homme,
là-bas… Vous le connaissez ? C’est un étudiant de l’université ?
- Son visage ne
me dit rien. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’est pas étudiant
chez nous. Pourquoi cette question ?
- Eh bien… Il
vient tous les jours depuis deux semaines.
- Mais c’est
merveilleux ! Vous qui vous plaignez tout le temps de la baisse
de fréquentation des bibliothèques ! ironisa-t-il.
- Ecoutez-moi,
s’il vous plaît, je suis sérieuse, soupira-t-elle en jetant un
œil du côté du jeune homme qui consultait un à un les livres du
rayon en répétant toujours, méthodiquement, les mêmes gestes. Il
saisissait le livre, regardait d’abord la couverture en
l’effleurant du bout des doigts, puis la table des matières. Il
le retournait enfin pour lire la quatrième de couverture avant
de revenir au début pour feuilleter les premières pages.
- Allez-y,
désolé. Je suis toute ouïe.
- Eh bien voilà,
commença-t-elle en baissant la voix. Non seulement il vient tous
les jours, mais il emprunte à chaque fois dix livres, et ce ne
sont que des livres d’archéologie.
- Dix ? s’étonna
le professeur en ouvrant de grands yeux. Chaque jour ?
- Oui. Les
premiers jours, il passait des heures à consulter la base de
données informatique. Maintenant, il va directement au rayon
archéologie. Et ce n’est pas tout, poursuivit Anna. Il prend les
livres dans l’ordre exact où ils sont rangés sur le rayonnage.
Toujours, toujours dans l’ordre, comme s’il cherchait à avoir
une connaissance exhaustive du rayon archéologie. Je peux même
vous dire qu’aujourd’hui, les livres qu’il va emprunter seront
référencés 930.162 à 930.171, ajouta-t-elle, les yeux brillants.
Face au
professeur, elle laissait ressurgir de vieux réflexes
d’étudiante modèle. Le souffle court et se dandinant d’un pied
sur l’autre, elle tenait à lui montrer le fondement de la
réflexion qu’elle avait menée en amont. Pas spécialement pour
briller, mais plutôt par respect pour cet homme qui lui avait
appris à se questionner, appris à regarder, appris à réfléchir.
- Il doit
chercher quelque chose de particulier… La réponse à une question
précise… Personne ne peut lire dix livres en une journée ! Vous
a-t-il déjà demandé de l’aide ? Des conseils ? Est-ce qu’il fait
des commentaires sur les ouvrages qu’il emprunte ?
Elle avait eu raison de s’adresser au professeur Darrieussecq. A
la différence de son collègue Stéphane, le professeur était
curieux des gens, curieux de la vie. Il allait l’aider à
décrypter ce mystère. Bibliothécaire depuis maintenant quatre
ans, Anna avait en tête de reprendre un jour ses études. Elle
aimait lire, elle aimait apprendre et se passionnait
suffisamment pour certaines cultures d’Afrique, notamment
celles des tribus nomades du Sahel, pour envisager une thèse.
Bientôt. Dans l’immédiat, toute son attention était dirigée vers
le jeune homme châtain au regard sombre et au visage inexpressif
qui compulsait les ouvrages d’archéologie, à quelques mètres
d’elle. Il était beau, d’une beauté étrange et froide. Il
semblait avoir à peu près le même âge qu’elle et pourrait tout à
fait être étudiant. Tout dans son attitude était étrange. Et
Anna aimait les mystères.
- Anna ? Vous ne
m’écoutez plus…
- Oui,
professeur ? Euh… désolée. Non, il ne m’a jamais parlé, hormis
les formules de politesse d’usage. Peut-être que je devrais le
suivre, pour en savoir plus ?
- Anna, dit-il,
amusé, on n’est pas dans un roman policier, là. Engager la
conversation me semblerait plus adapté et surtout plus poli !
Vous avez sensiblement le même âge, intéressez-vous à ce qu’il
fait ! Vous n’êtes pas du genre timide, que diable !
Pendant qu’ils
discutaient, l’emprunteur s’était approché du comptoir où
Stéphane, qui avait terminé de ranger les revues, enregistra ses
livres. Le jeune homme se dirigea ensuite vers la sortie d’un
pas rapide, son épaisse pile d’ouvrages sous le bras. A deux
mètres d’Anna et du professeur, il s’immobilisa. L’expression de
son visage n’avait pas changé, mais tout dans son attitude
corporelle semblait indiquer qu’il était en proie à un dilemme.
Ses yeux noirs rivés sur le professeur, il s’approcha soudain et
lui dit sans préambule :
- Vous êtes le
professeur Darrieussecq. Il faut que je vous parle.
Anna, bouchée bée, regardait alternativement les deux hommes.
Son cœur s’était emballé. Elle qui aimait les mystères nageait
en plein dans la bizarrerie.
- Euh, oui…
Bonjour… répondit le professeur, qui ne dissimulait pas non plus
sa surprise.
- Ce n’était pas
une question. Je vous ai vu en photo dans la base de données.
Vous avez publié beaucoup d’articles d’anthropologie. Vous êtes
aussi cité dans certains ouvrages que j’ai lus. Vous devez
m’aider, c’est très important. L’homme parlait étrangement. Ce
n’était pas à proprement parler un accent. Plutôt une
intonation. Ou une absence d’intonation, d’accent, de
particularité. Son français était fonctionnel, d’une neutralité
trop parfaite qui faisait froid dans le dos.
- Anna, si on
s’installe dans le coin, là-bas, pouvez-vous nous amener un café
et vous joindre à nous ? Elle était mon étudiante, poursuivit-il
à l’intention du mystérieux lecteur, une excellente étudiante.
Si je dois vous aider, je tiens à ce qu’elle m’aide à le faire !
- Pourquoi un
café ? demanda l’homme, toujours impassible. Je veux juste vous
parler.
- Parce que je
discute beaucoup mieux avec une tasse à la main, jeune homme,
répondit le professeur, interloqué.
Dans les yeux
d’Anna, la crainte avait remplacé l’excitation. Cet homme était
décidément bien étrange. Elle acquiesça d’un rapide signe de
tête et se dirigea sans un mot vers la cafetière, dissimulée sur
une petite étagère sous le comptoir, au milieu de dossiers
cartonnés de toutes les couleurs, d’étiquettes, de gommettes, de
scotch et de stylos. Elle sentit que l’inconnu la suivait du
regard et s’en trouva étrangement gênée. Le visage du jeune
homme n’exprimait toujours rien,
et c’est ce rien qui mettait mal à l’aise. Les mains
tremblantes, elle se saisit d’un petit plateau, y posa les trois
tasses qu’elle remplit et ajouta un petit pot contenant des
morceaux de sucre, ainsi qu’un paquet de cookies. Elle prit
également quelques feuilles de papier et des stylos, au cas où
il y aurait des notes à prendre. Pendant ce temps, les deux
hommes s’étaient éloignés pour s’installer à l’écart, à une
petite table de travail près de la fenêtre qui donnait sur le
parc.
Quand Anna les
rejoignit, l’inconnu avait commencé à expliquer sa requête. Ou
plutôt, disait-il, il ne savait pas comment la formuler car
personne, aujourd’hui, n’était en mesure de comprendre ce qu’il
attendait précisément.
- Ecoutez, jeune
homme, disait le professeur, qui affichait maintenant un certain
agacement, c’est vous qui avez dit vouloir mon aide. Je suis un
scientifique. J’ai besoin de faits précis. Soit vous me racontez
tout, soit je m’en tiendrai au café que vient de nous apporter
Anna et notre conversation s’arrêtera là. Déjà, comment vous
appelez-vous ? Le jeune homme marqua un temps d’arrêt, avant
d’articuler, sur un ton toujours aussi neutre :
- CR 428.
Anna croisa le regard du professeur, visiblement aussi
déboussolé qu’elle. Avaient-ils affaire à un fou ? Le jeune
homme, quant à lui, ne manifestait toujours aucune émotion.
- Je comprends,
continua-t-il. Je comprends mieux cette demande d’explication et
de faits que la nécessité d’un café pour discuter. Je vais
essayer de tout vous raconter.
Sans toucher à
la tasse qu’Anna avait posée devant lui, celui qui s’était
présenté comme CR 428 expliqua qu’il venait du futur. Du
XXVIIIème siècle, pour être précis. Il leur dit que les années
qui les séparaient allaient être le berceau de profonds
changements. Des changements plus importants encore que ceux qui
leur avaient permis, quelques siècles plus tôt, de sortir du
Moyen-âge. Des changements difficiles à expliquer pour qui ne
les avait pas vécus.
Tout d’abord, il
y avait eu des conflits régionaux, partout dans le monde. Pas
une guerre mondiale comme ce que racontent le plus souvent les
livres de science-fiction, mais une multitude de petites guerres
et d’actions terroristes opposant des communautés, des cultures,
des groupes sociaux. Puis il y avait eu la chute du
capitalisme, foudroyé par sa propre incapacité à s’autoréguler.
Les pauvres de l’hémisphère nord, lassés du fossé qui se
creusait entre eux et les puissants, s’étaient liés aux pauvres
de l’hémisphère sud pour fomenter, via les réseaux sociaux et un
relais humanitaire conséquent sur place, une révolution mondiale
qui avait mis fin au système économique sur tous les continents.
Trop occupés par la chasse au terrorisme, les dirigeants du
monde n’avaient rien vu venir. Tout cela, bien sûr, était la
version officielle qu’on apprenait en son temps. - Excellent,
s’enthousiasma le professeur. Je n’osais plus y croire. Et c’est
pour quand ?
- Bientôt. Dans
vingt ans, précisément, répondit l’homme du futur. Mais ne
croyez pas que ce soit une bonne chose. Le capitalisme a
disparu, mais une autre idéologie l’a remplacé et d’autres
leaders sont nés de cette révolution.
Anna et le
professeur avaient oublié leur récente inquiétude et attendaient
impatiemment d’en savoir plus. Ils ne se demandaient plus si
l’homme était fou, si ce qu’il disait été possible. Ils
l’écoutaient, tout simplement. CR 428 leur expliqua que les
nouveaux leaders avaient voulu éradiquer tout ce qui avait nui
précédemment : les particularités, les cultures locales, les
langues régionales, les religions, la famille, les arts et la
consommation. Et même les identités. D’où son nom, car les
enfants étaient dorénavant immatriculés comme l’étaient les
voitures dans le passé. Selon les nouveaux dirigeants du monde,
l’avenir résidait dans les sciences exactes et le progrès
technologique. Pas le progrès qui se vend, mais le progrès pour
tous, pour avancer ensemble. D’ailleurs, l’argent avait été
supprimé.
- Les cultures
locales? L’art ? Mais pourquoi ? s’écria Anna.
- Et plus
personne ne parle occitan ? Quelle tristesse… déplora le
professeur.CR 428 répondit qu’il ne savait pas ce qu’était
l’occitan, mais que des langues comme l’allemand, l’ukrainien ou
l’italien avaient totalement disparu. En fait, seules 5 langues
étaient encore pratiquées : l’anglais, le français, l’espagnol,
l’arabe et le russe.
Il y eut un
moment de silence, pendant lequel Anna et le professeur
tentaient d’assimiler ce qu’ils venaient d’entendre.
- Mais alors… Je
ne comprends pas bien, dit le professeur. Comment et pourquoi
êtes-vous là ?
- Je suis là
parce qu’il y a ici des livres, et que les livres n’existent
plus chez nous. Il y a bien des écrits, mais ils ne sont que
techniques et sur support numérique. Tous les livres qui
parlaient du passé ont été détruits. Tous les livres qui
parlaient d’émotions, de différences ou de désaccord ont été
brûlés. Nos leaders ont voulu qu’il ne reste aucune trace de
l’humanité imparfaite qui existait jusqu’à la deuxième moitié du
XXIème siècle. Sans culture, sans différence, il n’y a plus
d’émotions. Tout fonctionne sur une base contractuelle et tout
est tourné vers le progrès technologique. Nous sommes
conditionnés pour fonctionner comme des machines qui se doivent
d’être de plus en plus performantes. Sans affects. Comme tout le
monde à mon époque, je suis un scientifique. Le directeur de mon
laboratoire de recherche, AX 515, a mis au point, il y a 5 ans,
une technologie permettant de voyager dans le temps. J’étais son
assistant. Nous l’avons testée en nous projetant dans le passé,
25 ans avant la révolution. Ce fut une grande surprise pour nous
de découvrir que les gens se disputaient, souriaient,
échangeaient des futilités. Ce fut une plus grande surprise
encore de voir à quel point ils se construisaient à partir du
passé, des erreurs et des succès de l’histoire. Nous avons
découvert les livres, ceux qui renferment les connaissances,
mais aussi l’imaginaire des hommes. Nous avons découvert les
émotions, le doute, les sentiments, sans bien les comprendre. La
deuxième fois que nous sommes venus, nous avons vécu notre
première dispute au moment de repartir. C’était intense,
troublant. Nous en avons même ri, ce qui était encore plus
étrange que de se fâcher. Malheureusement, AX 515 a été arrêté
peu de temps après, le laboratoire fermé et sa machine détruite.
Le passé est banni de notre société et il avait enfreint la loi.
En tant qu’assistant, je n’ai pas été inquiété. Ce qu’ignorent
les autorités et que je ne saurais moi-même expliquer, c’est que
la brèche que nous avons ouverte dans le temps ne s’est pas
refermée. Je suis le seul à savoir qu’elle existe, et il faut
savoir qu’elle est là pour la trouver, dans notre ancien
laboratoire abandonné. Je veux changer mon présent. J’aime votre
façon de vivre, même si certaines choses me semblent étranges.
Comme le fait de mieux discuter quand on a un café, par exemple…
- Mais pourquoi
seulement des livres d’archéologie ? demanda Anna.
- La brèche
créée par AX 515 permet de faire un bond en arrière de 700 ans.
Je suis incapable, seul, de reproduire cette technologie.
Pourtant, je veux connaître l’histoire. Je peux explorer votre
présent en vous rendant visite, bien sûr, mais comment
appréhender ce qui s’est passé ensuite ? Nous n’avons plus de
livres, pas de récits, et l’histoire s’efface au fur et à
mesure. La reconstruire à partir des traces matérielles et
technologies ramassées dans les anciennes villes, étudier les
objets abandonnés dans des sous-sols et les zones désertées,
c’est la seule solution. Mais je n’avais ni la méthode, ni la
curiosité, ni la bonne façon de regarder. C’est cela que je
cherche dans les livres d’archéologie.
- Ça se tient,
acquiesça le professeur. Et moi, dans tout ça ? Qu’attendez-vous
de moi ?
- Eh bien… Je
n’avais pas prévu d’établir un contact dans ce siècle. Mais je
n’y arrive pas tout seul… J’ai vu ce qu’ont fait les hommes,
j’ai scanné et lu plein de livres, j’ai acquis une méthodologie.
Mais il me manque quelque chose. Une question à laquelle je ne
sais toujours pas répondre. Or, répondre à cette question est
fondamental pour reconstituer les rites, les coutumes,
l’organisation des sociétés de mon passé et comprendre la
révolution. Et surtout, elle pourrait m’aider à renverser le
pouvoir en place, à changer la société de mon époque.
- Quelle
question ? demandèrent en chœur Anna et le professeur.
- Oh… Une
question toute simple, pour vous, je pense… Qu’est-ce que c’est,
être un homme ? demanda le visiteur du futur avec un sourire
maladroit.
Texte de Sophie Chatton, Toulouse (31), 2015
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Lo mainadet qui
volè vàder gran
La bibliotecària suu pic lo remetó.
Qu'èra lo joen qui ne manlhevava pas qu'obratges d'arqueologia...
Lo purmèr còp que's presentè davant
la Lucia tà la balhar los sons libes, lo son espiar que la
pertoquè. N'èra pas tan lo blu deus sons uelhs mes aqueth
pregond tristèr que s'i podè léger.
Òc ben qu'èra un òmi deus beròis :
peu de lin, carradura atletica, que pareishè viéner tot dret
deus país nordics enlà. Totun lo son anar deishava a pensar que
la pena e'u pesava.
Que vienè tostemps lo dijaus au
vrèspe, a setmana passada, tà tornar los sons libes e se'n
tornar gahar d'autes. Que'n èra blua, la Lucia, deu véder tot
solet pendent que prenè libes per mainat.
L'òmi aus libes d'arqueologia per
mainat que l'intrigava mei anar mei.
Un dijaus d'octobre, mentre que'u
vedè aprochà's deu taulèr, la soa curiositat qu'estó la mei
hòrta:
- Adishatz, b'avetz un
arqueologiassèr !
- Ah que quiò ! Qu'empassa tots los
libes que'u pòrti, qu'ei ua vertadèra passion.
- Ètz arqueològue ?
- Pas briga, la soa passion qu'espelí
quan anè a visitar lo site de Fâ dab la soa classa. E'u
coneishetz ?
- Òc, segur que'u coneishi. Que'm
sovieni quan lo Jacme Dassié e'u descobrí. E sabetz qu'ei en
susvolant hromentars qu'a vist linhas mei claras au miei deus
prats verds ?
- Bissè que quiò ! Quina descobèrta
! Com demoram au ras que i tornèm mantuns còps. Que i a tanben
iniciacion a l'arqueologia peus mainats, pensatz donc, per eth
qu'ei lo paradís !
- Quin atge a ?
- Qu'averà nau ans lo nau de genèr
qui vien.
- E sabetz, pendent las vacanças de
Marteror, dens l'espaci mainats, que hèm un talheròt intitulat :
"La mia passion e jo" ? Qu'avèm besonh de gojatòts com lo
vòste. Si voletz que'u podetz inscríver sus aquesta lista. Los
mainats que deveràn parlar de la lor passion e si ei possible
que haram viéner adultes especialistas tà discutir dab eths.
Listas que son estadas distribuidas dens las escòlas. Lhèu ei
dejà inscrivut ?
- Non, n'ei pas possible pr'amor qu'ei
malaut e sovent ne pòt pas anar a l'escòla. Que'u ne parlarèi.
Que pensi que i participaré dab plàser.
Aqueth dia, la Lucia ne'n sabó pas
mei. Ne'n voló pas demandar mei, mes l'expression de la soa cara
que vadó tan còrdolenta que comprenó lavetz que la situacion
emocionau d'aqueth òmi èra tragica. Los sons uelhs que s'encrumín
quan prononciè lo mot "malaut”. Que pensè que devè estar ua
malaudia de las meishantas.
- Que m'agradaré hèra de har
coneishenças dab lo vòste hilh. E poderetz viéner un dijaus dab
eth ?
- Malurosament qu'èm separats la
mair e jo e lo hilh ne l'èi pas qu'a dimenjada passada.
Mei que n'aprenó sus aqueth òmi mei
qu'averé volut ajudà'u. Que sabè qu'ateneré dab impaciéncia lo
dia on tornaré tà la bibliotèca
Dus setmanas après, lo dijaus au
vrèspe, darrèr deu taulèr estant, la Lucia que vedó l'òmi que
tirava de cap ad era.
- Adishatz, que volerí inscríver lo
hilh au talheròt. Qu'èra tan estrambordat quan li perpausèi que
nse'n parlè tota la dimenjada. Que cerquè libes e magazinas tà's
préner e que comencè d'escríver un tèxtonet tà contar la soa
passion. Mercès, mercès plan, que serà per eth un gran moment de
bonaür. Que me'n vau causir d'autes libes.
- Que n'avem navèths : "Amic de l'arqueologia",
"Archeo-Animau", "Arqueologia ua istoria shens fin" e
" Un còp èra l'arqueologia".
En fèit, la Lucia qu'avè demandat
libes dens las bibliotècas a l'entorn tà har plaser au papà e
sustot au son mainadet.
Ne gausè pas demandar novèlas de la
santat deu petit.
Après l'inscripcion, que la tornè la
lista e que se n'anè tà préner navèths libes. Era, que s'esdeburè
tà'u léger : atau que s'aperava Cédric Berthelaud, qu'avè ueit
ans, qu'èra a l'escòla de Talmont e la soa passion qu'èra l'arqueologia,
çò que sabè dejà.
Adara qu'èra segur que vieneré, que
comencè donc de bastir castèths en l'aire. Que sabè qui
contactar. Que calè qu'aqueth jorn estossi deus meravilhós peu
mainadet.
Dus setmanas que s'escorrón. Aqueth
dijaus non vienó pas arrés tà cercar libes d'arqueologia. Mei l'òra
deu barrament qu'apressava, mei que còrtransiva. Que'u s'apoderè
ua angoisha pregonda. Segur, aquesta abséncia qu'entristejaré la
soa serrada lhèu los dias a viéner.
L'endedia au matin, la Lucia que
vedó entrar ua dauna, joena, lesca, lo peu saure, qui èra
caralonga. Que's hasó en davant d'un pas mau-segur. Que pausè
dus libes suu taulèr.
- Adishatz, que ve'us torni de las
parts deu sénher Berthelaud.
- Adishatz, b'ètz la mamà deu Cédric
!
- Non, jo que soi Evelina, la
pariona deu son papa. Qu'ei tostemps eth qui vien tà préner
libes peu Cédric mes despuish dimars que demora a Bordèu a l'espitau.
- Ei malaut ?
- Non, qu'ei au capcèr deu hilh qui
ei ospitalizat tà ensajar navèths suenhs.
- Ei ua malaudia grèu ?
- Òc, hòrt grèu, qu'a ua tumor au
cervèth, ne pòt pas estar operat.
- Praubin ! Que me'n sap mau.
La Lucia que s'esblasí, ne s'atenè
pas a ua tan maishanta novèla. D'escòp, que sentí un gran vueit
interior, que's devó assèder.
- Peu moment ne sofreish pas tròp,
qu'ei hèra coratjós e plea de vita e d'espèr. La soa
passion per
l'arqueologia qu'ei un remèdi miraculós.
- Avetz l'espèr d'ua guarison ?
- Lo Florian, lo papa e jo que'u
nse'n volerem miar tad America, d'acerà estant que poderem
ensajar autes suenhs qui n'existeishen pas aquiu. Solament la
mair ne'n vòu pas enténer a parlar !
Que haucè las espatlas e
potegè
tà exprimir lo son immense desarrei.
- Uei lo dia, lo mei important peu
Cédric qu'ei de participar au vòste encontre : "la mia
passion e jo", que caleré que tornèssi amassar fòrça
tà har aqueth talhèr.
Qu'ei mei que segur, ce pensè la
Lucia. Que demorava quate setmanas tà har d'aqueth dia un moment
excepcionau peu mainadet. Que calè qu'avossi çò de mei beròi.
Mentre que l'Evelina s'encaminè de
cap a la pòrta, la Lúcia que sentí que deishava darrèr era ua
arralha on un sentit de despoder, ua delèra de bramar a l'injustícia
que's mesclavan dab ua dolor quasi paupadera, un treishaguèr
indescriptible, mes sustot ua fòrça suberumana tà non pas
deishar paréisher arren.
La Lucia que'n demorava tot
partvirada. Que'u gahè un gran flaquèr. Que sentí las lagremas a
pojar mes que calè que s'arregahèssi. Adara que calè que
tribalhèssi a braç virats tà que tot sia perfèit peu Cédric lo
dia "D".
La quinzena seguenta, ne vedó pas
passar lo temps. Qu'avó mantuas cuentas dab l'organizacion deu
talheròt. La lista deus participants qu'èra plea. Dètz mainats
que vienerén tà parlar de la lor passion : quate musicians, tres
pompós, dus agricultors e un arqueològue. Qu'avè trobat un
adulte per tots los mestièrs. Tà çò deu Cédric que grandosegè.
La suspresa que seré de talha.
Lo dijaus just abans las vacanças
qu'avó la cara en gaujor quan lo Florian entrè dens la
bibliotèca. Segur qu'èra amagrit mes un sorríser que
l'enlugrejava lo visatge.
- Adishatz, que soi tan gai de'vs
tornar véder. Que vivom moments hòrt mauaisits. Peu moment qu'ei
fenit. Lo Cédric que va miélher. Qu'a plan tribalhat tà
presentar la soa passion aus sons amics. Dissabte que poderà
causir los sons libes eth medish. Que'vs mercegi per aqueth
suberbèth dia que viverà. Ne coneishi quitament pas lo vòste
prenom!
- Lucia, que m'apèri Lucia. Que'm
triga d'encontrar au vòste hilh. Que soi tan urosa d'enténer que
va plan. A dissabte donc.
Los mainats que comencèn d'arribar
acompanhats peus pairs. L'espaci joenessa que's pleava. Los
adultes representant los diferents mestièrs qu'arribavan :
Valentin lo musician, Miquèu lo pompós, Robèrt l'agricultor. Ne
mancava pas sonque l'arqueològue e lo Cédric.
La Lucia qu'espiava la soa mòstra,
cinc minutas enqüèra. La pòrta que s'obrí. Que'us vedó, tots
tres, que n'anèn man e man, lo mainat au miei.
Que s'aviè de cap a eths. Que saludè
l'Evelina e lo Florian. Que s'abaishè tà préner la man que
l'aparava lo mainat. Alavetz que demorè desemparaulada. N'avè
pas jamei vist un èste tan luminós.
Devath lo bonet roi qui'u cobriva lo
crani, un visatge d'ua netetat irreau, un tint diafan. Las
subercilhas qu'avèn desapareishut.
Quan se
plantè los uelhs en los sons que demorè
escopitada. Los sons uelhs
qu'èran d'un blu que n'avè pas jamei encontrat. Que i vedó dus
frinestòts obèrts suu cèu. Aqueth mainadet qu'avè quauquarren
vertadèrament especiau. Lo son còs, lampret, qu'èra aquiu,
davant era, mes dens lo son espiar que la sembla entervéder l'en
delà. Qu'èra un ànjol.
- Adishatz dauna Lucia, mercès per
aqueth bèth present, mila mercès, qu'ei un gran dia per jo.
Qu'èra tan trebolada qu'avè la votz
qui tremolava d'emocion.
- Adishatz Cèdric, que soi tan, tan
urosa de t'encontrar. Dab lo pair sovent qu'avem parlat de tu,
que soi en gran gaujor que t'agis podut juntar a nosautes
La recepcion que podè començar. Los
mainats que parlèn ad arron de la lors passions respectivas. Los
adultes concernits que'us balhèn informacions sus lors mestièrs.
Finaument que vienó lo torn deu Cédric. Tot timide qu'èra, que's
retregè, quasiment estujat darrèr deus pairs. Que n'avè hartèra
deus que l'espiavan dab insisténcia. Quiò, qu'avè un bonet, quiò
qu'èra blanc com un linçòu. Lavetz averé calut que cridèssi au
monde qu'èra malaut ?
- Que m'apèri Cédric. La mia passion
despuish que soi petitonet qu'ei l'arqueologia. Que vòli vàder
gran tà estar un arqueològue, disem un arqueozoologue pr'amor
que m'interèssan las relacions deus òmis dab los animaus.....
Que paraulejava, mainats, adultes,
tots que l'escotavan en badant. Arrés n'averé gausat copà'u la
paraula. Los sons uelhs hueguegèn, las gautas qu'enrosín. La soa
cara qu'arrajava un bonaür deus grans.
- Òc, mes abans tot que devi vàder
gran.
Per eth qu'èra la condicion purmèra.
Qu'èra pleament conscient de la soa malaudia. Qu'ac sabè, shens
un guariment totau ne vaderé pas gran donc ne seré pas jamei un
arqueozoologue.
Un òmi d'atge que's quilhè, que's
hasó en davant de cap au Cédric, silenciós. Que'u pausava la man
dreta suu bonet.
- Gran ! Que n'ès dejà. Dens lo ton
còr, dens la toa amna, dens lo ton esperit qu'ès lo mei gran de
tots nosautes. Qu'èi ua proposicion tà't har. E t'agradaré
viéner dab jo tà subervolar lo site deu Fâ ? Solide, ne
pilotarèi pas, un amic qu'ac harà, mes que i serèi tà't har
descobrir lo Fâ vist deu cèu. Ne seràs pas desahidat. Que soi lo
Jacme.
Tan urós qu'èra lo Cédric, qu'abracè
las camas de l'òmi d'atge, lagremas que colavan sus las soas
gautas mentre qu'un sorríder florejava suus pòts.
L'emocion qu'èra au mei haut.
Lo temps passè : quinzenats, mes,
pas nada visita deu Florian ni de l'Evelina a la bibliotèca.
Quauques dias abans nadau, lo Cédric
susvolè lo Fâ. La Lucia qu'ac aprenó deu Jacme. Lo mainat qu'èra
atequit. N'avè pas mei la fòrça tà marchar. Lo pair que'u devó
portar. Acerà haut, pendent l'òra deu vòl, lo son visatge tan
triste que s'enlugregè. Après lo son partir, lo Jacme que's
desglarè en plors.
- Aqueth mainadet ne vaderà pas
jamei gran. Ce disó lo Jacme.
Heurèr qu'arribè, un dissabte matin
la Lucia que vedó lo Florian e l'Evelina suu portalèr. Que
comprenó de tira, en vede'us en·heishats.
Era, que s'arrapava au son braç, los uelhs esconuts darrèr
lunetas negras. Que la balhèn l'impression de lutà's dab ua
arruhèca invisible. Lo Florian que pausè los dus libes suu
taulèr.
- Qu'ei fenit, lo Cédric que se n'anè
lo ueit de genèr. Quina sòrta trufandèca ! Eth qui volè vàder
gran, n'avó pas solament nau ans. Que's morí lo dia abans lo son
aniversari. Que hasó a las estòrças dab lo mau dinc a la fin.
Qu'estó tan coratjós, un gojatòt coralut. Que'm deishè açò per
vos.
Lo Florian que l'aparè ua envolòpa
blua.
D'un blu que la brembè lo blu deus
sons uelhs. Que s'engorgossí. Las mans tremolantas, que l'obrí,
que se'n dè entà non malastrusir-la. Qu'èra conscienta d'aver un
tesaur dens las mans. A l'interior que i avè ua huelha blanca,
que la despleguè. L'escritura qu'èra de las berojàs, uèra, blau
d'azur. Que lejó.
Lucia,
Segur ne me'n voleretz pas de
vs'aperar Lucia. Qu'ètz ua lutz. Qu'èratz estada la mia lutz.
Qu'èratz estada la lutz qui enclarí
los darrèrs mes, los darrèrs dias de la mia vita tròp brac.
Gràcias a vos que podèi volar, véder
lo site de Fâ d'acerà haut, qu'èra meravilhós.
Qu'estotz tanben la mia lutz a la
bibliotèca. Aqueth dia que gausèi har cap a l'espiar deus autes,
que'us gausèi parlar e qu'encontrèi
lo Jacme.
Mercès, mercès plan Lucia, que m'ei
degrèu de partir. La vita que m'agradava tan. Los pairs que
seràn tan tristes, siatz la lor lutz,
qu'averàn daun de vos tà mestrejar lo lor treishaguèr.
Adiu Lucia,
ne vaderèi pas jamei gran.
La grana lutz que m'apèra.
Cédric
Que'us aparè la letra. Que calèva
que la lejossin.
Atau que sabè la mort que'u gaharé lèu, ce pensè
la Lucia.
Alavetz que comprenó lo sens de "vàder gran” dens l'esperit deu
mainadet. Peu Cédric, "vàder gran” qu'èran dus mots magics tà
non pas emplegar "guarir” o "víver”. "Guarir” que'u hasèva
tornar a la soa malaudia, tà çò qui ei de "víver”, la mort qu'arrodejava
a l'entorn... Que volè vàder gran e sonque tà estar un
arqueozoologue.
La Lucia
ne podó pas està's de plorar.
Texte de Marylène Couillaud,
Casteide-Candau (64),
2015 |
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Le recueil de nouvelles "Coups de théâtre à la
bibliothèque" est également disponible, au prix de 8.00 €,
sur le site de l'éditeur
Le Griffon Bleu. |
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